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Dans un climat d’incivisme politico-médiatique, la HAICA a livré les résultats de son monitoring sur le respect du pluralisme, en période électorale. L’exercice démocratique semble toujours aussi laborieux. Habitués à véhiculer les idées dominantes, les médias ont eu du mal à passer outre propagande. Plus que les radios, ce sont les télévisions, nous dit-on, qui continuent à jongler avec la bipolarisation, la manipulation et le degré zéro du journalisme.

Commençons par le genre dont les statistiques intéressent si peu les politiques et les journalistes. A sa première semaine, l’observation de la couverture du processus électoral, montre que les femmes (qu’elles soient candidates ou actrices politiques non-candidates) ne sont pas très visibles dans les médias. C’est à se demander si ce désintérêt n’est pas du à l’exclusion de la parité horizontale de la loi électorale. On avait espéré que l’Isie allait se rattraper, mais l’arrêté du 5 juillet 2014, ne fait aucune référence spécifique à la prise en compte de la dimension genre.

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Ce qui contredit, en fait, l’esprit des Cahiers des charges de la HAICA engageant les titulaires des licences de diffusion à « protéger les droits des femmes et à rompre avec les stéréotypes médiatiques ». Ainsi, côté télévision, Tounesna TV leur a réservé 23,6% de taux d’antenne, suivie de Nessma TV avec 19,0% et Hannibal TV avec 12,7%. Quant aux radios, c’est Mosaique FM qui vient en tête avec 20,6%, suivie par Express FM avec 17,6%.

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Il ressort, également, du rapport du régulateur que le principe d’équité n’a pas été respecté. Pourtant, la règle est plutôt souple, puisqu’il est question d’ « égalité ajustée» concernant l’accès des listes candidates aux médias audiovisuels. Autrement, les candidats et les partis ont droit à une place, au moins proportionnelle à leur présence sur la carte électorale, sur le plan de la couverture médiatique. Cet équilibre est détaillé dans l’article 9 de la Décision conjointe Isie-HAICA qui découpe les quotas en quatre catégories. Concernant les médias télévisés, dans la catégorie A, sur un total de 53,51% de temps d’antenne, c’est le parti Ennahdha qui se taille la part du lion, avec 9,51%, suivi par Nidaa Tounés 6,30% et Al-Joumhouri 5,57%. Dans cette liste, le mouvement Wafa est classé 14éme et dernier, avec 1,40% de temps d’antenne. Dans la catégorie B, l’Union pour la Tunisie domine, avec 5,54%. Alors que dans la catégorie C, c’est le mouvement Al-Majd qui vient en tête, avec 2,16%. Enfin, dans la catégorie D, la liste Tounés El Aziza obtient 3,9% sur un total de 27,86% de temps de parole.

TV: Temps d’antenne global consacré aux divers acteurs politiques sur toutes les chaînes

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Par ailleurs, les télévisions ont réservé 50,1% de temps d’antenne aux listes candidates, 40,3% aux politiques non-candidats, 8,3% au gouvernement et quelques miettes à l’ANC et au président de la République. Des pourcentages qui en disent long sur la tendance des médias à exacerber les opinions majoritaires réfractaires les unes aux autres. On notera, ainsi, que 49 listes candidates, hors catégorie, ont eu droit à moins de 1% sur un total de 54 heures, 22 minutes et 33 secondes de temps d’antenne. Finalement, en gros, la moitié du temps de parole politique a été donné aux pouvoirs en place. Étrangement, des télévisions hors-la-loi, comme Al-Insane Tv, Zitouna TV, Tounesna TV et Al-Janoubia TV, ont été, elles aussi, monitorées. On se demande si ces chaînes polarisées n’ont pas contribué à ce basculement vers la majorité régnante. Contrairement aux radios observées, toutes en règle avec la HAICA, qui ont nettement mieux respecté le principe d’équité, avec 66,8% de temps de parole accordée aux listes candidates.

TV: Temps d’antenne global consacré aux divers acteurs politiques sur toutes les chaînes

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Des lois atrophiées qui garrottent le régulateur

Selon Rachida Ennaifer, membre de la HAICA, ce déséquilibre est dû, essentiellement, à la concomitance des deux campagnes électorales, législative et présidentielle. Les chaînes télévisées ont même accordé de l’espace à la présidentielle, alors que celle-ci ne démarre, officiellement, qu’en novembre 2014. En l’occurrence, l’interview de Moncef Marzouki par Bernard de la Villiardière, dans une émission sur « Le trésor caché du dictateur », diffusée, le 12 octobre 2014, sur la chaîne française M6, qui a suscité la polémique. Et pour cause ! Non seulement, cette interview a enfreint l’article 15 de l’arrêté conjoint Isie-HAICA (à cause du timing de l’émission bien évidemment), mais de surcroit, le journaliste Bernard de la Villiardière est cité dans « Le Livre noir des médias », celui-là même qui a été édité par la présidence de la République. La polémique a enflé, lorsque le président-candidat s’est avisé de répondre aux critiques, dans l’émission de Samir El Wafi, sur Al-Hiwar Ettounsi TV, squattée par Ettounissiya TV, depuis que Tahar Ben Hassine a cédé ses parts à ses nouveaux associés. Au vu des dispositions des Cahiers des charges sur l’engagement du titulaire de la licence, cette opération ne semble pas très réglementaire!

En tout état de cause, quand c’est un président de la République droit-de-l’hommiste, qui déroge à la règle et à l’éthique, en se produisant face à des journalistes et dans des médias qu’il traite de « journalistes complices de la dictature » et de « médias de la honte », à quoi servirait l’esprit des lois ?

Autre hic, dans le titre premier de l’arrêté Isie-HAICA, « les disposition s’appliquent aux médias audiovisuels nationaux, publics et privés, ainsi qu’à leurs sites électroniques, durant la campagne électorale ou la campagne référendaire. Elles s’appliquent également aux correspondants et aux bureaux des chaînes étrangères, ainsi qu’aux agences et sociétés de production cocontractantes desdits médias sur le territoire national ». Si la chaîne M6 n’a ni correspondant, ni bureau, à Tunis, elle ne serait, donc, pas concernée par la loi électorale. Mais, ce n’est pas la seule faille qui lie les mains du régulateur.

De plus en plus dénigrée à cause de sa démarche encourageant l’autorégulation plutôt que les sanctions juridiques, la Haica est contrariée sa “mission pédagogique» jugée «insuffisante» pour dompter les médias « arrogants ». L’instance constitutionnelle est, en réalité, investie d’un pouvoir que limitent des lois atrophiées à l’avantage des gouvernants-candidats. Mais, ce n’est pas l’avis du juriste Mohsen Riahi, membre démissionnaire de la HAICA, qui s’invitait sur Zitouna TV, une chaîne hors-la-loi, pour critiquer le fonctionnement interne de l’instance. A croire que la vocation du régulateur se limite à l’enceinte de la Haica !

« 13 ONG tunisiennes, dont Nawaat, ont dénoncé les pratiques illégales et anti-déontologiques de certains médias audiovisuels privés », considérant que ces pratiques, telles que l’ « enquête journalistique » diffusée, le 12 octobre courant, sur la chaine de télévision Nessma, constituent une menace réelle pour le processus démocratique en Tunisie et pour la liberté d’expression, l’acquis le plus important réalisé après la Révolution ». En outre, le collectif estime que, parmi les raisons les plus importantes qui ont contribué à l’amplification de ces pratiques, « l’absence de volonté politique » et « les tentatives de marginaliser et d’affaiblir la HAICA ou de la dépouiller de ses prérogatives ».

La nouvelle télé-politique est arrivée !

Interpelé sur l’affaire Nessma-Ettounissia, Riadh Ferjani, membre de l’instance, affirme, ainsi, dans une interview accordée à l’hebdomadaire Al-Moussawer, que l’article 111 du projet de loi électorale, autorisant des mécanismes susceptibles de stopper ce genre de dépassement, a été rejeté par la majorité des députés. Lors de la conférence de presse du 16 octobre dernier, Rachida Ennaifer a rappelé, quant à elle, qu’en vertu du décret-loi 116, le plafond des sanctions ne dépasse pas les dix mille dinars. Dans le cas de Nessma Tv qui a récidivé, après l’interdiction de la rediffusion de l’émission par la HAICA, l’amende devrait être portée au double, comme le stipule l’article 45 du 116.

Après l’intervention controversée de l’UGTT dans les négociations de la HAICA avec Nessma TV et Hannibal TV, il semble que l’accompagnement « pédagogique » du régulateur ne suffit pas à déjouer les desseins insidieux de la nouvelle télé-politique. Car il ne s’agit plus de « recenser les effets indéniables de l’appropriation des chaînes et/ou de leur contrôle direct : les rapports entre la politique et la télévision ne relèvent pas seulement de la possession et/ou de la mise sous tutelle de la télévision par le politique, mais de l’adoption des techniques de la télévision par le politique qui, combinées avec celles du néo-management, assure la promotion de l’ «État-entreprise ».

Et quelle pédagogie pourrait stopper les dérives d’un média comme Nessma TV, quand, en plus, son patron compare sa prétendue « enquête d’investigation consacrée à Slim Riahi » au travail d’investigation de Médiapart ?

Des sanctions, mais avant le vote !

Outre ces imbroglios politico-médiatiques que la Haute autorité devra démêler illico presto, il reste les établissements audiovisuels en situation irrégulière. Nouri Lajmi, le président de la HAICA, a affirmé, lors de la conférence de presse, que des candidatures pourraient, à nouveau, être ouvertes pour des demandes d’autorisation, après le premier tour de l’élection présidentielle. Cette solution contrainte est, sans doute, liée à l’article 74 de la loi électorale qui énonce que la HAICA ne peut appliquer ses sanctions au-delà du jour du vote. Or, dans une interview accordée, récemment, à Assabah News, Nouri Lajmi revient sur les amendes qui seront infligées aux radios (vingt mille dinars) et télévisions (cinquante mille dinars) hors-la-loi, outre la confiscation de leur matériel par les autorités compétentes. Côté radios, il s’agit de MFM, Nour FM, et Al Quran Al karim FM. Côté télévisions, outre Al-Insan TV (qui continue à diffuser malgré son interdiction par décision du chef du gouvernement), Zitouna TV et Tounesna TV, El Janoubia TV est elle aussi exposée aux sanctions, même si elle diffuse, désormais, à partir de la France.

En attendant, « il faudra faire avec ce qu’on a », comme le suggérait Rachida Ennaifer. Sauf que les chaînes privées sont parties pour une manipulation intensive des électeurs, déjà assommés par le boucan de la campagne. Il serait heureux que le silence électoral soit, au moins, respecté.