Déchets radioactifs | © Corbis

Nous avons récemment publié un début de série d’articles traitant de la question de l’énergie nucléaire. Dans le premier article, accessible ici, nous avons soulevé la question de la durabilité du nucléaire et de la validité de la solution nucléaire comme énergie pour le futur. Dans cet article, nous nous attarderons sur le danger sanitaire et environnemental que peut présenter cette forme d’énergie.

Parler d’absence de danger pour l’industrie nucléaire c’est comme parler d’«incident improbable», terme employé par des responsables de British Petrolium (BP) avant la catastrophe de la marée noire au large du golfe du Mexique fin avril 2010. En septembre 2009, BP avait refusé d’opérer un renforcement des règles de sécurité demandé par le MMS (Mineral Management Service). Le MMS est le service de l’administration américaine responsable de la délivrance des permis de forage. Même si une enquête est en cours pour identifier les responsables dans cette catastrophe, BP est déjà détenteur d’un lourd passif aux États Unis avec l’explosion de la raffinerie de Texas City en 2005 et la rupture d’un oléoduc en Alaska en 2006. Si la fuite du pétrole représente une catastrophe environnementale à conséquences économiques, sanitaires et biologiques désastreuses, les firmes pétrolières disposent au moins de moyens techniques, plus ou moins efficaces, qui permettent de pomper le carburant et de réduire sa prolifération. À la différence du pétrole, la radioactivité est invisible, inodore sans toutefois être indolore, et sa prolifération ne connait pas de limites spatio-temporelles. Il faut savoir qu’une exposition accidentelle à une forte irradiation tue les cellules et provoque des brûlures radioactives, la maladie et souvent la mort. Aujourd’hui, rien ne permet d’espérer qu’Areva serait plus crédible que BP.

Pis encore, l’industrie nucléaire est dangereuse même sans accidents. En effet, l’énergie nucléaire utilise une propriété intrinsèque mais dangereuse du minerai qu’est l’uranium, à savoir la radioactivité. La radioactivité est un phénomène physique naturel (ou provoqué) au cours duquel des noyaux d’atomes instables se désintègrent spontanément et dégagent des radiations diverses. Ces radiations perturbent le fonctionnement des cellules vivantes. Elles sont d’autant plus dangereuses qu’elles sont imperceptibles par nos sens ordinaires. Pire que la mort elle même, ce mal n’a ni odeur, ni couleur.

Ce danger se manifeste par l’irradiation, la quantité d’irradiation reçue par une matière est mesurable, on utilise une unité qui est le Sievert (Sv). Un sievert est une dose trop importante, on parle généralement en millisievert (mSv).

Dans leur périple dans le monde sombre de l’industrie nucléaire [1], quelques journalistes et scientifiques français de la CRIIRAD [2] ont prélevé des échantillons aux abords de sites nucléaires aux états unis, en France ou en Russie. Pour illustrer le danger que peut présenter le nucléaire, l’exemple de Muslimovo est éloquent : C’est dans ce village qu’est survenu un accident nucléaire, moins connu que Tchernobyl, il y a cinquante ans. Dans ce bourg de la Russie profonde, parcouru par la rivière Tetcha, vit aujourd’hui près de deux milles habitants. Les quelques familles qui y vivent sont concentrées sur les bords de la rivière, ils y plantent les légumes qu’ils mangent. Une des doyennes du village raconte ses souvenirs de ce 29 septembre 1957 où elle ramassait, avec ses camarades d’école, des pommes de terre quand soudain ils entendent une grande explosion. Tout s’est déroulé ensuite dans le secret absolu, aucune annonce ou information officielle n’a circulé. Le lendemain, on vient chercher les élèves à l’école, pour une “récolte particulière”. Les élèves ont reçu ordre d’enterrer les pommes de terre dans de grands trous fait par les tracteurs. Craignant la contamination, l’état a sommé la population de détruire toute sa récolte. Ce n’est qu’en 1995 (40 ans après) que la population a appris la vérité, après en avoir payé le prix fort : les cas de leucémies, stérilités et malformations se sont multipliés parmi la population.

Sous un pont régulièrement fréquenté par des pêcheurs de poissons, des scientifiques de la CRIIRAD ont noté, avec leur scintillomètre, des degrés d’irradiation trop importants le long de la Tetcha. Au dire même de l’adjointe au ministère de la sécurité nucléaire de la Province de Muslimovo, “La rivière Tetcha ne doit pas être utilisée pour l’agriculture, on en doit ni y boire, ni s’y baigner ni s’en servir pour cuisiner. Tout ce qui peut arriver à la population est de sa responsabilité”. Cet argument, typique des gouvernements qui veulent rejeter toute responsabilité sur leur population, est doublé d’un mensonge. Car on prétend aussi que l’accès à la rivière est interdit au public alors qu’aucun barbelé, aucune barrière ne bloque l’accès à ses rives. On y trouve même des vaches, des oies et d’autres animaux de fermes qui viennent s’y désaltérer.

Tous les ans, des médecins viennent constater le degré d’irradiations des aliments, lait de vaches, viandes, légumes… La consigne n’a pas évolué depuis cinquante ans : il ne faut pas consommer des aliments produits sur place. Quant à l’eau, peu de familles ont l’eau courante et la majorité de la population se voit ainsi obligée de boire de l’eau de la rivière. Pour relativiser, des officiels russes finissent par avouer qu’ils ont au moins, sous la main, une cohorte de cobayes sur laquelle ils mesurent à long terme les effets de la radioactivité !

Les analyses faites sur les échantillons de Muslimovo sont sans rappel. La terre ramassée sur les rives de la Tetcha contient l’élément le plus radioactif au monde : du plutonium 239 et 240 en plus du strontium 90 et du césium 137. Le poisson et le lait renferment du strontium 90 et du césium 137. Selon ces analyses, la consommation de 60 grammes de poisson par jour entraine une dose de 370 µSv/an. Il faut ajouter à ça les doses provenant de la consommation de l’eau, viande, lait…

Si on considère uniquement le lait. Pour un enfant de 1 à 2 ans, avec une consommation moyenne de 1 litre de lait par jour, la dose reçue serait de 1013 µSv/an ce qui dépasse la dose annuelle maximale de 1000 µSv/an recommandée par la Commission Internationale de Protection Radiologique [3]. S’ajoute à ceci les nombreux cas de cancer, leucémie, stérilité ou faiblesse cardiaque qui frappent la population.

Certains diraient que la Russie n’est certainement pas le meilleur exemple pour le respect des normes sanitaires et environnementales. Prenons des pays relativement plus orthodoxes en terme de ces normes : déjà dans les années 1980 et 1990, des études britanniques ont révélé une incidence nettement accrue de leucémies infantiles autour de sites nucléaires autour de Sellafield, Burghfield et Dounreay (Grande Bretagne). Les responsables politiques ont commencé par mettre en question la fiabilité de ces études évoquant des radiations bien inférieures (de 2 à 3 fois) au seuil critique pour être derrière ces leucémies. Certains détracteurs ont évoqué une population mixte et en mouvement, mais ces augmentations continuent à être observées sur des périodes plus longues.

Plus tard, en 2004, le CERRIE (Committee Examining Radiation Risks of Internal Emitters), un organisme indépendant, a passé en revue l’ensemble du problème et les documents relatifs pour conclure que des erreurs se sont additionnées quand à la méthode de mesure des doses de radiations reçues et que les vraies doses pourraient expliquer le taux de leucémies chez les populations au voisinage des centrales nucléaires.

Trois études épidémiologiques récentes ont relancé le débat sur le risque cancérogène au voisinage des centrales nucléaires. En Juin 2007, une étude très avancée de Baker et. al [4] de l’Université Médicale de la Caroline du Sud (États Unis) a permis de soutenir de nouveau l’idée que l’augmentation de leucémies a été corrélée à la distance des installations nucléaires. Les auteurs ont effectué une analyse détaillée de 17 documents de recherche portant sur 136 sites nucléaires au Royaume-Uni, Canada, France, États-Unis, Allemagne, Japon et Espagne. Ils ont constaté que les taux de mortalité pour les enfants jusqu’à l’âge de 9 ans ont été élevées par 5 à 24 pour cent, en fonction de leur proximité des installations nucléaires, et par 2 à 18 pour cent chez les enfants et les jeunes jusqu’à l’âge de 25 ans.

Une autre étude allemande récente, demandée par le ministre allemand de l’environnement Sigmar Gabriel [5], a fourni des preuves plus directes et poignantes sur ce danger lié aux installations nucléaires. Cette étude est d’autant plus importante qu’elle met en évidence une relation directe entre la distance et l’augmentation des cas de leucémie.

En Juin 2007, Hoffmann et al [6] ont publié une autre étude allemande. Les auteurs ont trouvé 14 cas de leucémie chez les enfants vivant à moins de 5 km de la centrale nucléaire de Krümmel Geesthacht et du centre de recherche nucléaire situé au nord de l’Allemagne. Les 14 cas de leucémie observés sont à comparer à 0,45 prédit sur le même échantillon en se basant sur des statistiques nationale (soit un rapport de 1 à 31).

En 2008, deux études par Spix et al [7] et Kaatsch et al [8] ont porté sur 16 grands sites de réacteurs nucléaires en Allemagne entre 1980 et 2003, et examiné 1.592 enfants de moins de cinq ans atteints de cancer. Les résultats sont sans rappel: 60% d’augmentation de cas de cancer et 117% d’augmentation de cas de leucémie au voisinage des centrales nucléaires. L’étude met aussi en évidence une corrélation nette entre distance au site nucléaire et l’augmentation du risque de cancer ou de leucémie.

Les déchets nucléaires sont ainsi le premier lot de la contamination nucléaire. Il est aussi important d’étudier les rejets directs, liquides et gazeux, des centrales nucléaires. Même en France, les centrales nucléaires dégagent inévitablement une multitude d’éléments radiotoxiques. Lors des opérations de cisaillement et de dissolution de combustible nucléaire usé dans le site de la Hague, du krypton 85, un rejet gazeux hautement toxique est libéré dans l’atmosphère. Quant aux mousses terrestres entourant le site, elles contiennent une quantité trop importante en iode 129. Cet élément radioactif, dont la période est de près de 16 millions d’années, est libéré dans l’atmosphère ainsi que dans la manche. Car après la signature par les états membres de la commission européenne de la convention OSPAR [9] pour l’atlantique du Nord-est, il est interdit de rejeter des déchets nucléaires directement depuis les bateaux. Les têtes pensantes d’Areva, dans une démarche honnête et constructive, visant à améliorer ses procédures et à protéger davantage l’environnement, a trouvé la solution, il suffit de le faire à partir des côtes. C’est en 1997 et 1999 que Greenpeace a dévoilé la vérité sur un conduit sous marin mis en place par Areva pour rejeter ses fûts radiotoxiques à deux kilomètres des côtes et à quarante mètres de profondeur via une conduite sous-marine secrète. Des plongeurs de Greenpeace avaient filmé la scène et sont allés même jusqu’à prélever des échantillons pour les faire analyser par la CRIIRAD. Les taux de radioactivité dans l’eau, le sol et l’atmosphère étaient de loin supérieurs à la normale. Dans l’hémisphère nord, la moyenne de la radioactivité est de 2 Bq/m3. Dans l’atmosphère entourant le site de la Hague, la radioactivité atteint 90000Bq/m3. Quant au sol autour du centre de retraitement, il contient une radioactivité avoisinant les 260000 Bq/m3. À titre de comparaison, l’OMS [10] fixe un seuil de 100 Bq/m3.

Les chiffres sont plus qu’éloquents. Ces faits ont été révélés dans des pays historiquement, culturellement et économiquement différents qui sont les États Unis, la Russie et la France. La manière dont les déchets nucléaires et les rejets de fûts radiotoxiques sont gérés est dominée par le secret. Il semble que l’industrie nucléaire ne peut pas faire mieux avec ses déchets et ses rejets radiotoxiques intrinsèques à son activité, alors elle dissimule les travers de cette énergie fort polluante et dangereuse à la vie humaine et animale.

Pour finir, et donner une preuve récente de la gestion désastreuse des déchets nucléaires menée par Areva et ses partenaires, la société SOCATRI-AREVA a été accusée d’avoir déversé environ 75 kilos d’uranium dans deux rivières, le 8 juillet 2008, soit en une seule journée la quantité maximale autorisée pour 27 années. Le 14 octobre 2010, le tribunal correctionnel de CARPENTRAS a condamné AREVA-SOCATRI à une peine de 40.000 euros d’amende. Le jugement est consultable en ligne sur internet [11].

Un autre danger dont il faut tenir compte est le risque lié au transport du combustible nucléaire en général et le MOX en particulier. En effet, ce dernier combustible hautement toxique doit être transporté depuis les usines de MOX jusqu’aux centrales nucléaires. En Tunisie par exemple, si une centrale nucléaire voyait le jour, il faudrait prévoir de lui fournir du MOX qui proviendrait probablement de l’usine de Marcoule au sud français. Se pose alors la question des risques encourus dans le transport de cette matière radiotoxiques tout au long de son trajet sur la méditerranée ainsi que sur le territoire tunisien. Posons nous les questions suivantes: si en France, pays démocratique ou la presse et l’information sont libres, ou les contres pouvoirs sont multiples et puissants, la gestion de l’industrie nucléaire est si désastreuse pour l’environnement, comment serait sa gestion en Tunisie si une centrale y voyait le jour? Quel serait le poids de la santé des populations locales et de leur environnement dans l’équation du profit des industriels et des corrompus de tout bord?

Ayoub Massoudi

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1- “Déchets, le cauchemar du nucléaire”, Laure Noualhat, préface d’Hubert Reeves
2- http://www.criirad.org/
3- http://www.icrp.org/
4- Baker PJ and Hoel D (2007) Meta-analysis of standardized incidence and mortality rates of childhood leukaemia in proximity to nuclear facilities. European Journal of Cancer Care. 16, pp 355-363. July 2007.
5- BfS (2007) Unanimous Statement by the Expert Group commissioned by the German Federal Office for Radiation Protection (BfS) on the KiKK Study (in German, no English version available) 5 Dec 2007. www.bfs.de/de/kerntechnik/papiere/Expertengremium.html
6- Hoffmann W, Terschueren C, and Richardson DB (2007) Childhood Leukemia in the Vicinity of the Geesthacht Nuclear Establishments near Hamburg, Germany. Environmental Health Perspectives. Vol 115, No 6, June 2007. www.ehponline.org/members/2007/9861/9861.pdf
7- Spix C, Schmiedel S, Kaatsch P, Schulze-Rath R, Blettner M (2008) Case-control study on childhood cancer in the vicinity of nuclear power plants in Germany 1980 – 2003. Eur J Cancer. 2008 Jan; 44(2) pp 275-84.
8- Kaatsch P, Spix C, Schulze-Rath R, Schmiedel S, Blettner M (2008) Leukaemia in young children living in the vicinity of German nuclear power plants. Int J Cancer. 2008 Feb 15; 122(4) pp 721-6.
9- www.ospar.org
10- Organisation Mondiale de la Santé (www.who.int)
11- http://groupes.sortirdunucleaire.org/IMG/pdf/TGI_CARPENTRAS_14_10_2010.pdf