Vous ne savez pas ce que c’est, d’avoir si soif et de ne pas avoir le droit de boire quand l’eau est sous vos yeux, belle, salvatrice, à portée de lèvres. L’eau se refuse, à vous qui venez de traverser le désert, pour ce motif incongru que vous n’êtes pas à son goût. Cosmétique de l’ennemi (2001), Amélie Nothomb
Mahdia, 27 juillet 2016. A deux rues de la zone touristique au nord de la ville, le soleil commence à peine à disparaître derrière l’horizon. Dans une résidence de la corniche, des vacanciers s’activent à remplir des bouteilles d’eau avant la tombée de la nuit.
Le concierge prévient qu’à partir de minuit il n’y aura plus d’eau courante « Il faut faire des réserves car jusqu’à 5h du matin toute la résidence sera privée d’eau, faites vite ». Il explique qu’«Il y a des travaux de maintenance dans toute la ville, ce n’est pas notre faute, c’est la SONEDE». Deux heures plutôt que prévu, à l’heure où chacun vaque à ses occupations, au petit coin, sous la douche, ou devant un tas de vaisselle quand soudain plus d’eau dans les robinets. La résidence est à sec.
Tout le monde paye le prix
Tôt le matin, le quartier se remet petit à petit d’un nouvel épisode de coupure d’eau. Dehors, la chaleur commence à se ressentir. L’épicière du coin est assise sous la clim de son magasin à peine éclairé. Elle rêve devant un petit écran fatigué. Lassée des coupures d’eau répétitives, elle semble résignée « La SONEDE ne prévient pas. Ça fait déjà un bon bout de temps et on n’y peut rien. Ils disent que c’est pour limiter la consommation ». Elle encaisse 700 millimes pour la bouteille d’eau d’un litre et demi avant de reprendre « J’ai pris l’habitude de remplir des bouteilles dans la journée, au cas où. Je prends mes précautions, on ne sait jamais. » Elle monte le son de sa petite télé, et continu à regarder son feuilleton turc en marmonnant « j’en sais rien moi, ils disent qu’il y a des travaux. On n’y peut rien, y’a rien à faire ».
Il est presque midi et la cafétéria du coin est toujours fermée. Quelques minutes plus tard, au carrefour de la rue qui descend vers la corniche, le propriétaire d’un pas pressé s’y dirige, dans tous ses états : «Satanées coupures, si ça continue comme ça je vais devoir mettre la clé sous la porte ! … ça pourrait aller mieux si je n’avais pas à réparer ma machine à café au moins 3 fois par mois, à cause de ces coupures d’eau» Il est exaspéré «encore heureux, aujourd’hui ça m’a coûté 30 dinars, d’habitude ce n’est pas moins de 50. Hamdoullah ! c’est tout ce que je peux dire. » .. « Qu’est-ce qu’il me reste moi ? 600 millimes l’express, je survis à peine ». Il allume sa télé branchée sur la transmission en direct de courses de Formule 1, se prépare un express bien serré et se presse d’allumer sa cigarette qu’il finit en deux taffes.
A l’heure où certains font la sieste ou vont à la plage, les habitants de la résidence redoublent d’effort pour gérer l’eau emmagasinée la veille ou pour se constituer de nouvelles réserves. La ruée vers l’or bleu se poursuit tard dans d’après-midi. Petit à petit, les habitants alarmés s’apprêtent une fois de plus à attendre jusqu’à l’aube. Le débit d’eau commence à diminuer annonçant le début d’un nouvel épisode de coupure.
Au restaurant : y’a pas d’eau, je vous préviens !
Ce soir-là, au tournant de l’épicerie, juste à côté du vendeur des Fruits secs de la soirée, un restaurant populaire grouille de monde. « Bonsoir qu’est-ce que je vous sers ? Il ne me reste que des makloubs chawarma et de la pizza ». Les clients forment presque une chaîne humaine devant le caissier débordé. Il passe les commandes à un rythme effréné « Y’a pas d’eau, je vous préviens ! ». A 21h, l’eau est déjà coupée !
Il quitte son poste pour tendre une bouteille « Tenez mademoiselle, je vais vous verser de l’eau, allez-y ! Prenez le savon ». « C’est comme ça tout l’été à Mahdia. Ils font des travaux pour remédier à la consommation excessive et aux pannes techniques de la SONEDE, disent-ils. » il continue, convaincu « En même temps c’est vrai, l’été c’est bondé ici. Des Tunisiens, des Algériens…Et d’autres. Du coup, l’usage nous est limité. » Il n’est que 21h30. Il poursuit « On en souffre certes mais on n’y peut rien, il faut s’adapter, on remplit des bouteilles, on survit. Kahaw ! [c’est tout] »
Dans la zone touristique, les hôtels n’ont pas ce problème. Souheil, banquier, 42 ans, explique que « Ça dure depuis cinq ans, principalement à Borj Errass au cœur de la vielle ville. ça commence fin mai avec des coupures nocturnes, mais depuis début août, les coupures ont tendance à se rallonger». Les habitudes changent, « Ma famille, comme d’autres, a remis en service le Majel [réservoirs d’eaux pluviales traditionnels], ça évite d’être à sec » !
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