Le coup d’envoi effectif du dialogue national n’engage plus que ceux qui y croient encore. Plus de 2 mois de blocage, des belligérants qui se tournent le dos et même une intervention américaine en coulisses feraient presque passer la crise tunisienne pour un nouveau casse-tête type Proche-Orient. Une lueur d’espoir est cependant venue apporter samedi la promesse de mettre fin aux querelles politiciennes.

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« Le démarrage du dialogue, c’est la semaine prochaine, promis, juré, sans faute ! »

Pour la 4ème fois consécutive, dont deux cette même semaine écoulée, Ennahdha jure ses grands dieux avoir accepté la feuille de route du quartet de médiation.

Un communiqué publié mardi 24 septembre, signé Rached Ghannouchi, assure que le mouvement est disposé à « entamer immédiatement » le dialogue. Le geste fut précédé par une conférence de presse 24 heures plus tôt où Ajmi Lourimi, membre du bureau exécutif, a peut-être sans le vouloir trahi en substance l’une des pommes de discorde, agacé par les slogans guerriers de l’opposition : « Nous ne saurions entrer dans pourparlers sur la base de devises telles que « En finir avec Ennahdha dès aujourd’hui » ou encore « L’affrontement, l’affrontement, jusqu’à la chute du régime », a-t-il martelé.

Le même Lourimi sera propulsé quelques jours plus tard à la tête du porte-parolat d’Ennahdha, désigné comme chargé de la communication du parti, en remplacement du démissionnaire Néjib Gharbi.

Les documents signés n’étant plus suffisants pour l’opposition dans ce contexte de suspicion mutuelle, le Front National du Salut attendra la rencontre samedi entre Mustapha Ben Jaâfar et Houcine Abassi pour annoncer que ses protagonistes retournent à la table des négociations. Lors de ce discret tête-à-tête nocturne à l’ANC, un document aurait été remis au chef de l’UGTT lui assurant que la démission du gouvernement était acquise.

Là encore les pirouettes politico-sémantiques restent de mise… Quelques heures plus tard, un démenti formel viendra du chargé de com’ du Premier ministère assurant que le gouvernement n’a aucune intention de démissionner si tôt le dialogue engagé.

Mais alors qui croire ? Il semble que la vérité soit une fois de plus à lire en filigrane, sciemment ambivalente. Ainsi la clause de la démission du gouvernement Larayedh est formulée de telle sorte à laisser toute latitude à celui-ci pour se raviser en cas d’imprévu : la dernière mise à jour de l’accord stipule en effet que l’équipe gouvernementale sera considérée comme virtuellement sortante dès l’instant de l’accord sur la personnalité indépendante qui dirigera son successeur, mais reste en poste 3 semaines à compter de cette passation de principe.

De quoi se donner suffisamment de temps pour faire revenir les élus récalcitrants et parachever la Constitution.

Le « back to basics » de l’UGTT ?

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A Sfax et dans les régions qui ont répondu à l’appel de la centrale syndicale pour abattre l’épée de Damoclès des marches populaires, les dirigeants syndicalistes crient victoire, persuadés tout comme les politiciens en tête de cortège que le fléchissement d’Ennahdha est la conséquence directe d’une mobilisation pourtant en demi-teinte.

Même dans la capitale économique où les libéraux de Nidaa Tounes et al Jomhouri ont fait le déplacement, les défilés certes disciplinés manquaient de spontanéité en mêlant des slogans politiques anti Frères musulmans aux luttes ouvrières, quitte à s’afficher en compagnie de « l’autre droite », des centristes et des patrons de l’Utica.

Juge et partie l’UGTT ? Quoi qu’il en soit le syndicat historique prend le risque de se politiser à outrance et d’être perçu tel le relais exécutif d’un camp certes dans l’opposition aujourd’hui mais qui, en dehors de la composante Front Populaire, n’est ni moins économiquement libéral ni nécessairement plus démocrate que les Frères.

Ironie du calendrier, c’est aussi cette semaine que les vieux démons de l’UGTT la rattrapaient, son ex secrétaire général Abdessalem Jrad déclarant en tant que témoin lors du procès des exactions de la révolution que « Ben Ali n’a jamais donné l’ordre de tirer sur les manifestants ».

Aujourd’hui les lieutenants de Béji Caïd Essebsi ne s’embarrassent plus de complexes pour demander la mise en orbite présidentielle de leur chef qu’ils qualifient de « figure nationale neutre ». Celui-ci se comporte d’ailleurs d’ores et déjà en président de la République, en dénigrant non sans arrogance les interventions de Moncef Marzouki en marge de la 68ème assemblée générale de l’ONU. Le Front Populaire, allié de circonstance de Nidaa Tounes, se trouve quant à lui contraint de démentir les velléités présidentielles évidentes d’Essebsi.

Le pouvoir s’enferme dans l’autisme procédurier

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La relative intelligence politique démontrée par l’actuel pouvoir dans ses manœuvres pour contenir les assauts de l’opposition contraste avec son traitement proprement primitif des aspirations de la jeunesse révolutionnaire qu’il réprime aussi maladroitement que l’ancien régime. Seulement une révolution est passée par là, d’où une maladresse double, quoique tempérée par la persistance d’un appareil pénal obsolète.

Ce sont ces lois anti diffamation de fonctionnaires, anti cannabis ou encore anti trouble à l’ordre public que le pouvoir a encore instrumentalisées cette semaine respectivement contre une jeune activiste poursuivie en justice par la ministre de la Femme Sihem Badi, 8 jeunes créateurs détenus pour consommation, ainsi qu’un étudiant expatrié âgé de 20 ans ayant profané le Coran et contre lequel les autorités ont cru bon saisir Interpol.

Plus encore que par la rue et une classe moyenne empêtrée dans les vicissitudes de l’inflation galopante et de la vie chère, c’est en contribuant à la naissance de ces figures libertaires que le gouvernement issu de la révolution compromet son avenir à court terme, en se mettant à dos les plus emblématiques représentants de la « révolution des jeunes ».