La voie prévue doit scinder en deux parties la forêt en question et le parc Farhat Hached. Une poignée de militants associatifs et d’habitants se sont réunis le 25 février dernier à l’entrée du parc pour protester contre ce projet. L’initiative met en évidence la priorité accordée par le gouvernement à la circulation automobile aux dépens de l’environnement et des espaces de loisirs. Par ailleurs, elle illustre le flou entourant les décisions prises par l’Exécutif.

Malgré le refus du ministère de l’Environnement!

Contacté par Nawaat, Habib Ben Moussa, chargé de mission auprès du ministre des Affaires locales et de l’environnement nous a assuré que l’Agence Nationale pour la Protection de l’Environnement (ANPE) a bien effectué une étude d’impact sur le projet courant 2017 et que les résultats de celle-ci étaient négatifs. La commission-mixte présidée par l’ANPE qui était chargée de statuer sur le projet a donc signifié son refus au ministère de l’Equipement, demandant une modification du tracé afin qu’il ne traverse pas la forêt de Radès. L’avis de l’ANPE sur tout projet de construction (routière, industrielle) est requis et n’a rien de consultatif : tout refus de sa part empêche l’émission d’un permis de construire.

Cela n’a pas empêché le ministère de l’Equipement de lancer en novembre 2017 l’appel d’offre pour la construction de la nouvelle voie rapide. Toutefois, personne ne semble être au courant de rien au dit ministère. Contactées par Nawaat, que ce soit la direction générale des ponts et chaussée, la direction des études techniques ou encore la direction régionale de Ben Arous, aucune n’est en mesure de fournir des informations sur le projet, sur l’état de son avancement ou sur son tracé. La seule information sera fournie par la direction régionale, affirmant que le projet serait « à l’étude ». Une affirmation pour le moins étonnante, vu que l’appel d’offre a déjà été lancé et clôturé, si l’on se fie aux dates qui y figurent.

L’association de Megrine pour l’Innovation et la Sauvegarde (AMIS), en pointe des protestations contre la nouvelle route affirme, qu’en février 2016, lors d’une réunion au siège du gouvernorat de Ben Arous, le projet de route avait été présenté par le ministère de l’Equipement et avait été aussitôt vivement contesté aussi bien par le président de l’AMIS que par le député de Ben Arous, Ali Mahjoub du parti Ennahdha. Contacté par Nawaat, le député a dit vouloir se renseigner sur les avancements du projet avant de répondre à nos questions, soulignant qu’en tant qu’élu local, il pourra avoir un meilleur accès à l’information. « La question est somme toute assez épineuse puisqu’elle nécessite de faire un choix entre développement de l’infrastructure routière et enjeux environnementaux », a déclaré Mahjoub.

Négligence de l’enjeu environnemental

Ce projet de voie rapide destiné à décongestionner des axes surchargés n’est pas le premier en son genre dans la banlieue sud de Tunis. L’été dernier a vu l’ouverture du tronçon reliant Borj Cedria à l’autoroute A1 (Tunis-Gabès). Ce projet, dont les travaux ont duré pas moins de 6 ans, visait à décongestionner l’axe Borj Cedria- Hammam Chatt – Hammam Lif – Ezzahra. Mais tout comme la voie rapide reliant la banlieue nord à la banlieue sud, cette nouvelle autoroute présente une facture écologique élevée, puisqu’elle a grignoté et bétonné les collines environnantes.

Comme le souligne l’urbaniste Saloua Ferjani, la création de nouvelles routes appelle presque automatiquement à l’urbanisation des environs. On peut dès lors s’attendre à ce que les terres entourant le nouveau tronçon Borj Cedria-A1 et celles qui seront longées par le futur tronçon reliant les deux banlieues soient fortement sollicitées pour être classifiées « terres habitables » par le cadastre. D’après l’urbaniste, la partie ouest de la forêt, celle bordant Sidi Rezig et La Nouvelle Médina est la plus menacée par la fièvre urbanistique qu’entrainera la nouvelle voie, condamnant de fait l’espace aménagé pour le parc Farhat Hached. Celui-ci est d’autant plus menacé que ses infrastructures sont totalement laissées à l’abandon. La plupart d’entre elles ont été vandalisées en 2011 et n’ont pas été depuis réparées. Sa vétusté constitue un argument de choix pour en faire un lieu dont on pourrait se passer, au vu de l’utilité de la nouvelle route. Pourtant, la forêt de Radès constitue l’un des rares poumons de Ben Arous. Ce gouvernorat, le plus industriel du pays, ne peut se passer du peu de forêts et d’espaces verts qu’il abrite, seuls à même d’absorber le CO2 produit par les industries et le trafic routier. Le déboisement prévu par l’autoroute, ainsi que celui qui devrait assez naturellement suivre du fait de la fièvre urbanistique, sont de très mauvaises nouvelles pour les habitants. Si d’un côté, ils vont voir leurs déplacements en banlieue facilités puisqu’ils éviteront de passer par le centre de Tunis, ils assisteront sans doute à une baisse croissante de la qualité de l’air du fait du déboisement et du passage plus fréquent de voitures.

Dans une capitale où la majorité des automobilistes circulant durant les heures de pointe sont seuls dans leurs véhicules, occupant chacun en moyenne 7m² de voie, il est urgent de penser à des solutions autres que l’augmentation des voies rapides pour véhicules motorisés. Les moyens de locomotion moins polluants comme le vélo et les transports en commun restent aujourd’hui encore négligés par les autorités.