Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
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Image : Amine Ghrabi

Rares sont les personnes qui n’ont pas constaté que le train de la révolution a déraillé et qu’il faut le remettre sur la bonne voie. Mais que deviendront les réformes préparées par le gouvernement et ses partenaires étrangers, qui sont déposées à l’ANC et qui vont être prochainement votées ? Qui jouera le rôle de législateur en cas de gel des activités de l’ANC ou de sa dissolution ? Quels seront les choix qu’il fera pour sauver la Tunisie ? Plusieurs questions se posent en attendant de trouver une réponse…

Quelqu’un qui suit les travaux de l’ANC de près peut remarquer que, pendant les tout derniers mois, une certaine résistance aux réformes imposées par des gouvernements, institutions et lobbies étrangers commence à se former à l’ANC grâce à un travail de contre-expertise fait par certains acteurs de la société civile. On peut citer, d’abord, le projet de loi sur le partenariat public-privé (PPP) qui, depuis sa présentation par Ridha Saïdi à la commission des finances, n’a fait l’objet d’aucune réunion à l’ANC. Juste parce que, lors de cette réunion, les députés ont marqué leur refus des PPP. C’était la première fois qu’un travail de contre-expertise avait était fait. Cela devait être le début de la formation d’une « Coalition parlementaire pour une économie juste », un groupe de travail informel regroupant certains députés de la Troïka et de l’opposition avec le soutien de la société civile. Ensuite, il y a eu le Code de l’investissement, qui a été présenté par Mustapha Ben Jaafar à l’Assemblée nationale française devant des ministres français, des représentants des institutions financières internationales et des investisseurs français. Lors de cette conférence, certains représentants des institutions étrangères avaient exprimés leur mécontentement après le refus des députés de la loi sur les PPP. Cela a suscité la colère de certains députés, non seulement à cause du fait que le projet de loi soit présenté en France avant qu’il ne le soit en Tunisie, mais aussi à cause de certains points qu’il contient, comme le droit de propriété des terres ou l’élévation du quota de la main d’œuvre étrangère dans les entreprises établies en Tunisie. Quelques mois après, il y eu l’accord entre la Tunisie et le FMI, qui a provoqué une polémique assez importante, et contre qui un bon nombre de députés ont marqué leur opposition via une pétition toujours en attente de réponse du bureau de l’ANC. Amira Yahyaoui, présidente de l’ONG Al Bawsala, a déclaré dans une précédente interview à Nawaat que :

dans le cas du prêt du FMI, chaque élu parlait plus pour lui-même et non pour son parti. On voyait même des élus d’Ennahdha manifester leur désaccord avec le projet du gouvernement.
Amira Yahyaoui, Al Bawsala

En réaction à cette résistance, qui joignait la société civile à un grand nombre de députés, le gouvernement devait trouver un moyen qui lui permettrait de faire passer les réformes convenues avec ses partenaires étrangers, réformes qui entrent toutes dans le cadre du Partenariat de Deauville préparé par le gouvernement Beji Caïd Essebsi en mai 2011. La solution fut déclarée à la Kasba le mardi 16 avril 2013, lors d’une conférence de presse organisée conjointement entre Ridha Saïdi, ministre délégué auprès du chef du gouvernement chargé des dossiers économiques, Chedly Ayari, gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Elyès Fakhfakh, ministre des Finances, et Amine Mati, chef de la mission du FMI pour la Tunisie.

Ridha Saïdi avait parlé des intentions du gouvernement de créer un conseil législatif au niveau du gouvernement, qui allait jouer le rôle de législateur et faire passer les projets de loi à la place de l’ANC. Cette solution permettait effectivement au gouvernement et aux institutions financières internationales d’éviter tout débat et toute protestation, mais était totalement contradictoire avec le principe de la séparation des pouvoirs et la loi constitutionnelle relative à l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Mais cela est passé inaperçu aux yeux des médias et de l’opposition.

Lors de leurs discussions sur les réformes imposées par le FMI, les membres du collectif Magaloulnech avaient alertés les députés sur les intentions du gouvernement de renverser l’ANC en lui ôtant son rôle législatif et en limitant son action sur la rédaction de la constitution. Mais, malheureusement, beaucoup de députés ne les ont pas pris au sérieux, puisque cela leur paraissait absurde ! Ils n’imaginaient peut-être pas que le gouvernement était aussi acharné à faire passer ces lois. Sauf qu’aujourd’hui, les députés qui ont annoncé leur boycott des travaux de l’ANC viennent d’ouvrir une brèche dans le corps exécutif pour qu’il fasse ce qu’il voulait faire :

Article 7.
En cas de circonstances exceptionnelles, entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics et empêchant l’Assemblée nationale constituante de poursuivre ses travaux ordinaires, elle peut à la majorité de ses membres déclarer l’existence de ces circonstances et déléguer tout ou partie de sa compétence législative au président de l’Assemblée nationale constituante, au président de la République et au président du gouvernement.
Les trois présidents exercent la compétence qui leur a été déléguée par la prise consensuelle de décrets-lois.

L’assemblée se réunit, quand les circonstances le permettent, sur convocation de son président ou du tiers de ses membres, afin de proclamer la fin de la délégation à la majorité de ses membres et elle examine par la suite les décrets-lois publiés afin de les adopter, les rectifier ou les annuler.

Et selon la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics, c’est au président de la République de choisir s’il l’on doit faire recours à cet article ou non.

Le président de la République a les attributions suivantes :

[…]

11- Proclamer les dispositions et les mesures exceptionnelles en cas de circonstances entravant le fonctionnement régulier des pouvoirs publics, après consultation du président du gouvernement et du président de l’Assemblée nationale constituante et à condition que ces deux derniers ne s’y opposent pas.

Espérons qu’il ne le fera pas ! Car s’il le fait, ce ne serait qu’une accélération de la mise en place des réformes néolibérales, antisociales et qui nuisent à l’économie et à la souveraineté nationale. Ce serait alors la grande victoire des lobbies étrangers que nous voyons tous les jours dans les bureaux des couloirs des ministères et de l’ANC.

Certains ont appelé à la formation d’un groupe d’experts pour écrire la constitution, mais qu’en est-il des réformes économiques ? Fera-t-on appel aux experts des institutions étrangères pour faire passer les lois, comme le fait actuellement le gouvernement pour les rédiger ? Brahmi avait appelé à la préparation d’un programme de salut national sur lequel se baserait un gouvernement de salut national. Il avait raison : que pourrait-on faire d’un gouvernement de salut national sans un programme de salut national ?

Tout dépendra des réelles intentions de ceux qui appellent à la dissolution de l’ANC. Est-ce qu’ils veulent vraiment mettre fin au processus de transition et au Partenariat de Deauville lancé depuis mai 2011 sous le gouvernement Beji Caid Essebsi et exécuté par le gouvernement Troïka, en présentant une alternative qui puisse résoudre les problèmes économiques et sociaux et qui concorde avec les slogans de la révolution tout en préservant la souveraineté de la Tunisie ?

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