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Le manifeste1 de la voie !

Il est légitime après cinquante-cinq ans de dictature, de parti unique, de président omni-présent, qui détient tous les pouvoirs et toute la richesse du pays, que les citoyens tunisiens veulent exercer leurs droits d’exprimer leurs volontés, animés par une conscience patriotique et un souci démocratique.

Mais une question se pose devant cette course vers la présidentielle, qu’on peut qualifier de course à l’échalote où le premier qui s’empare du leurre qu’on agite devant lui devient le vainqueur qui touche en prime le titre de Président de la république.

Malheureusement ou plutôt heureusement, la présidence de la république n’est pas une échalote ni une carotte, le peuple tunisien n’est pas un cheval de course sur lequel on pourrait parier comme dans un jeu de tiercé. Ce peuple a payé et paye encore très cher sa liberté, et a beaucoup souffert du manque de considération des pouvoirs antérieurs, qui l’ont toujours dévalorisé au prétexte de son manque total de maturité.

Il est honteux après les sacrifices du sang des jeunes qu’on bafoue leur honneur par un égoïsme aveugle ou un pragmatisme sauvage, qu’une foule de prétendants à la magistrature suprême, ose ridiculiser les institutions naissantes. « La question se pose alors dans ce pari Pascalien de l’événement miraculeux, comment évaluer une telle maturité dans le processus des circonstances historiques ? »2.

Quelle formation, quelle compétence ? Quelle base sociale, quelle ligne politique, quel programme économique représentent-ils donc ? Autrement dit au nom de quoi veulent-ils nous gouverner et nous représenter. Les tunisiens n’ont pas besoin d’un candidat « nul », avec pour tout programme d’emmerder et d’aggraver la situation presque chaotique du pays.

La première détermination de la fonction présidentielle, ce n’est pas un simple jeu d’alliance entre les partis politiques ou un accord au sommet, ni un échange d’intérêts économiques cartellisés, ni un compromis entre des hommes d’affaires et des politiciens sur le dos du peuple, mais c’est une fonction sacrée, c’est un engagement inconditionnel entre un homme et le peuple.

Jusqu’à présent la Tunisie est coupée en deux, le réel stagne, le terrorisme est menaçant, la corruption est propagée, le chômage est agressif, le harcèlement policier est aveugle. On a besoin de quelqu’un qui veuille donner de lui-même à la Tunisie, et non pas profiter de quelque bonne aubaine et des intérêts de sa clientèle. On n’a pas besoin d’un Président sans gravité3, mais d’un gardien de la constitution.

La première condition c’est qu’on puisse se représenter la fonction suprême comme faisant l’objet d’une vocation impérieuse, d’un destin national et historique. Celui qui est incapable de présenter une base programmatique à défaut d’un programme complet devra de lui-même, et par conscience patriotique renoncer à s’avancer devant les suffrages de la Nation. Chacun doit appliquer sur lui-même une autocritique républicaine et même une autocensure patriotique, et cette démarche c’est la preuve d’une vertu politique ce que les stoïciens appelait le courage de la vérité. Un tel jugement sur soi, avec un certain recul critique présente un double bienfait ; d’une part on sacrifie notre ambition et notre intérêt personnel au profit de l’intérêt général, d’autre part l’argent de l’Etat peut servir à sauver des centaines de familles qui vivent dans des situations précaires.

Il faut que le nouveau président soit persuadé de la nécessité de ré-élaborer toutes les conceptions erronées du passé sous la dictature, et marquer la rupture au sens bachelardien, vers des nouvelles valeurs justes, novatrices et tolérantes ; en un seul mot il devrait avoir « une main de fer dans un gant de velours ». C’est d’ailleurs là toute la difficulté de l’exercice du pouvoir.

Notre propos ce n’est pas de juger qui est apte et qui ne l’est pas, mais ce qui nous motive avant tout c’est un souci d’intérêt public et général, pour réfléchir ensemble le plus honnêtement et démocratiquement possible à des critère fiables et objectifs pour assumer une telle responsabilité ; la compétence technique et éducative, la conviction, l’autorité charismatique, le gout des risques calculés, l’intégrité morale. Le prétendant doit incarner un modèle éthique à tous les niveaux possibles, il doit pouvoir résister à toute forme de démagogie, et surtout qu’il fasse honneur à notre chère Tunisie !

D’une manière ou d’une autre pour réaliser une nouvelle démocratie, une justice sociale, et réhabilité la dignité du peuple tunisien, il faut renoncer à l’illusion de pactiser avec les forces contre révolutionnaire et chasser tous les profiteurs quelques soient leurs étiquettes ; il va de soi que les élections qui se profilent ne doivent pas constituer une nouvelle fuite en avant, et tout compromis ne reculerait que pour mieux sauter, autrement dit c’est n’est rien d’autre qu’une manœuvre de diversion, une bombe à retardement du conflits : « le désastre est qu’il n’existe aucune organisation politique dotée d’une pensée politique qui montre la voie »4.

A dire le vrai, Il faut comprendre que dans la Tunisie d’aujourd’hui la diversité est le trésor de l’unité nationale. D’où le double impératif: retrouver et accomplir l’unité dans l’épanouissement des diversités. A la fois sauver singularités et diversités, et instituer un tissu commun. L’absence d’investissements intellectuels, le règne de la pensée parcellaire, rendent invisibles les gigantesques défis. La refondation politique exige tout d’abord une réforme de la pensée5. La pensée réductionniste continue à chercher de façon myope la cause et l’effet, à déterminer le bien et le mal, à nommer le coupable et le sauveur. Il nous faut une pensée apte à saisir la multi-dimensionnalité des réalités. Il nous faut abandonner la fausse rationalité. La réforme de la pensée est donc nécessaire pour contextualiser, situer, globaliser, et aussi tenter d’établir un méta-point de vue 6: « Dieu nous donne les noix, mais il ne les casse pas »7.

Notes

1- « Issu du latin manufestus, qui veut dire « pris à la main », « pris sur le fait ». Acception juridique donc : « être convaincu de ». Régis Debray, Qu’est-ce qu’un manifeste littéraire ?
« Il s’agit, tout d’abord, d’un acte de prescription – guide pour l’action à mener, programme de ce qu’il convient de faire, ou, du moins, justification de ce qui a été et doit être fait ». Encyclopédie Universalis, article Manifeste / art.

2- Alain Badiou, Petit Manuel d’inesthétique, Paris, éd. Seuil, 1998.

3- En référence à l’homme sans gravité de Charles Melman.

4- Edgar Morin, Tariq Ramadan, Au Péril des idées, éd. Presses du Chatelet, 2014.

5- Edgar Morin, Pour et contre Marx, éd. Champs actuel / Flammarion, 2012.

6- Voir notre article « Tunisie: la révolution de «l’événement?»(I) ».

7- Martin Luther (1483-1546).