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Ceux qui font une révolution à moitié creusent leur propre tombe. Saint Just, lors de la révolution française.

Dimanche 2 novembre, le nouveau paysage politique se dessine à vitesse grand V. C’est à Monastir que Béji Caïd Essebsi a décidé de lancer sa campagne électorale, lors d’une grande messe presque superstitieuse, au milieu des tombes, face au mausolée de Bourguiba, comme pour mieux signifier qu’en réponse à la peur du présent, on invoque un passé paternaliste. Au même moment à Tunis, Avenue Bourguiba et dans une salle du Colisée chauffée à blanc, des Tunisiens dont on ne peut pas dire qu’ils sont « islamistes » scandent en chœur « A bas le parti du Destour, à bas le bourreau du peuple », « Fidèles, fidèles au sang des martyrs », « Non au retour non à la liberté pour la mafia destourienne » ou encore « Ni RCD, ni Nidaa ».

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D’aucuns soulignent que la difficulté pour la candidature Marzouki sera d’adapter ce discours et ces slogans issus de la révolution du 14 janvier à la nouvelle donne tunisienne : une réalité faite de banalisation du retour à un ordre ancien, à l’issue de trois années où l’on a cultivé la peur de l’autre, comme l’explique Gilbert Naccache, mais aussi au terme de trois ans de vie chère associée à l’après révolution.

Calmes en apparence, les élections législatives se sont déroulées sous le joug d’une insidieuse peur panique. Peur irrationnelle de l’avènement de l’intégrisme type Daech en Tunisie, et peur plus rationnelle du retour d’Ennahdha à la clandestinité et aux prisons, au moment où le régime militaire égyptien autorise par décret les tribunaux militaires à juger des civils et emprisonne à nouveau Alaa Abdel Fattah.

A Monastir, le mimétisme avec l’Egypte d’al Sissi est poussé jusqu’à la reprise du slogan simpliste « Vive l’Egypte » (tahiya Massr) en slogan de campagne présidentielle de Béji Caïd Essebsi « Vive la Tunisie ». Le patriotisme comme cache-misère de l’indigence des idéaux ?

Pour comprendre quelle Tunisie on exalte, il suffit d’écouter la dernière intervention de l’octogénaire sur Nessma TV où il déplore le déboulonnage des statues de Bourguiba dans les rues tunisiennes. Un fétichisme qui est loin de gêner Olfa Youssef et le producteur Tarak Ben Ammar, invités de marque ce dimanche au meeting de Monastir.

Entre instinct de survie et lâcheté politique

S’il a fallu le score Nidaa que l’on sait pour que les langues se délient côté supporters de Marzouki, côté Ennahdha on temporise toujours, en parfaits stratèges pragmatiques, avant de déclarer ou non le soutien du parti à l’un des candidats à la présidentielle. Même attente politicienne chez Nidaa où l’on attend de découvrir les résultats de la présidentielle pour trancher sur l’éventualité d’un gouvernement d’union nationale et avec qui.

Force est de constater que le cynisme politique n’émeut pas l’électeur tunisien. Hors Nidaa et ses 85 sièges, Ennahdha ne perd au final « que » 20 sièges par rapport à 2011. Politiquement, le parti peut se targuer d’avoir fait mieux que survivre à la crise régionale des révolutions arabes. Ethiquement en revanche, sa posture frileuse et confuse est la rançon de la pérennisation de son intégration à la politique mainstream. Une posture hésitante qui confirme qu’Ennahdha n’a pas, à l’image de son programme économique libéral, un ADN révolutionnaire.

Des épines dans le jasmin

Qu’en est-il de l’extrême gauche, quatrième du dernier scrutin ? Ce weekend, Mongi Rahoui a brisé le silence en affichant ouvertement son soutien au candidat Béji Caïd Essebsi à la présidentielle, au nom de « la stabilité institutionnelle » qui nécessite selon Rahoui « une institution de la présidence de la même couleur politique que la nouvelle majorité parlementaire »…

Non seulement la gauche radicale tunisienne espère donc gouverner aux-côtés de ses ex bourreaux destouriens, mais cette gauche où le Watad unifié souffle le chaud et le froid fait par la même occasion l’apologie de l’ordre et de « la stabilité ».

Un cas d’école énième épisode de l’échec de la gauche tunisienne à s’inventer un projet en adéquation avec les objectifs de la révolution de la dignité. Une autre gauche, autrement plus morale, n’écarte pas le scénario d’une dissolution.

En renouant avec ses démons éradicateurs, une partie de la classe politique pousse le pays au clash. Si un RCD remanié concentre à nouveau demain les pouvoirs législatif et exécutif, toute la violence jusque-là contenue pourrait alors exploser mettant un terme au mythe de la paix civile bien de chez nous.