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cannabis, Drogue, prisonnier 52, zatla

cannabis, Drogue, prisonnier 52, zatla

Il est une vérité qui doit être dite : le cannabis doit être dépénalisé, car il fait l’objet d’une criminalisation absurde. Et d’abord, qu’il n’est pas plus dangereux que la cigarette; alors, pourquoi ne pas interdire la cigarette si l’on est vraiment motivé par des raisons de santé publique !

Tout simplement, qu’il s’agit en la matière d’intérêts de lobbies puissants, économiques et politiques, qui ont réussi un toilettage des cerveaux afin d’instaurer un ordre moral sans fondement.

Voici la vérité sur le cannabis ou encore marijuana, kif, takrouri et zatla afin d’aider les consciences justes à prendre leur courage à deux mains et dépénaliser une plante injustement criminalisée pour servir des intérêts mercantiles, mais nullement la morale ou la santé des gens, et qui produit chez nous la délinquance au lieu de la combattre.

Car la législation actuelle en Tunisie, outre d’être devenue une fabrique de délinquants, est une véritable industrie de destruction de notre jeunesse puisqu’elle est devenue une arme redoutable entre les mains des politiques et des idéologues pour contrôler les consciences libres et brimer les élans libertaires d’une jeunesse saine et révoltée.

Petite histoire du chanvre

Le cannabis القنب بكسر أو ضم القاف وتشديد النون provient de la plante appelée chanvre ou chanvre indien qui était connue et utilisée par l’homme depuis la nuit des temps. Les civilisations asiatique et pharaonique le connaissaient bien et l’utilisaient pour ses vertus médicinales. On le retrouve ensuite dans le monde gréco-romain, utilisé aussi bien pour se soigner que pour les tâches quotidiennes, puisqu’on tirait de la plante d’excellentes cordes à la robustesse légendaires, notamment en mer sur les bateaux en plus de la voilure des barques; et la plante servait aussi à la confection de vêtements. Aussi, les champs de chanvre étaient-ils nombreux au Moyen-Âge occidental et leur culture considérée comme stratégique, source d’utilités et de richesse.

En Arabie, le chanvre n’était pas inconnu non plus, découvert à l’occasion de l’extension de l’islam vers le monde chinois, importé dans la péninsule arabique en même temps que l’industrie du papier. Aussi, sa culture fut-elle bien développée chez les Arabes qui en ont assuré l’extension dans le monde méditerranéen avec l’arrivée de l’islam en Afrique et en Europe. D’ailleurs, il ne serait pas faux de dire que la civilisation arabo-islamique doit au chanvre son extraordinaire extension puisqu’il était à la base du papier ayant servi de support aux sciences et au savoir arabo-islamiques.

Certes, son usage comme drogue n’était pas inconnu non plus, mais on en tirait surtout profit en médecine comme anesthésiant de la douleur ou dans la vie quotidienne et l’industrie du savoir.

Il est vrai que le monde musulman s’est distingué par l’existence d’une secte qui en usa assez tôt à des fins criminelles, appelée Assassins الحشاشين. Il s’agissait bien sûr de la fameuse secte du chiite dissident Hassan Ibn AsSabbah qui fit du nid d’aigle d’Alamut, au nord-ouest de l’Iran actuel, une base de son activité intégriste zélote et qui tint longtemps tête à tous les pouvoirs officiels de la région jusqu’à la destruction de sa forteresse inexpugnable par les Mongols lors de l’invasion de l’empire abbasside.

Aussi, il ne fut pas étonnant que pareille utilisation de la plante de chanvre, appelée depuis Haschich الحشيش , ait été à l’origine de l’interdiction du cannabis en terre d’islam. Ce le fut en Égypte, en 1378, et on vit alors les premières persécutions des consommateurs. Ainsi, on voit bien le lien évident entre l’interdiction et la politique, puisque l’exemple terrifiant d’Alamut continuait de hanter l’esprit des politiques. On retrouvera cela de nos jours, le chanvre étant considéré comme une marque contestataire évidente de l’ordre injuste établi.

Interdiction au service d’intérêts mercantiles

La base idéologique était donc évidente dans les premières interdictions du cannabis. Elle l’est encore plus dans celles qui le sont encore. Ce fut le cas, ainsi, aux États où le courant puritain chercha à se rattraper de l’échec flagrant de la politique prohibitionniste en matière d’alcool en vigueur dans le pays de 1919 à 1933.

En effet, face à la popularité du cannabis durant ces années, on a commencé à établir un lien exagéré entre consommation de cannabis et criminalité. On mit donc l’accent sur les ravages en termes de santé de l’usage de ce que l’on commença à appeler marijuana, omettant de noter que c’est l’usage exagéré, tout comme c’est le cas pour l’alcool ou les cigarettes, qui devait être stigmatisé et non l’usage modéré ou à but thérapeutique.

De fait, derrière pareilles campagnes, il y avait non seulement des intérêts puritains, mais aussi des secteurs industriels de plus en plus inquiets de la menace que les usages multiples du chanvre entraînaient sur leur activité propre. Il s’agissait notamment des industriels du coton, de la chimie, du pétrole, du nylon et du bois ou les forestiers et les magnats de la presse dont le plus en vue fut le très célèbre Hearst. Aussi vit-on sa très influente presse relayer la campagne abjecte contre le chanvre indien, trempant facilement dans le racisme en considérant l’usage du cannabis comme une pratique dégénérée propre aux noirs américains.

Pour toutes ces industries, le chanvre constituait une menace sérieuse. En tant que produit naturel et peu coûteux, il contrecarrait les intérêts de l’industrie textile avec ses fibres, naturelles comme le jute, ou surtout synthétiques tel le nylon. Il concurrençait surtout l’industrie forestière et celle du papier, axées sur l’usage intensif du bois au risque de déboiser la planète et lui faire courir les plus graves dangers environnementaux.

Mais cela comptait peu aux yeux des égoïsmes mercantiles des industriels qui réussirent ainsi à tuer les usages industriels du chanvre malgré leurs bienfaits et leur respect de l’écosystème. Puis, l’impérialisme américain aidant, la mentalité anti chanvre gagna le monde; on vit donc l’anathème tomber sur le chanvre un peu partout sur la planète. Et comme toujours, on ne fit qu’instrumenter la morale et la santé au service des intérêts matériels des gourous de l’économie et de la finance mondiales.

Le chanvre en symbole contestataire

Il est une constante anthropologique connue que la vérité et le mensonge sont les deux fléaux d’une balance, et l’activisme citoyen fait pencher l’un ou l’autre fléau dans un sens ou dans un autre. Un tel activisme salvateur vint du lieu même qui fut la cause de l’anathème injuste que subit le chanvre.

En effet, ce furent surtout les artistes américains, notamment de cet art majeur qu’est le jazz, qui plaidèrent de la meilleure façon la cause du cannabis dans les années cinquante. Le cannabis devint alors la marque éminente d’une contre-culture, une contestation de l’ordre établi et de la dictature morale des institutions. Bien sûr, la jeunesse, comme c’est toujours le cas, œuvra énormément pour le rétablissement de la vérité tout en payant le plus lourd tribut. Et ce fut l’honneur du mouvement hippie.

Aussi, cela influa sur les mentalités aussi bien américaines que dans le reste monde, sapant les fondements prétendument moraux de l’interdiction. Petit à petit, sous la pression sociale, les législations ont donc changé après celle des mentalités, et le cannabis retrouva son honneur perdu en se voyant décriminaliser un peu partout dans le monde. Et ce ne fut que justice !

En tant que symbole contestataire, le chanvre est aujourd’hui au cœur de la révolte de la jeunesse dans le monde arabe figé sur des institutions dépassées et des lois vermoulues ne servant point l’intérêt de la société, mais ceux de gouvernants coupés de leur société.

Aussi, la bataille de la dépénalisation du cannabis dans le monde arabe, mais surtout en Tunisie et au Maroc, pays à la tête du mouvement, est-elle l’essence même de la démocratie et de l’État de droit qu’on veut y instaurer.

Nécessaire dépénalisation en Tunisie et au Maroc

Dans les pays du Maghreb, notamment en Tunisie et au Maroc dotés de constitutions à la pointe du progrès en matière de droits et des libertés, même si elles demeurent lettre morte, la dépénalisation s’impose plus que jamais. En effet, ces deux pays sont gouvernés par des équipes politiques à orientation islamique; et c’est toujours le cas en Tunisie, malgré le gouvernement supposé de compétences qui n’use pas de sa compétence en dehors de lignes rouges arrêtées par le parti islamiste, condition de son retrait du gouvernement.

Or, il faut rappeler qu’en islam, quand le ratio intérêt/inconvénient de la loi religieuse penche en faveur des inconvénients, il y a urgence à ne pas appliquer la loi qui doit être, sinon tout bénéfice, du moins majoritairement bénéfique au croyant.

Et il n’est plus besoins de démontrer que les lois actuelles sont majoritairement néfastes, puisqu’elles créent la délinquance au lieu de la réduire. Nos prisons sont aujourd’hui surpeuplées avec une forte présence de simples consommateurs — occasionnels qui plus est — n’ayant eu que le tort de griller un joint. Au nom supposé de leur intérêt, on brise leur vie en les enfermant pour un temps suffisamment long au milieu de vrais délinquants, augmentant leur rejet d’une société injuste et en faisant des apprentis dociles pour les vrais délinquants.

Certes la situation entre le Maroc et la Tunisie n’est pas similaire, le premier étant un pays producteur alors que la Tunisie n’est même pas un pays véritablement de transit, mais juste de consommation, et encore à faible degré de dépendance. Toutefois, dans les deux pays, la répression reste le mot d’ordre, mais si elle est outrancière en Tunisie.

Ainsi, au lieu de se concentrer sur les vrais délinquants, ceux qui trafiquent et qui sont de gros bonnets occultes intouchables, on réprime la face apparente et insignifiante du phénomène qui ne concerne que d’innocentes victimes.

De plus, si au Maroc une cure de désintoxication, dans l’hypothèse de dépendance, permet d’arrêter toute poursuite pénale, ce n’est nullement le cas en Tunisie où la loi héritée de la dictature maintient une sévérité quasiment terroriste; car si la cure est prévue, elle est de pure forme, ne permettant de faire obstacle aux poursuites qu’avant la découverte par les autorités des faits. Autant dire qu’une telle cure n’a aucune chance d’être mise en œuvre; ce qui est confirmé dans les faits au grand dam des activistes en matière de lutte contre la toxicomanie.

Aujourd’hui, toute véritable volonté sincère, notamment en Tunisie — pays de répression absolue en la matière — ne peut qu’agir en vue de la dépénalisation de la consommation de cannabis, la loi ne devant réprimer que le trafic et les organisations criminelles sinon elle est illégitime.

Il faut d’urgence vider les prisons des victimes innocentes de la loi scélérate de l’ancien régime et déclarer un moratoire dans son application en attendant de réformer la législation liberticide de la dictature.

Que la dernière affaire de l’activiste Amami serve donc à quelque chose ! Que nos autorités se réveillent de leur léthargie criminogène en commençant la réforme nécessaire de notre législation par l’abolition de la loi illégitime en matière de stupéfiants.

Ils ne feront que suivre le mouvement général dans le monde vers une dépénalisation du cannabis. Au Maroc, déjà, on examine la légalisation dans un but thérapeutique. Entamons enfin la véritable révolution en expurgeant notre législation de tout ce qui la vicie de l’héritage de la dictature. C’est ainsi et ainsi seulement que l’on s’honorera et qu’on honorera l’esprit de la Révolution. Sinon, on ne tardera pas à avoir la jeunesse du pays — or la Tunisie est jeunesse ! — contre des gouvernants autistes.