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« Nous débutons cette édition avec les évolutions du dossier sécuritaire à Kasserine », c’est ainsi que le présentateur Taieb Bouzid a introduit le journal télévisé (JT) de 20h de la Watania 1 du mardi 19 janvier 2016. Il a ensuite relayé le communiqué du ministère de l’intérieur décrétant le couvre-feu à Kasserine.

L’information est certainement, importante voire même capitale. Mais le reportage qui a suivi cette brève vient confirmer la couleur annoncée. La question sécuritaire s’avère prioritaire pour la rédaction du JT de la première chaîne du service public. Les émeutiers en action et les bureaux du siège du gouvernorat vandalisés en sont les premières images. La voix off en parle tout en évoquant « une attaque contre la caserne de la Garde Nationale ». Que des faits tronqués. Leurs causes- le pourquoi -sont zappés. La tendance sécuritariste domine également le reste du reportage.

Indignés anonymisés et faux bilan

Le premier témoignage du reportage est celui de M. Chedli Bouallègue, gouverneur de Kasserine. Ensuite, la parole est accordée à deux membres du groupe en sit-in de protestation au gouvernorat, qui ont insisté sur le caractère pacifique de leur action et ont dénoncé l’intrusion des casseurs. Contrairement au gouverneur, les deux protestataires, un homme et une femme, sont restés anonymes, sans carton de présentation en bas de l’écran. Pourtant, le premier des deux n’est autre que Wajdi Khadhraoui, le porte-parole du groupe en sit-in. Le choix de la rédaction du JT est manifestement réducteur à l’égard des indignés de Kasserine.

Ensuite, place à la désinformation. En voix off, la reporter Nadia Retibi a dressé un bilan de « source médicale » : 2 blessés, un parmi les manifestants et un parmi les forces de l’ordre. Or, le bilan relayé par la majorité des médias tunisiens et internationaux est de 14 blessés. Vérification faite en remontant à la source initiale : Il s’avère que c’est un bilan officiel annoncé par le gouverneur de Kasserine. Et ce n’est pas tout. «Au niveau de la main», précise la reporter au sujet du policier blessé sans spécifier quoi que ce soit au sujet du manifestant. Aux oubliettes l’égalité de traitement des acteurs d’un même événement.

Le pouvoir au micro

La couverture des contestations de Kasserine de cette édition du JT, d’une durée globale de 13 minutes, a vacillé entre sécuritarisme et institutions de l’Etat. Les deux autres pages consacrées à cette actualité sont un compte rendu des réactions parlementaires et une interview de M. Khaled Chouket, ministre porte-parole du gouvernement. Le compte rendu a annoncé la décision du président du de l’Assemblée des Représentants du Peuple, M. Mohamed Ennaceur, de visiter Kasserine, en compagnie d’une délégation parlementaire, suite à une réunion avec les élus de cette circonscription. Ce n’est qu’à ce moment que la question du « chômage, de la pauvreté et de la marginalisation » est évoquée.

Quant à l’interview avec Khaled Chouket, elle a commencé avec la question : « Comment gérez-vous la situation sécuritaire ? ». L’obsession est à son comble. Tout au long du reste de l’interview, le porte-parole du gouvernement a esquivé les questions du présentateur. Après moult recadrages, Taieb Bouzid fini par s’exclamer : « Vous ne répondez pas aux questions ». Une interjection qui aurait pu être évitée si la rédaction n’avait pas invité un responsable qui n’a rien à apporter d’un point de vue informatif.

Durant les 13 minutes consacrées aux contestations à Kasserine, les pouvoirs législatif et exécutif se sont exprimés alors que les principaux acteurs, les diplômés chômeurs, sont restés en sourdine. De quoi rappeler que les médias du service public, la Watania 1 en l’occurrence, ne se sont toujours pas débarrassés des séquelles de la mainmise du pouvoir politique sur les rédactions tout au long des décennies de la dictature. Du moins, ils n’ont toujours pas coupé le cordon ombilical qui les lie au Palais de la Kasbah et à la bâtisse grise de l’avenue Bourguiba.