Cela fait maintenant un peu plus de deux mois qu’a été donné le coup d’envoi d’une des opérations les plus importantes lancées par le président Kais Saied depuis son accession à la magistrature suprême en octobre 2019 : l’audit général des opérations de recrutement et d’intégration dans le secteur public (fonction publique, instances publiques, établissements publics, entreprises publiques, sociétés à participation publique et toutes autres structures publiques). C’est ce que stipule le décret (n° 2023-591), pris par le chef de l’Etat le 21 septembre 2023.
Cet audit porte sur les recrutements et d’intégrations réalisées à compter du 14 janvier 2011 jusqu’au 25 juillet 2021. Ce qui veut dire que ceux réalisés à partir du 25 juillet en sont exclus.
Kais Saied a été amené à s’attaquer à l’ogre qu’est l’administration parce qu’il la tient pour responsable du blocage de bon nombre, pour ne pas dire de la plupart, de ses initiatives. Le président la soupçonne même de corruption. Il l’a dit récemment à deux reprises au moins. Une première fois le 5 décembre 2023, lors de la célébration du 71ème anniversaire de l’assassinat de Farhat Hached.
Dans une déclaration en marge de cet événement, le chef de l’Etat a accusé « certaines personnes au sein de l’administration de ne pas faire leur travail » et d’autres « de s’emparer de terres appartenant à l’Etat et d’entraver les entreprises communautaires ». Une de ces personnes a mis la main sur une terre couvrant 900 hectares, du côté du Jerid.
Une semaine plus tard, le président est revenu sur ce sujet, en recevant le chef du gouvernement Ahmed Hachani, le 13 décembre 2023.
A cette occasion, le président a affirmé que « certains au sein de l’administration attendent les élections (en espérant que la page Kais Saied soit tournée ? –c’est en tout cas ce que laisse entendre cette déclaration), « font des calculs politiques » et « ne rendent pas service au citoyen ».
Du bon et du mauvais
Le dispositif mis en place pour mener l’audit général des opérations de recrutement et d’intégration ne semble pas, a priori, poser de problème (voir encadré). On ne peut en dire de même des règles sur la base desquelles cette opération va être menée. Là il y a du bon et du mauvais.
Le bon, d’abord. Il s’agit de la décision du président Kais Saied d’exclure le recours aux poursuites pénales (article 7 du décret du décret n° 2023-591 du 21 septembre 2023) et de limiter la sanction des personnes prises en flagrant délit de fraude « au retrait des décisions d’intégration ou de recrutement ». Cette sanction est prise « s’il s’est avéré (que ces opérations) n’ont pas respecté les conditions et procédures définies par les textes législatifs et règlementaires qui leur sont applicables, ou qu’elles ont été prises sur la base de faux diplômes, ou non conformes aux conditions d’intégration ou de recrutement ».
Cette sage décision présente un double avantage : éviter la double peine aux coupables et à la justice tunisienne d’être submergée par des milliers de procès, voire plus.
Le mauvais, ensuite. Il s’agit là aussi d’une décision du chef de l’Etat. Celle d’avoir limité l’audit aux recrutements et opérations d’intégration réalisées depuis le 14 janvier 2011 jusqu’au 25 juillet 2021. Ce qui veut dire qu’en sont exclus ceux effectués au cours des quatre dernières années, c’est-à-dire depuis que le président Kais Saied est au pouvoir.
Cette décision constitue une faute pour au moins deux raisons. La première parce qu’elle viole le sacro-saint principe de l’égalité des Tunisiens devant la loi. Ensuite, parce qu’elle cause du tort au pouvoir en place en laissant s’infiltrer le soupçon qu’il s’autorise ce dont il accuse le système politique d’avant le 25 juillet 2021 : favoritisme, privilèges indus, etc.
Dispositif et modalités de l’audit
D’après le décret n° 2023-591 du 21 septembre 2023, relatif à l’audit général des opérations de recrutement et d’intégration dans la fonction publique, les instances publiques, les établissements publics, les entreprises publiques, les sociétés à participation publique et toutes autres structures publiques, l’audit concerne, en plus de la Présidence du gouvernement et des structures sous sa tutelle, et de l’Assemblée des représentants du peuple, 8 groupements d’organismes (ministères et les structures placées sous leur tutelle, collectivités locales, établissements publics et les entreprises publiques, instances publiques, Banque centrale de Tunisie, banques publiques, banques et les établissements financiers à participation publique, et sociétés à participation publique).
En tête de la pyramide du dispositif se trouve un comité de pilotage des opérations d’audit placé sous la tutelle de la Présidence du Gouvernement. Présidé par le Chef du gouvernement, ou la personne qui le supplée, ce comité compte 7 membres (les chefs du Haut comité du contrôle administratif et financier –rapporteur- et des corps du contrôle général des services publics, du contrôle général des finances, du contrôle général des domaines de l’Etat et des affaires foncières, et trois magistrats des ordres judiciaire, administratif et financier nommés par décret, membres).
Le président du comité peut convoquer toute personne dont la présence est jugée utile.
Le comité de pilotage, dont les travaux débutent dès que sa composition est complète, délivre les ordres de missions dans un délai maximum de dix jours à compter de la date du commencement de ses travaux.
Il désigne des comités d’audit pour réaliser les opérations d’audit et en définit les missions, facilite leurs travaux et assure le suivi de leurs rapports.
Ces comités d’audit sont composés des contrôleurs ou d’inspecteurs relevant du corps du contrôle général des services publics, du corps du contrôle général des finances, du corps du contrôle général des domaines de l’Etat et des affaires foncières, et des inspections générales et toutes autres structures chargées du contrôle dans les structures susmentionnées, ainsi que des cadres qualifiés proposés par le ministère ou la structure en cause.
Chaque comité, qui accomplit ses missions sur ordre de mission signé par le Chef du Gouvernement, est chargé de vérifier le respect des conditions de recrutement et d’intégration et leur compatibilité avec la législation en vigueur et, notamment, de vérifier l’authenticité des diplômes. Il peut, le cas échéant, disposer d’équipes d’audit.
Les comités d’audit achèvent leurs travaux dans un délai de deux mois à compter de la date de leur prise de fonctions en soumettant au comité de pilotage les rapports établis.
Le président du comité de pilotage soumet, dans un délai d’un mois à compter de la date de sa réception des rapports des comités d’audit, un rapport final sur ses travaux au Président de la République.
A l’arrivée, les administrations et structures concernées procèdent au retrait des décisions d’intégration ou de recrutement qu’il s’est avéré qu’elles n’ont pas respecté les conditions et procédures définies par les textes législatifs et règlementaires qui leur sont applicables, ou qu’elles ont été prises sur la base de faux diplômes, ou non conformes aux conditions d’intégration ou de recrutement, et ce, sans préjudice des poursuites pénales à cet effet.
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