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Internet a changé le visage du monde et surtout celui de la Tunisie. Une réalité que la dictature de Ben Ali n’a pas pu changer, même avec le fameux « Ammar 404 », qui a déployé son armada pour bloquer l’information et faire taire les voix contestataires. Le long combat de la libération de la parole et de l’accès à l’information était porté par des militants et des cyberdissidents, qui commémorent, aujourd’hui, la disparition de Zouhair Yahyaoui, icône de la liberté d’expression en Tunisie.

Cependant, le système peine à changer de visage. Le retour des anciennes habitudes, mais surtout des anciens sbires de la toile tunisienne inquiètent, quant à l’avenir de la liberté d’Internet, et de la liberté tout court, en Tunisie. Telle que nous l’observons, sur le plan politique et médiatique, le bras de fer des forces contrerévolutionnaires n’est plus une hallucination conspirationniste. Elle est devenue une réalité.

Trois ans après la libération d’Internet en Tunisie, un nouveau retour de « Ammar 404 » est toujours d’actualité. En effet, le gouvernement de Ali Larayedh et même celui qui lui succéda, celui de Mehdi Jemaa, ont pris des décisions favorisant le retour de la censure et de la surveillance sous le couvert de la lutte contre la criminalité et de la sécurité.

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Kamel Saadaoui

Le Premier ministre, Mehdi Jemaa, vient de nommer, Kamel Saadaoui, chargé de mission au ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique et des TICS. Selon Ahmed Ben Hassine, chargé de communication au ministère de la communication, Kamel Saadaoui fera la coordination entre les deux ministères en matière de TIC. « Sa fonction est purement administrative vu son expérience dans ce domaine », explique le responsable. En réalité, l’expérience de Kamel Saadaoui, qui a dirigé l’Agence Tunisienne d’Internet de 2008 jusqu’à la révolution, lui a permis de commander les opérations de censure, de filtrage, de surveillance, d’effacement et suppression post-publication.

Dans une interview publiée sur le site Wired, Saadaoui explique comment il dirigeait à l’ATI le support technique de la police politique. « Même si nous avons des moteurs de filtrage sur notre réseau, nous ne décidons pas de bloquer votre blog. Nous ne savons même pas que vous avez un blog », déclare-t-il, avant de préciser :

nous donnons les accès de ces moteurs à d’autres institutions (le ministère de l’Intérieur) qui sont mandatés par le gouvernement pour bloquer des sites web et des blogs et filtrer des emails.
Kamel Saadaoui

La nomination de Kamel Saadaoui, dans cette période de transition politique, est plus qu’étonnante. Connu pour être un des plus grands responsables de la machine « Ammar 404 », cet homme a même avoué, après le 14 janvier, être derrière l’acquisition et la mise en place d’un système de filtrage et de modification des emails. Tous les cyberdissidents connaissent son historique et son implication dans la répression et la censure sur Internet à l’époque de Ben Ali. Sa dernière nomination ouvre la porte à un retour des vielles pratiques de manipulation de l’information et de la dictature.

Dans cette même option de retour en arrière, le ministère des TIC, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche Scientifique vient de nommer, il y a deux jours, Jamel Zenkri au poste de Directeur Général de l’Agence Tunisienne des Télécommunications (ATT). Zenkri était ingénieur général au Centre d’Etudes et de Recherche des Télécommunications et a fait partie du conseil d’administration de l’ATI, à l’ère d’Ammar 404. Il a, donc, fait partie du même système de censure et compte aujourd’hui diriger l’ATT, recommandée par Lotfi Ben Jeddou, ministre de l’Intérieur.

L’Agence Tunisienne des Télécommunications créé par le décret-loi n° 2013 – 4506 du 6 novembre 2013, sous le gouvernement d’Ali Larayedh ouvrira ses portes très bientôt. Malgré les objections et critiques d’ONGs et de militants de liberté d’expression en Tunisie, cette agence prendra en main le contrôle de l’infrastructure d’Internet et aura pour mission de donner un appui technique aux investigations judiciaires dans les crimes des systèmes d’information et de la communication.

Sous prétexte de lutte contre le terrorisme et la cybercriminalité, cette agence aura une main mise sur les données personnelles des internautes et des utilisateurs des lignes téléphoniques GSM en Tunisie. A l’absence de toute garantie sur la protection des données privées, s’ajoute aujourd’hui la problématique de la neutralité politique et la transparence de cet établissement. D’autant que les membres de cette même agence, au-delà de ce qu’affirme le chargé de communication auprès du Ministre de l’Enseignement Supérieur, doivent être assermentés pour répondre de leurs éventuels abus, outre le fait qu’un débat judiciaire sur la question n’a pas eu lieu. On se demande, en l’occurrence, ce qu’en pense l’Instance nationale de protection des données à caractère personnel.

L’avocat et blogueur Kais Berrjab a déposé un recours préalable, le 10 janvier, contre le décret ATT au bureau du premier ministre au motif que le gouvernement provisoire a outrepassé ses pouvoirs en approuvant ce décret. Ne recevant aucune réponse, jusqu’aujourd’hui, Berrjab envisage de déposer une plainte auprès du tribunal administratif. L’objectif de ce recours au préalable est de réclamer au juge administratif de ne pas appliquer le décret n°4506-2013 pour illégalité et inconstitutionnalité.