Cynisme et humiliation

Lors de son allocution à l’Assemblée Constituante au sujet de la manifestation de l’UGTT organisée le 25 février dernier, Ali Lariedh, tête pensante du bureau exécutif du parti islamiste Ennahdha, devenu le 26 décembre 2011 ministre de l’intérieur de la Tunisie, a affirmé que les journalistes tunisiens n’ont pas écouté les consignes des agents des forces de l’ordre, contrairement aux journalistes étrangers, ce qui explique le fait qu’ils soient tabassés dans la foulée.

Dans une approche très humiliante… on s’est adressé à quelques journalistes étrangers « qui auraient respecté les consignes des policiers » contrairement à nos journalistes tunisiens.

On a contacté Thierry Brésillon qui nous a dit que bien qu’il n’ait pas jeté de pierres, qu’il n’ait pas jeté des bouteilles d’alcool, qu’il n’ait pas été soul, il a pourtant était « copieusement insulté par un flic en civil très excité, parce que Français justement. » Un autre « flic est intervenu pour demander des excuses » arguant que cela est dû à la tension.

Le « journaliste étranger » a aussi affirmé qu’il a vu des policiers confisquer l’appareil photo d’un jeune. Il est intervenu avec son ami « étranger » pour demander aux policiers de lui rendre son appareil, ce qu’ils ont fini par faire.
Un photographe de nationalité étrangère a aussi assisté à la scène mais il n’a malheureusement pas voulu qu’on dévoile son nom…

« Je peux aussi vous dire que les journalistes étrangers ne sont pas plus tenus à l’écart que les tunisiens quand ça s’est mis à chauffer. La seule différence c’est quand tu parlais en français ils ne tapaient pas. » dixit Thierry.

En outre, le rapport de l’organisation Reporters sans Frontières a été bien explicite au sujet de ces agressions mises en doute par le ministre.

Les insultes qui ont été proférées à l’encontre des journalistes et la brutalité avec laquelle certains d’entre eux ont été traités par les forces de police sont sans équivoque et marque le retour des violences policières. Rien n’explique un tel comportement sinon la peur de retrouver, dans les médias, les images d’actes totalement illégitimes. Un tel regain de tension entre les représentants de l’ordre et les professionnels des médias est particulièrement inquiétant. Une pacification des relations est indispensable, sans quoi, de telles scènes seront nécessairement amenées à se reproduire

Manœuvre de confusion

Depuis que le chef du parti islamiste Rached Ghannouchi ainsi que Hammadi Jebali ont critiqué le média tunisien, presque tous les nahdhaouis se sont mis à faire pareil. Des facebookers islamistes pro-nahdha se sont mis à faire de la diffamation contre Haythem Mekki, Iqbal Gharbi, Aymen Rezgui et toute personne critiquant le travail du gouvernement Jebali, constitué de 54% de nahdhaouis. Un sit-in a été même organisé par des islamistes mécontents du travail de la chaine nationale 1…

Certes le média est sujet à critique, et il serait partial de dire qu’il est devenu « clean » du jour au lendemain, cependant, le discours de Ali Laraiedh mettant en doute les agressions subies par les journalistes constitue un véritable danger et pour la réforme du média et pour l’indépendance du gouvernement Jebali.

L’ambivalence des propos de Laraiedh laissait entendre une influence sur son travail et sur son sens de la répartie. D’un côté il a mis en exergue le fait que pendant des années, il a observé les deux facettes des médias (Cela n’a échappé à personne qu’il se référait, entre autres, au journal Les Annonces qui a contribué à le diffamer par une
cassette scandaleuse sous l’ancien régime Ben Ali.Cependant, plusieurs journalistes tunisiens intègres n’ont pas cédé à la propagande et ont soutenu le ministre dans les années 90.) et a reconnu leur importance, néanmoins, il a stigmatisé et mis à l’index les journalistes qui se sont fait tabasser lors de la manifestation.

Son allocution a contribué à une énième cristallisation de la confusion orchestrée de la part du gouvernement Jebali puisqu’en s’attaquant au média tunisien en général, M.Ali Laraiedh a associé les journalistes thuriféraires aux militants qui ont combattu le régime Ben Ali.
Par ailleurs, il semble omettre, qu’un citoyen qu’il soit rcdiste, militant, journaliste ou autre, a des droits, notamment d’être protégé et non battu par des matraques que le contribuable paye au ministère de l’intérieur.
Le ministre a parlé de « souls » ayant jeté des bouteilles d’alcool sur les policiers alors que ceux qu’on a vu se faire tabasser n’avaient rien de tel. La plainte déposée auprès du Procureur de la République de la part de Mme Najet Yacoubi, avocate du SNJT, pourra peut-être calmer les ardeurs moralistes d’un discours aussi stigmatisant…
(Cf.Rapport du Syndicat National des Journalistes Tunisiens au sujet des agressions)

A vrai dire, beaucoup de militants ne s’attendaient pas à ce que Ali Laraiedh fasse une telle confusion, quitte à mettre en doute les actes de violence avérés de la police, lui qui en connait quelque chose. En plus, ces mêmes journalistes étaient, rappelons-le, en première ligne contre le régime Ben Ali. Les stigmatiser de la sorte devant les députés de l’Assemblée Constituante et les télépectateurs tunisiens -autrefois vivant sous le joug de la censure et méconnaissant le parcours honorable de ces plumes libres- revient à les associer aux thuriféraires et aux voix de la propagande benaliénée, d’où la confusion.

Confusion cristallisée par un discours injuste

Ainsi la parole de Aymen Rezgui, l’un de ces journalistes tunisiens qui ont lutté contre Ben Ali, quand d’autres se cachaient sous leurs couettes, ce même journaliste qui ne s’est pas fait une pub ou « monté sur la Révolution » comme on dit dans la langue tunisienne, ce journaliste qui s’est fait tabasser et insulter par une police plus vulgaire que les souls des bars, ne vaudrait-elle rien comparée aux journalistes « étrangers » et « civilisés » qui respecteraient les consignes » des agents des forces de l’ordre ?

Selon Aymen, le ministre, bien que « connu pour son professionnalisme », s’est montré démagogue en s’adressant non envers un peuple et la société civile avec des propos d’un homme faisant partie du gouvernement de la Tunisie, mais en tant que nahdhaoui, cherchant à satisfaire les partisans de son parti islamiste.

Quant au journaliste Zied El Hanni, il a écouté ce discours avec amertume et a affirmé qu’il continuerait son combat pour un média indépendant, qui ne doit en aucun cas être à la solde du bon vouloir du gouvernement. Il a rappelé aussi qu’il attend encore, depuis le 31 décembre 2012, la réponse du ministre auquel cinq autres journalistes se sont adressé, officiellement, pour divulguer les noms des agents de la police politique qui traquaient les plumes libres avant le 14 janvier 2011.

Le gouvernement Jebali, maladroit avec l’UGTT puis avec le SNJT

Ainsi, en un temps record, le gouvernement Jebali s’est mis à dos les deux organisations les plus coriaces qui ont résisté au régime dictatorial de Ben Ali bien que, pendant des décennies, ses sbires aient tenté par tous les moyens possibles de les mettre à terre, en les infiltrant et en y provoquant des putschs.
L’ approche du ministère de l’intérieur, en vue d’ouvrir une « enquête interne», contacter le syndicat et poursuivre les responsables d’abus qui ont eu lieu le 25 février lors de la manifestation de l’UGTT, a été dès lors ignorée par le SNJT qui nous a informé qu’il ne peut plus coopérer avec cette institution et qu’il n’y a que la Justice qui pourra mettre les points sur les i.

Un dialogue constructif et surtout réaliste reste alors le meilleur moyen pour apaiser les tensions et calmer les esprits. Nonobstant, une question s’impose : Qui est-ce qui a donné la version erronée de la manifestation de l’UGTT au ministre de l’intérieur Ali Laraiedh ? Est-ce la police du ministère de l’intérieur … ou est-ce les membres du parti islamsite Ennahdha ?