Chokri Soltani, 14 ans, accompagnait Mabrouk Soltani, son cousin de 16 ans, à Jebel Mghila, (délégation de Jelma, Sidi Bouzid) pour une journée de pâturage ordinaire. En chemin, ils croisent trois individus armés qui les ligotent, avant de décapiter Mabrouk. Sous la menace, Chokri est contraint de rentrer avec la tête de son cousin dans un sac en plastique. Plus d’une semaine après, l’onde de choc de cet horrible assassinat est entretenue par des médias dominants prêts à toutes les dérives.
Dans un communiqué rendu public le samedi 14 novembre, le ministère de la Santé annonce qu’une équipe d’assistance devait prendre contact avec la famille de la victime. L’équipe est composée d’un pédopsychiatre, d’un psychologue, du délégué régional de l’enfance et de plusieurs cadres des ministères de la Femme, de la Santé et des Affaires sociales. Elle est chargée d’assurer un accompagnement, un soutien et un suivi des proches de la victime.
La psychologue et la pédopsychiatre se sont rendues chez les Soltani moins de 24 heures après l’assassinat de Mabrouk. Ils ont discuté avec, Chokri et sa famille ainsi que la famille de son cousin. Ils leur ont fourni un numéro de téléphone à joindre s’il y a dégradation de l’état psychologique.
La Tunisie n’est pas à sa première expérience avec le terrorisme. Ce n’est pas la première équipe d’assistance psychologique à intervenir auprès des victimes. Le gouvernement n’est pas à sa première promesse. Ce n’est pas la première famille de martyr à qui il promet l’amélioration de l’habitat et des primes de subsistance. Ce n’est pas le premier village situé à proximité des montagnes et zones frontalières intégré dans “un plan national global de défense des citoyens” de Habib Essid. Ce n’est pas le premier enfant à qui l’État avait promis un encadrement psychologique en raison de l’exposition au terrorisme de sa région.
Le Bardo et Sousse
Avec le ministère de la Santé, Dr. Souhail Bannour et une équipe de 20 psychiatres et psychologues se sont déplacés à l’hôtel Impérial Marhaba à Sousse, quelques heures après l’attentat. Le travail a commencé par le repérage des personnes ayant assisté au carnage, afin d’identifier les cas qui pourraient révéler des traumatismes chroniques. Ils se sont partagés sur les hôpitaux et les cliniques. Une équipe est restée sur place. Le corps médical a entamé des débriefings individuels ou de groupes au personnel de l’hôtel. Les professionnels des hôpitaux et du SAMU ont, aussi, eu droit à une assistance psychologique. La cellule a lancé un appel aux témoins, voisins de l’hôtel pour leur offrir une prise en charge. Une autre cellule a été constituée à la morgue de l’hôpital Charles Nicole pour assister les familles des martyrs lors de la reconnaissance des corps.
Pour éviter aux familles de voir les corps, nous avons demandé des photos. Nous avons ensuite séparé les corps d’hommes de ceux des femmes, et nous procédions nous-même à une première identification. Puis, l’équipe prenait en charge la préparation psychologique des familles, en leur donnant le plus de détails sur ce qui s’est passé avant de les accompagner pour reconnaitre les corps de leurs proches, explique Dr. Annissa Bouasker.
Comme pour l’attentat de Sousse, une équipe d’assistance psychologique a été mise en place au musée de Bardo. « C’était nouveau comme action en Tunisie et ce n’était pas évident à gérer. Notre tâche était d’identifier les personnes sous le choc pour les orienter et les aider », ajoute Annissa Bouasker, volontaire au musée dès les premières heures. Le travail consistait à calmer les rescapés et à essayer d’avoir le plus d’informations.
Il fallait qu’on ait les bons réflexes dans une situation de crise. Nous avons donc collaboré avec la police et le ministère de la Santé, pour pouvoir renseigner les familles des victimes. Ce n’était pas facile surtout que nous étions à la première expérience. Les professionnels aussi devaient être pris en charge. Nous faisions des séances de débriefing entre nous pour discuter de ce qu’on a vu, confie la psychiatre.
Retour au Bardo
Huit mois après l’attentat du musée de Bardo, l’ambiance est encore tendue. Dès la porte d’entrée, les forces de l’ordre interpellent tous les passants, avant de procéder à la fouille de ses affaires. Au niveau de la grande porte en verre, un dernier check point policier juste avant la billetterie. C’est au tour des hôtesses d’accueil de vérifier le ticket et de passer le visiteur au détecteur de métaux. « Je sais que vous avez déjà été fouillée, mais je ne peux que recommencer », s’excuse la jeune hôtesse. Dans le hall d’entrée qui mène à plusieurs salles, les murs sont hantés par les impacts de balles, les vitres encore brisées et un silence pesant. « C’est par cette salle du premier étage que beaucoup d’otages ont pu échapper à la mort. Cette fenêtre les a sauvés », décrit le guide, la gorge serrée. Cet homme de 40 ans avance vers ce qui était le harem du Bey. « Il avait quatre femmes. C’est pour ça que la salle a quatre ailes », explique-t-il comme pour détourner le regard des visiteurs des impacts de balles.
A coté des grands escaliers, un groupe de sept ouvrières discute. Huit mois après le drame, elles sont encore sous le choc. Ce sont elles qui ont débarrassé le musée des flaques de sang des victimes tombées sous les balles. « A chaque fois que j’entends un bruit, même chez moi, je suis terrorisée », chuchote Khadija1. Samira, la plus jeune d’entre-elles se souvient que deux jours après l’attentat, un groupe de trois psychologues avait fait une séance collective aux employés. « Vous pensez- que c’est normal ? », s’interroge Samira. « Les psychologues sont revenus une semaine après. Depuis, nous ne les avons plus revus », déplore-t-elle.
Les yeux s’emplissent de larmes à chaque fois que les ouvrières se remémorent cette journée. Pour Fatma, le pire, c’était la cérémonie de réouverture du musé. « Le lendemain de notre reprise du travail, ils ont organisé la réouverture. Nous étions encore dans un sale état, totalement désorganisés, avec tout ces morts et tout… et Sihem Belkhodja était venue danser », dit-elle en cachant mal sa colère. Pour Fatma et ses collègues le temps s’était arrêté ce 18 mars 2015.
Pour les moins chanceux, les séquelles psychologiques de l’attentat ont changé le cours de leur vie. Faute de prise en charge adéquate, deux ouvrières « Khalti Jamila et Bassma sont les plus affectées d’entre nous. Elles sont très déprimées. Elles n’arrivent même plus à venir au boulot. Elles se font suivre, à leurs frais, à l’hôpital psychiatrique du Razi. Et en plus, elles n’ont pas reçu leurs salaires depuis trois mois. Bassma se met à pleurer à chaque fois qu’elle entre au musée », raconte Fathia, une jeune employée.
Elhem, blonde la trentaine, est encore plus amère sur la prise en charge des victimes du terrorisme. Les vitres de sa voiture ont volé en éclats le 18 mars. Elle attend toujours, le remboursement des frais de réparation. Que dire de réparation psychologique ou « une indemnisation de l’Etat des survivants des attentats terroristes comme dans les pays développés » soupire Fatma
Note
1. Les prénoms des employées du musée de Bardo ont été modifiés.
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