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S’ils n’ont pas permis d’ouvrir un débat de société sur la question de la dépénalisation du cannabis, les 11 jours de détention d’Azyz Amami ont été l’occasion de jauger les forces en présence dans le dossier lié et plus large qui oppose la jeunesse anarchiste-révolutionnaire à ce qui est devenu « les syndicats » des forces de l’ordre. Le tardif vote cette semaine à l’Assemblée de l’instance Vérité et Dignité pourrait mettre un terme à l’impunité des auteurs d’exactions, une IVD elle-même entachée par la présence de la figure controversée de Khémais Chammari.

Interrogé à propos de l’acharnement judiciaire rétroactif dont font l’objet ceux qui avaient pris part aux évènements de la révolution, le porte-parole du Syndicat national des forces de sûreté livre une réponse pour le moins édifiante : « Nous sommes pour que l’opinion publique ait un récit complet de ce qui s’est passé en marge de ces évènements. Jusqu’ici elle n’en avait qu’une image tronquée, celle des procès de la répression. Il est temps que les gens aient l’autre moitié, celle du pillage, du vandalisme et du saccage des biens publics et privés. Ces gens-là n’ont pas rendu service au peuple, eux aussi devraient comparaître devant des tribunaux militaires. Nul n’est au-dessus de la loi ».

Si le porte-parole du syndicat de police est dans son rôle, ce discours légaliste et révisionniste en dit long sur la profonde incompréhension des siens de ce qu’est une révolution, un total décalage avec l’esprit révolutionnaire, symptomatique d’un corps de métier non réformé, figé dans le temps et la posture.

Désavoués par la justice vendredi, les méthodes autoritaires de l’arrestation de la Goulette ont résulté en un vice de procédure qui fera sans doute jurisprudence. Des voix s’élèvent cependant pour dénoncer l’indifférence à l’égard de milliers d’anonymes n’ayant pas bénéficié d’un examen aussi approfondi de leur dossier.

Tous ceux qui connaissent ou ont connu Amami savent que lui faire bénéficier de ce qui est perçu comme un passe-droit n’est pas lui rendre service. Fort d’un ADN foncièrement anti système, l’activiste sitôt libéré a fait preuve de désintéressement en consacrant toutes les tribunes qui lui étaient offertes aux martyrs et blessés de la révolution, combat autrement moins dérisoire que les faits divers liés à la loi 52.

Signe que le retour au « bon vieux temps » procède d’une politique délibérée, Taoufik Ben Brick, recordman des convocations de police sous Ben Ali, est à nouveau convoqué suite à une plainte d’un syndicat des forces de l’ordre datant de 2012.

Tout au long de la semaine, l’exécutif a multiplié les messages de détente en région à l’égard de la jeunesse d’extrême gauche et des membres des familles des martyrs, en relâchant des dizaines de jeunes en détention préventive. Tout indique qu’une trêve sera observée jusqu’à l’issue des prochaines élections. Une victoire de Nidaa Tounes devrait alors signifier la consécration de l’aile politique du sécuritarisme, alias « prestige de l’Etat ».

Entre-temps, le mouvement des jeunesses révolutionnaires, qui avait fait l’économie d’une bataille durant le sit-in Errahil, devra clarifier ses rapports avec la droite anti islamiste, celle-là même qui l’avait empêché de lever le slogan « Ni Ennahdha Ni Nidaa » au Bardo durant l’été 2013.

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Le congrès du suicide

On parle souvent du « clan Hafedh Caïd Essebsi – Mohamed Ghariani – Raouf Khammassi – RCD », un camp au sein de Nidaa Tounes opposé au camp à tendance socialiste de Taieb Baccouche – Ridha Belhaj, respectivement secrétaire général et directeur exécutif sans grand pouvoir.

C’est peut-être l’arbre qui cache la forêt Elloumi. Première fortune du pays, l’homme qui a multiplié par 7 son chiffre d’affaires déclaré entre 2007 et 2014 entend faire la loi au parti. C’est lui qui a fait don du luxueux siège des Berges du Lac, et qui en fournit la sécurité. C’est lui également qui est derrière la décision surprise d’organiser un congrès électif le 15 juin prochain, soit dans moins d’un mois…

Avec pareil revirement, nous sommes moins dans le lobbying que dans une prise de pouvoir claire et nette en interne, qui concrétise la mainmise de l’aile dite destourienne sur le parti. Pour sauver les apparences, Essebsi peut endosser le rôle de l’arbitre en invoquant cette solution des élections internes afin de régler une fois pour toutes le contentieux entre les frères ennemis.

Sauf que quiconque disposant d’un minimum de discernement, de bon sens, et de rudiments de science politique ne peut prendre au sérieux un congrès préparé en trois semaines, du moins un congrès décent dont les dés ne sont pas pipés d’avance.

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Un style Jomâa ?

La semaine du 19 au 25 mai a par ailleurs inauguré ce que le politiquement correct appelle les « hausses douloureuses » des prix à la consommation, premiers sacrifices sur l’autel de la technocratie libérale.

Ainsi le gouvernement Jomâa annonce la levée totale de la compensation du ciment et de l’électricité, en sus des augmentations substantielles de toutes sortes de denrées alimentaires de base, révélées par le Front Populaire qui a claqué la porte du dialogue national économique avec fracas.

Nul besoin d’être économiste pour comprendre qu’en l’absence d’une politique de l’emploi parallèle à ces augmentations, un risque est pris en matière de tendance inflationniste, d’autant que le contexte national est déjà celui d’une inflation galopante.

Le climat social semble néanmoins moins tendu que lorsque les précédents gouvernements avaient édicté des hausses similaires. Les communicants y sont-ils pour quelque chose ? Lors de sa visite inopinée au port de Radès, le changement de style de Mehdi Jomâa n’est pas passé inaperçu. Endossant le costume de la primature, il hausse le ton contre des cadres de la douane malmenés. Une méthode rentre-dedans qui plaît. La communication de crise est un art qui a encore de beaux jours devant lui.