À quelques mètres du prestigieux local de l’Instance Vérité et Dignité, une autre instance aussi importante et jouissant du même statut constitutionnel se cache dans l’ancien siège de la banque de l’Habitat, situé avenue Kheireddine Bacha à Tunis. Il s’agit de l’Instance nationale pour la prévention contre la torture (INPT), inscrite dans le journal officiel en juillet 2016 suite à la loi organique n°43 du 23 octobre 2013. Ses membres dénoncent un blocage administratif et l’absence de toute volonté politique pour qu’elle soit effective et indépendante.
Au troisième étage du vieux bâtiment, géré depuis 2011 par la présidence du gouvernement, les membres de l’INPT, qui ont prêté serment depuis le le 5 mai, devant le chef du gouvernement, se réunissent quotidiennement dans une petite salle délabrée aux couleurs grisâtres. Dans un couloir mal éclairé, ils ont accès à seulement cinq bureaux collés à d’autres administrations étatiques. Sans fenêtres, sans portes sécurisées, sans équipements et sans même un service sanitaire décent, les membres de l’INPT sont complètement isolés. « Nous ne pouvons pas accueillir des citoyens ici. Nous n’avons donc pas commencé à recevoir les plaintes », affirme Noura Kouki, avocate et membre de l’ l’INPT.
Si l’Instance reçoit quotidiennement des appels de détresse venant de tout le pays, elle ne dispose pas encore de voitures et d’équipements appropriés pour accomplir sa tâche de suivi et de contrôle. « Malgré tout, nous avons effectué deux visites surprises dans des centres de détention et deux autres visites en coordination avec les autorités dans différentes régions. L’absence de sécurité et d’un minimum de mesures de confidentialité dans notre local nous empêche d’aller plus loin », regrette Mme Kouki, et d’ajouter : « nous gardons tous les documents et même les brouillons dans nos sacs, de peur qu’ils soient utilisés par d’autres personnes ». Devant un des bureaux voisins, la lumière est allumée. « Nous ne savons pas qui pourrait être ici et ce qu’il fait », chuchote l’avocate avec méfiance.
La Tunisie a ratifié, le 29 juin 2011, le protocole facultatif qui se rapporte à la Convention internationale contre la torture. De ce fait, la Tunisie s’est engagée à effectuer des réformes judiciaires et mettre en place des outils majeurs pour la protection des droits humains et la prévention de la torture. Selon l’article 1 de la loi organique n°43 du 23 octobre 2013, l’Instance nationale de prévention contre la torture doit être « dotée de la personnalité morale et de l’autonomie administrative et financière ».
« Nous avons travaillé avec la conviction qu’une fois les six premiers mois passés, les autorités seront à la hauteur de leur engagement. Mais ça n’a pas été le cas. La première déception s’est produite quand Youssef Chahed a refusé de donner suite à nos demandes de réunions. La suivante, quand la ministre des Finances, Lamia Boujnah Zribi, n’a pas assisté à une réunion prévue avec notre bureau, sans pour autant ni prévenir, ni s’excuser, ni reporter la rencontre » dénonce Noura Kouki.
Les membres de l’INPT ont déposé un premier projet de budget au ministère des Finances en juin. En septembre, le ministère a demandé de réécrire le projet en combinant les budgets de 2016 et 2017 dans un seul et nouveau budget. Le 5 octobre, l’Instance a présenté un nouveau budget après l’avoir négocié avec un fonctionnaire du ministère des Finances. Quelques semaines plus tard, l’INPT a reçu des informations affirmant qu’aucun budget indépendant ne lui a été réservé et que des allocations financières déduites du budget de la présidence du gouvernement seront mises à sa disposition.
Pour dénoncer les agissements du gouvernement, les membres de l’INPT ont organisé des conférences de presse depuis le 25 octobre et ont invité la société civile à visiter leur local. « Nous demandons une réponse claire sur le budget de 2016 – 2017. Celui de l’année 2018 doit absolument être indépendant et adéquat aux besoins de nos missions. Nous avons aussi besoin, le plus rapidement possible, d’un local sécurisé et bien équipé. Mais le plus urgent est d’accélérer la publication de tous les décrets nécessaires concernant l’Instance », affirme Noura Kouki. Et si le gouvernement ne répond pas à ces demandes ? « Nous sommes prêts à aller plus loin ! Nous suspendrons l’instance et nous déposerons une démission collective si nécessaire », menace Hamida Dridi, présidente de l’Instance.
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