\"Le pouvoir ne sert plus qu’à assurer et à financer le maintien de Ben Ali au pouvoir en Tunisie\". Le président Ben Ali lors de la clôture des travaux du congrès du Défi du RCD. Photo : Site de la présidence de la république.

Beaucoup de tunisiens ont pu suivre de près ou de loin les péripéties et les rebondissements de la crise que le syndicat national des journalistes tunisiens a connu depuis la publication de son rapport 2009 sur l’Etat de la presse en Tunisie. Les médias alternatifs et la diffusion des nouvelles technologies de communication ont, malgré la censure, largement contribué pour une fois à permettre aux citoyens d’accéder à un contenu informationnel contradictoire et a prendre connaissance des opinions des acteurs directs dans ce conflit.

Dans ce nouveau paysage médiatique, les organes officiels d’information et les journaux « officiels » à large diffusion ont montré une fois de plus s’il est besoin leur politique rédactionnelle de parti pris et leur unanimisme dans la désinformation et l’occultation de tout avis opposé aux choix politique du président Ben Ali.

Il suffit de prendre en exemple la dépêche du 15 août 2009 consacré par l’agence officielle « TAP » pour le congrès tenu samedi par les partisans de l’allégeance au pouvoir au sein du syndicat en exemple de cette pratique de désinformation préméditée : « Le Syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) a tenu, samedi, au complexe culturel et sportif des jeunes, à El Menzah 6, son congrès extraordinaire, avec une importante participation des journalistes tunisiens, des différents organes d’information écrits et audiovisuels. » Il n’est question nulle part dans tout le texte d’un conflit au sein du syndicat ni explication de la raison de la tenue de ce congrès et de son caractère extraordinaire.

Si on voulait comprendre plus l’état de la presse et de l’information dans le pays il suffit de faire la revue de ce que tous les médias ont publié sur le sujet pour se rendre compte qu’aucun journal n’a dépassé les limites des données ni le cadre fourni par la dépêche de l’agence officielle pour la question. Ce paysage soviétique de l’information et des médias en Tunisie n’est en fait que la toile de fond qui dessine les véritables enjeux du conflit et de la lutte menée par les journalistes tunisiens pour leur émancipation de la tutelle dont ils font l’objet.

Une large majorité de journalistes tunisiens souffrent plus que tout autre cette humiliante situation de leur profession. Comme tant d’autres élites dans d’autres secteurs comme c’est le cas des magistrats et des avocats face à la déplorable situation d’assujettissement de la justice ou les enseignants universitaires face à la dégradation du système de l’enseignement, les journalistes se trouvent aujourd’hui entre l’enclume de la précarité de leur statut et les exigences vitales de leur familles et le marteau de la dictature, réduits au silence et à la résignation.

Il y a moins de deux ans le directeur et propriétaire de « Dar Essabah », le plus prestigieux et le plus important groupe médiatique privé en Tunisie, tenta le lancement d’un hebdomadaire progressiste débarrassé de la langue de bois prévalant dans nos médias dont il confia la rédaction à Ridha Kefi un journaliste connu par sa compétence et son indépendance. Le journal « L’Expression » hebdomadaire de langue française n’a pas pu tenir plus qu’une année. C’est le directeur de « Dar Essabah » Raouf Chikhrouhou lui-même qui intervient pour corriger l’orientation de l’hebdo dans l’éditorial du numéro 52 après avoir congédié éditorialiste. Chikhrouhou termine son éditorial par ces mots : « Les passionnés ont vécu, les raisonnables ont duré. C’est aussi une leçon de vie. Et de journalisme ». Moins d’un an après, nous pouvons aujourd’hui vérifier ce qui en est advenu de cette affirmation. L’Expression n’existe plus et la maison « Dar Essabah » n’a pas non plus survécu. C’est le président Ben Ali via son gendre qui s’en est directement approprié.

L’histoire de la courte vie de l’hebdomadaire « L’Expression » n’est qu’un exemple typique des tentatives inouïes de tous les hommes de bonne violenté qui ont vu leur espoirs et leur volontés de faire évoluer le paysage médiatique tunisien se briser sur le récif de la dictature du parti unique et des loges de la pensée unique en Tunisie.

Le destin de « Dar Essabah » ne diffère en rien de celui de l’agence officielle Tunis Afrique presse (TAP) ou de la radio et de la télévision nationale et des journaux du parti (RCD). Le président Ben Ali ne domine pas seulement le paysage médiatique tunisien par la puissance des appareils de sa domination politique mais le possède en propriété à 99%. Entre les médias de sa famille et les médias de son parti et ceux de ses services de renseignement point de médias indépendants en Tunisie à part quelque titres d’opposition tenus en agonie comme symbole illustrant l’ouverture et la tolérance de sa “démocratie”.

La Tunisie vie aujourd’hui à l’aune d’une nouvelle forme de folie de pouvoir, Institutions, organisations, partis politiques et syndicats sont réduits à une toile de loges dont le trait d’union entre leurs dirigeants se résume dans leur obédience inconditionnelle au président Ben Ali et sa présidence à vie. Le scénario déjà classique et éprouvé dans presque toutes les organisations et les partis que vient de subir le syndicat national des journalistes tunisiens (SNJT) procède de cet esprit. Le pouvoir ne sert plus qu’à assurer et à financer le maintien de Ben Ali au pouvoir en Tunisie.

Yahyaoui Mokhtar
Tunis – le 17 Aout 2009