Depuis un mois, deux hommes, l’ex-juge Mokhtar Yahyaoui et l’ex-bâtonnier de l’Ordre national des avocats Abderrazak Kilani, jouent le rôle de médiateurs entre les partis politiques les plus importants sur la scène politique en Tunisie pour tenter d’apaiser les tensions.

Alors que le dialogue national s’éternise, le duo s’est donné pour rôle de rapprocher les points de vue, présentant un ensemble de propositions de principe.

Présentation du duo de la médiation

Abderrazak Kilani2
Hôtel Sheraton Tunis 30 août 2013 Crédit photo : Lilia Weslaty

Abderrazak Kilani, 59 ans, a été bâtonnier de l’Ordre national des avocats en 2010. Sous le gouvernement de Béji Caid Essebsi, ce dernier lui propose d’être ministre de la Justice. Mais M. Kilani refuse, sachant que les élections des élus du peuple allaient avoir lieu trois mois après, à savoir le 23 octobre 2011. Sous le gouvernement Jebali, il sera nommé ministre délégué chargé des Relations avec l’Assemblée nationale constituante (ANC). Actuellement, il dit n’avoir pas encore repris ses activités d’avocat.

yahyaoui2
Tunis août 2013 Crédit photo : Lilia Weslaty

Mokhtar Yahyaoui est une personnalité nationale reconnue pour son militantisme pour un État de droit, notamment sous le régime de Ben Ali. Le 1er janvier 2001, il lui a envoyé une lettre dénonçant l’absence de justice, ce qui lui a valu d’être révoqué de sa fonction de juge. Il a été réintégré dans ses fonctions en mars 2011. Actuellement, il est président de l’Instance nationale de protection des données personnelles.

  • 1 : Création d’un comité de soutien politique

L’un des points les plus évoqués par l’opposition a été la neutralisation de l’administration. Pour cela, MM. Yahyaoui et Kilani ont proposé la création d’un comité de soutien politique.

Composé de représentants du gouvernement, des partis politiques, des organisations nationales et de personnalités indépendantes, ce comité sera crée par un décret-loi qui aura la tâche de réviser les nominations et aura aussi la force de garantir la neutralité de l’administration et des mosquées.

Pour Abderrazak Kilani, “un fonctionnaire dans une administration se doit d’être neutre. Il doit être professionnel, travaillant sans discrimination entre les Tunisiens, ne favorisant aucun parti sur un autre”.

L’opposition dit que les délégués et les 24 gouverneurs ne seraient pas neutres et qu’ils appartiennent aux partis de la Troïka. Ce que nous proposons, c’est que les dossiers de ces responsables soient mis sur la table pour les étudier selon la formation de chacun, sa compétence et son comportement avec les citoyens. Cette évaluation pourra être faite par le comité de soutien politique. explique M. Kilani

  • 2 : Que l’Assemblée constituante s’occupe de sa tâche essentielle

Pour que l’Assemblée constituante puisse finir au plus tôt sa tâche essentielle — la rédaction de la Constitution —, deux propositions ont été faites : un projet de loi pour fixer l’agenda des travaux de l’ANC, et le changement de l’article 7 de la loi provisoire d’organisation des pouvoirs publics.

a- Projet de loi pour fixer l’agenda des travaux de l’ANC

Les députés de l’ANC ont été beaucoup critiqués par l’opposition pour n’avoir pas respecté l’article 6 du décret du 3 août 2011, qui limite leur mission à un an. Le groupe de médiation propose un projet de loi pour fixer l’agenda des travaux de l’ANC. Dans ce projet de loi, sont proposés :

– La fin du mois d’octobre 2013 comme date limite pour la promulgation de la Constitution ;
– La promulgation par l’ANC d’une loi électorale au plus tard au mois de novembre 2013 ;
– La fixation des dates des élections au plus tard au mois de mars 2014 ;
– Exceptionnellement et le temps qu’il y ait une loi électorale, l’inscription des électeurs par l’ISIE d’après le décret-loi 35 utilisé lors des élections du 23 octobre 2011 ;
– L’impossibilité de prolonger les dates mentionnées, sauf dans des cas exceptionnels ou en cas danger imminent.

b- Le Chef du gouvernement Ali Laaridh ne sera pas remplacé et aura une nouvelle prérogative

Le groupe de médiation propose la suppression de l’article 7 de la Loi constitutionnelle en la remplaçant par un autre. Cet article stipulerait que “l’ANC donne[rait] au Chef du gouvernement la prérogative d’émettre les décrets-lois (législation, économie et domaine social) après le conseil des ministres, qui seront transférés après à l’Assemblée constituante, sous dix jours, pour les promulguer, les amender ou les supprimer”.

Il y a un projet appelé Omar Al Mokhtar qui est encore bloqué parce que la loi n’a pas été promulguée par l’ANC. C’est un projet de construction de maisons populaires. Nous devons dépasser cela pour accélérer le travail du gouvernement et donner la possibilité à l’ANC de se concentrer sur sa tâche principale. affirme M. Kilani

  • 3 : Création de deux postes de vice Chef du gouvernement d’Ali Laaridh

Le groupe de médiation propose la création de deux postes sous l’égide du Chef du gouvernement pour deux domaines : l’économie et la sécurité.
Ils devront être nommés suite à un consensus national, ayant les prérogatives nécessaires“, assure Mokhtar Yahyaoui.
Cependant, dans leur rapport, MM. Yahyaoui et Kilani suggèrent qu’il y ait un remaniement ministériel en faisant participer les partis politiques qui accepteraient cette médiation, sans pour autant que le chef du gouvernement Ali Laaridh ne soit changé.

Tous les partis consultés ont bien accueilli la médiation

Cette médiation a été initiée au début par Abderrazak Kilani, Mokhtar Yahyaoui, Taoufik Ouannès et plusieurs autres personnalités tunisiennes comme Naziha Rjiba (alias Om Zied), Ahmed Mestiri, Ayachi Hammami, Sihem Ben Sedrine… Au début, il n’y a eu finalement que Kilani, Yahyaoui et Ouannès, mais ce dernier s’est retiré au bout de dix jours. D’après M. Yahyaoui, tous les partis approchés ont bien accueilli cette médiation :

Ettakatol, Ennahdha, Courant Démocratique, Alliance démocratique, Al Jomhouri, Courant Al Mahaba (ex-Al Aridha, Hechmi Hamdi), CPR, parti Liberté et Dignité (Mohamed Taher Ilahi), Wafa (Abderraouf Ayadi), Nidaa Tounes (Béji Caid Essebsi), Al Moubadara (Kamel Morjane), le Front destourien (Mohamed Jgham), parti de l’Union populaire (Ahmed Ben Salah), Parti Al Amen (Azhar Bali).

Le Front populaire a quant à lui refusé toute médiation autre que celle de l’UGTT. La centrale syndicale et l’UTICA ainsi que les trois présidents — Moncef Marzouki (président de la République), Ali Laaridh (Chef du gouvernement) et Mostapha Ben Jaafer (ANC) — ont aussi été contactés. Un rapport préliminaire des propositions susmentionnées leur a été envoyé en attendant leurs réponses.

Ali Laaridh a bien accueilli cette médiation mais il a émis quelques réserves sur le poste de vice chef du gouvernement pour le domaine sécuritaire, vu sa structure qui est sous l’égide à la fois de la présidence de la République, du gouvernement, des ministères de l’Intérieur et de la Défense. La difficulté de la coordination ne serait pas des plus faciles… précise Mokhar Yahyaoui

Par ailleurs, les points qui pourraient réunir tout le monde seraient les suivants :

1. Consolider l’attachement aux institutions de l’État et affirmer la nécessité que l’ANC poursuive ses travaux dans les meilleurs délais tout en accélérant son rythme.

2. Trouver des modalités consensuelles afin de constituer un gouvernement pour :

• Assurer la conduite des affaires du pays jusqu’à la fin de la période transitoire.
• Élaborer une stratégie pour la sécurité du pays et un plan d’action pour faire face au terrorisme.
• Garantir des élections libres et transparentes.
•Contrôler le financement des partis et des associations et assurer la neutralité de l’administration et des mosquées.

3. Arriver à un engagement de toutes les parties politiques et sociales pour respecter une trêve jusqu’à la fin de la période transitoire.

4. Observer par toutes ce parties une trêve dans les médias afin d’atténuer les tensions et éviter les confrontations tout en appliquant les lois de la République à tous ceux qui prônent la violence.