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La page facebook de la Banque Mondiale pour la région MENA a lancé un évènement public intitulé “Débat sur les jeunes et le développement“, dans le monde arabe. L’évènement était prévu début avril, dans la médina de Tunis. Derrière l’image de la Banque Mondiale qui s’intéresse à la situation de la jeunesse arabe, la réalité est tout autre !

Il y a trois ans, les jeunes se sont soulevés et ont imposé le changement. Mais que s’est-il passé depuis ces évènements ? La Banque mondiale et le Centre pour l’Intégration Méditerranéenne vous donne rendez-vous pour débattre et échanger sur ce thème, ce mardi 1er avril à 19h00 à Dar Lasram à la médina de Tunis. Venez nombreux !
Page facebook de la Banque Mondiale pour la région MENA

Tel était le message adressé, le 28 mars 2014, par la Banque Mondiale aux jeunes du monde arabe via sa page Facebook. Nous en avons conclu que la Banque Mondiale avait décidé d’organiser un débat avec les jeunes des pays du printemps arabe. A un certain moment, nous avons faillit croire à un changement dans la politique de cette institution financière.

Alors que nous cherchions la ruelle qui mène vers Dar Lasram, un passant à qui nous avons demandé de nous aider à la retrouver, nous alerte : “Vous ne pensez pas que vous vous trompez d’endroit ? Il y a un tournage à Dar Lasram !”. Nous avons cru alors que le débat allait être diffusé en livestreaming. La Banque Mondiale aurait-elle adopté une approche participative et transparente ?

Arrivés à la porte d’entrée de Dar Lasram, à 18h45, nous avons trouvé un jeune homme avec une casquette qui s’est présenté en tant que représentant de la Banque Mondiale. La Banque Mondiale avait-elle laissé les costumes et cravates des réunions formelles avec les officiels de l’État en optant pour une tenue informelle ? Un tel choix pourrait, en effet, créer une ambiance favorable à un débat sans préjugé avec les jeunes du monde arabe. Mais, c’était trop beau pour être vrai ! Nos espérances étaient trop peu réalistes …

Alors que nous étions encore dans la rue et que nous n’avions toujours pas dépassé le seuil de la porte de Dar Lasram, on nous a donné un papier à remplir. Il nous était demandé de décrire notre perception de la situation de la jeunesse du monde arabe après le printemps arabe. S’est-elle améliorée ? A-t-elle empiré ? Ou est-t-elle restée inchangée ? Cependant, on nous demandait d’écrire nos noms… Depuis quand est-ce les sondages ne sont plus anonymes ?! L’enthousiasme nous fit quand même garder le sourire !

Deux pas en avant et nous franchissions enfin le seuil de la porte. Un grand costaud portant un costume et une cravate noirs se mit à nous fouiller minutieusement. Ces temps-ci les mesures de sécurité sont bel et bien nécessaires. Sauf, que tout au long des quelques mètres qui nous ont mené de la porte d’entrée au patio, où devait se tenir la rencontre, nous avons trouvé trois autres Men-in-black. Adieu à l’ambiance décontractée que nous espérions trouver !

Une fois arrivé au patio, la scène qui se présentait devant nous mis fin à notre étonnement, quant au désir soudain de la Banque Mondiale de débattre avec les jeunes du printemps arabe. Des caméras, un podium, des projecteurs … C’était en fait le tournage d’un débat télévisé ! Quelques chaises disposées en trois rangées devaient accueillir les participants au débat. Le rôle des jeunes du printemps arabe se réduisait donc à de simples figurants dans une émission télévisée qui, de surcroit, sera diffusée sur Al Jazeera…

A 19h00, les trois rangées étaient quasiment pleines, mais le tournage n’avait toujours pas commencé. Nous sommes donc sortis pour prendre l’air. Nous trouvons alors une foule devant la porte d’entrée qu’on empêchait d’entrer. C’est alors que l’un des organisateur donne l’ordre au personnel de sécurité de faire entrer en priorité les étrangers, en attendant qu’on ajoute des chaises à l’intérieur. Pourtant, la Banque Mondiale avaient appelé les gens à venir nombreux ! Quelques minutes après, ceux qui avaient reçu des invitations envoyées par les organisateurs ont pu entrer. Le reste, non … C’est là qu’on a compris qu’il y avait une “sélection” des participants. Ce sentiment s’est aggravé lorsque nous avons entendu le superviseur de l’organisation de l’évènement donner aux agents de sécurité, via son talkie-walkie, des prénoms de participants qui n’étaient pas encore arrivés, mais dont l’entrée était autorisée d’avance.

Quelques minutes avant 19h30, un certain nombre de jeunes de la société civile tunisienne ont fini par rentrer chez-eux, après qu’on leur ait expliqué qu’il n’y a plus de chaises libres et qu’ils n’avaient pas d’invitation pour l’évènement. A quoi sert donc l’évènement ouvert au public, sur la page officielle de la Banque Mondiale ? Il semble bien que c’était juste pour redorer le blason de la Banque Mondiale. Alors que nous étions restés à l’entrée de Dar Lasram pour surveiller l’évolution des choses, une jeune fille qui habitait juste à côté est venue, elle aussi, pour assister à l’évènement. Non seulement, on lui a déclaré que c’était déjà complet, mais on lui a aussi demandé de reculer de deux pas. Elle venait de dépasser le seuil de la porte d’entrée ! Alors que celle-ci attendait, une autre jeune dame a été autorisée à entrer. Elle connaissait le superviseur de l’évènement. A quelques minutes près avant le début du tournage, on finit par autoriser la femme qui attendait au niveau de l’entrer de Dar Lasram à assister au débat. Elle a pu, ainsi, rejoindre une chaise, à coté de la notre, qui était vide depuis le début. La porte a été ensuite fermée. Ceux qui sont venus plus tard ont été empêchés d’entrer.

Avant de commencer le tournage, l’animateur a pris la parole pour préciser que les personnes du public souhaitant poser des questions, au cours de l’émission, étaient déjà désignées avant le début du tournage. Ces quelques interventions ne devront pas dépasser une minute chacune.

Finalement, le débat ne sera pas spontané, inclusif et ouvert comme nous l’espérions.
Avec une heure de retard par rapport à ce qui était prévu, le tournage a enfin commencé. Les dix premières minutes de l’émission ont été répétées 3 fois. Le débat dont la Banque Mondiale a fait la propagande était donc loin d’être un vrai débat. Nous décidâmes alors de quitter discrètement le lieu du tournage. Nous regarderons le “film” à la télé comme tout le monde. Espérant tout de même qu’on ne censure pas certaines parties du débat. L’animateur de l’émission n’en était pas si sûr …