A peine plus de deux mois aprés sa nomination au poste de DG de Dar Assabah, Lotfi Touati s’en va. Le sit-in et les grèves de la faim des journalsites leurs auront permis d’avoir gain de cause. A travers l’affaire de Dar Assabah c’est tous les médias tunisiens qui reprennent espoir : car une première bataille en faveur de la liberté de la presse vient d’être remportée.

Lotfi Touati avait été clair : c’est le Conseil d’Administration (CA) de Dar Assabah (DA) et donc l’Etat, actionnaire à hauteur de 80%, qui l’a mis en poste, il n’y avait donc que par ce biais qu’il quitterait la place de Directeur Général. Depuis quelques heures c’est chose faite, le CA ayant pris acte de sa démission pour le bien de tous, explique-t-il :

« J’ai présenté ma démission car je voulais que le climat au sein de l’entreprise soit plus apaisé. »

Lotfi Touati est-il parti tout seul ou a-t-il été poussé dehors ? Il y a une dizaine de jours les engagements pris lors de pourparlers entre l’UGTT et le Premier Ministère avaient fait cesser la grève de la faim observée par des journalistes au sein de la maison de presse. La première des revendications des employés et journalistes de DA était le départ de Lotfi Touati. Mis en poste sans concertation démocratique l’homme était vu par les employés et journalistes de DA comme un bras droit du gouvernement. L’arrêt de la grève de la faim laissait présager le départ de Lotfi Touati.

Aujourd’hui au sein des rédactions des journaux Le Temps et Assabah les journalistes se disent soulagés mais ont encore du mal à y croire, comme en témoigne Melek Lakdar, journaliste : « Nous restons méfiants, car temps qu’il n’y aura pas de communication officielle de la part du gouvernement et un changement de nom au générique (dans les journaux papiers et sur les sites DA sur internet) rien n’est sûr pour nous. »

Depuis sa prise de fonction Lotfi Touati a été décrié. « La première fois que nous avons entendu parlé de sa nomination c’était le 8 août. Nous nous sommes tout de suite réunis avec l’idée de ne pas se taire. On était en plein été. Cela fait plus de deux mois ! » se rappelle Melek.

Zied Dabbar, lui aussi journaliste, ne pensait pas que la bataille serait aussi longue et il explique avoir tiré des enseignements de cette expérience :

« Nous avons milité pour une vraie cause. Nous avons appris à militer, à se comporter en période de crise. D’ailleurs même pendant la grève de la faim nous avons écrit des articles. »

Le combat interne prend vite une tournure nationale à laquelle les journalistes de Dar Assabah n’avaient pas pensé : « C’était une bataille de longue haleine, il fallait être persévérants, vigilants, être forts. Il fallait être soudés et solidaires. C’est une bataille qui a été menée par beaucoup de jeunes en situation précaire, mais c’était avant tout une question de principes. Et quand nous avons vu le soutien de la société civile, des ONGs, des autres médias… nous nous sommes dit que nous portions un lourd fardeau et que nous ne pouvions pas baisser les bras car tout le secteur allait en pâtir » explique Melek.

Car l’affaire Dar Assabah a vraiment pris rapidement une tournure symbolique. C’est un bras de fer qui s’est engagé entre le gouvernement, qui a imposé un directeur, et les employés qui refusaient ce parachutage. Cette énième nomination à la tête d’un média « public » alors que le gouvernement s’était engagé à ne plus le faire et à ne pas s’immiscer dans la ligne éditoriale, n’est pas passé. Bien vite Dar Assabah devient le symbole de la lutte pour la liberté de la presse en Tunisie.

Des semaines de bataille et un déclic se produit :

« En fait le combat ne fait que commencer car garantir la liberté de la presse n’est pas un combat de deux mois ou deux ans, c’est un combat continu. Chaque gouvernement, quelle que soit son idéologie, va essayer de contrôler les médias à travers les lois, les pratiques, la publicité.. il y a beaucoup à faire »

explique Zied Dabbar, journaliste qui a participé à la grève de la faim.

A travers la lutte de DA contre les nominations imposées à la tête des médias publics une prise de conscience générale a eu lieu : « Notre bataille est aussi une bataille pour le citoyen, pour qu’il ait une information libre, indépendant et neutre. Ensuite c’est au lecteur de juger et de se faire une idée » explique Melek.

Pour Sami Tahri, de l’UGTT, qui a mené les pourparlers avec le Premier Ministre conduisant au remplacement de Lotfi Touati, cette décision est importante :

« C’est la raison et la résistance des jeunes journalistes qui paient. C’est un gain pour tous les journalistes. »

Pour éviter un nouveau conflit, le Tribunal de Tunis doit nommer un nouvel administrateur judiciaire dans les 48 heures, avec des prérogatives restreintes : « Nous nous sommes mis d’accord pour qu’un simple gestionnaire se retrouve à la tête de la maison. Il s’occupera de ce qui est financier et administratif, mais ne se mêlera pas de la ligne éditoriale, qui sera gérée par les journalistes » rapporte Sami Tahri.

« Les autres revendications seront réglées plus tard lorsque le nouveau gestionnaire sera en poste » explique Mongi Khadraoui du SNJT qui s’est occupé du dossier de Dar Assabah, qui attend lui aussi de voir une nomination juste à la tête de DA, afin de servir les intérêts de la presse.

Le nouveau gestionnaire aura beaucoup de travail. Dar Assabah est toujours en vente et une audit est en cours par le ministère des Finances. Zied Dabbar explique qu’il reste encore beaucoup à faire pour redresser l’entreprise : «  Il faut travailler sur la mise à niveau de la structure, la mise à niveau des journalistes… il faut maîtriser le réseau de distribution, travailler sur le journal… Nous sommes dans un secteur très concurrentiel et il faut se positionner. » La bataille pour la survie du journal continue.

Lotfi Touati, quant à lui, est nommé à la direction du Centre de Documentation National : « Un centre qui a une grande importance pour les journalistes et les chercheurs du pays car c’est une mine d’informations » explique-t-il.