Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Les changements climatiques sont un fait que nous vivons tous les jours. Ils se manifestent par une hausse des températures, une baisse de la pluviosité et une mauvaise répartition de la pluie (réduction du nombre de jours de pluie). Des événements climatiques extrêmes ont également lieu, comme les canicules en été ou les inondations instantanées.

Loin d’être une fatalité, ces changements sont causés par les activités humaines. En effet, depuis la révolution industrielle et l’utilisation des combustibles fossiles (charbon, pétrole et gaz), les concentrations en gaz carbonique de l’atmosphère n’ont cessé d’augmenter. Le volume des gaz produits est tellement important que la terre est incapable de les absorber. Les « puits de carbone » (systèmes capables d’absorber le gaz carbonique), à savoir les océans et les forêts, ne peuvent pas assimiler les gaz émis.

Le gaz carbonique atmosphérique ne reste pas dans les zones où il est produit, mais est déplacé par les courants atmosphériques. Ses effets réchauffants se manifestent loin des lieux d’émission. C’est la raison pour laquelle les pays les plus négativement affectés par les changements climatiques ne sont pas nécessairement ceux qui polluent le plus. Les pays industrialisés, par leurs activités économiques sont par conséquent historiquement responsables du réchauffement de la planète. Cette responsabilité historique a été esquivée à la COP 21 (Conférence des Parties), tenue à Paris en 2015 où les pays du Sud ont accepté la notion de responsabilité partagée avec les Etats pollueurs. Bref, même si les pays du Nord ont accepté la création d’un fonds pour le climat afin de dédommager les pays les plus vulnérables, les attentes des pays du Sud ont été déçues.

L’agroécologie est un système de production défendu par les organisations paysannes comme réponse aux changements climatiques. Elle se propose de produire des aliments sains dans le respect de l’environnement et des humains. Elle est définie comme un ensemble de pratiques agricoles, une science (intégration des connaissances scientifiques dans la pratique agricole), mais aussi un mouvement social. Elle cherche à rénover le système alimentaire dans son ensemble, y compris les rapports économiques et sociaux entre producteurs, consommateurs et pouvoirs publics.

Pourquoi l’agroécologie ?

Ce mode de production agricole se veut une alternative au système extractiviste adopté –au niveau global- par les multinationales et les grands propriétaires terriens, et qui considère que les produits agricoles sont une marchandise obéissant uniquement aux lois du marché. La production agricole intensive est polluante car elle fait appel à l’utilisation intensive des pesticides et des intrants minéraux. Elle ne tient compte ni de l’environnement (résidus de pesticides, déchets par exemple), ni de la santé des travailleurs ou celle des consommateurs. Elle est aussi très énergivore (consommation de combustibles fossiles en l’état ou transformés), tout comme elle se base sur des semences et espèces ou variétés « améliorées », parfois même des OGM (organismes génétiquement modifiés). Ces recours sont souvent justifiés par le fait que les semences et variétés locales ne sont pas aussi productives que les autres.

Le système de production agricole dominant a eu des conséquences sur l’état de la planète, dont :

  • Une perte de la fertilité des sols,
  • Une tendance à l’accroissement de l’utilisation de l’eau, des engrais et des pesticides,
  • Une généralisation de la monoculture, l’augmentation du recours aux OGM, la pollution des sols et des nappes phréatiques…
  • Une tendance à la concentration des monopoles sur les semences ; deux semenciers (Bayer et Corteva) dominent 40 % du marché mondial. Six multinationales détiennent près de 60 % du marché mondial des semences (maïs, soja, colza, blé, riz, légumineuses ou légumes),
  • Un accaparement des terres par les investisseurs étrangers (pour l’exploitation forestière, l’extraction minière ou l’agriculture industrielle comme celle de l’huile de palme).
Modèle de production hyper intensif à Gafsa. Au premier plan, des salades et en arrière plan, des arbres fruitiers

Six pays africains sont concernés par ce phénomène : le Libéria (15 % de sa superficie), le Gabon (9,2 %), le Cameroun (8 %), le Soudan du Sud (4,1 %), le Mozambique (3,4 %) et le Congo (RDC, 3,3 %)[1].

La figure suivante montre les pays les plus touchés par l’accaparement des terres à l’échelle mondiale (2019) :

  • L’agriculture et l’utilisation des terres sont responsables d’environ 23 % des émissions de gaz à effet de serre (méthane, protoxyde d’azote (N2O) et dioxyde de carbone). Cependant, le système agro-industriel émet à lui seul un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre,
  • Une faible résilience face aux changements climatiques en cours,
  • Un accroissement du nombre de personnes atteintes d’obésité (liée à des déséquilibres alimentaires) ; à l’échelle globale, 39 % des adultes âgés de 18 ans et plus sont en surpoids et 13 % sont obèses (OMS, 2016),
  • Malgré l’accroissement de la production agricole mondiale, 735 millions de personnes souffrent de la faim à travers le monde en 2022. L’Afrique est la région la plus affectée, un cinquième de sa population en souffre.

L’utilisation d’un nombre réduit de semences et variétés, en plus des intrants, a abouti à une perte de la biodiversité tant naturelle que domestique dans les terres cultivées. La crise de la biodiversité actuelle résulte de nombreux facteurs dont les activités agricoles conventionnelles. La responsabilité de ces dernières est liée non seulement aux pesticides, mais surtout à la destruction des habitats naturels des animaux et plantes, par le défrichement des forêts et leur transformation en terrains de culture. Cela est très visible dans les régions du globe où les défrichements se font à grande échelle (Amérique du Sud, Asie).

La conséquence de l’utilisation massive des pesticides est l’apparition du phénomène de résistance aux produits chimiques utilisés chez les organismes visés (acariens, virus, bactéries, insectes, champignons). Pour traiter le même organisme, on doit toujours augmenter les doses et changer de produit. C’est finalement une course sans fin, et les résultats ne sont pas garantis, en plus du fait que les produits utilisés tuent des organismes non ciblés mais qui vivent dans les terrains traités. On le voit nettement chez les abeilles et les pollinisateurs qui disparaissent un peu partout dans le monde.

La situation en Tunisie n’échappe pas au modèle global décrit plus haut. En effet :

  • Environ 33 pesticides dangereux sont importés en Tunisie, alors qu’ils sont bannis ou sévèrement restreints en Europe (2023)[2]. Parmi les conséquences connues de l’utilisation massive des pesticides, on signale l’affectation de la santé des producteurs, des ouvriers agricoles et des consommateurs (cancers et allergies),
  • L’accroissement du taux de personnes en surpoids, surtout les enfants. En effet, 21 % parmi eux sont obèses. Le Centre-Est du pays est la région la plus touchée par ce fléau (47,1% des enfants de la région)[3],
  • Une augmentation du diabète de type 2 (associé au surpoids) chez les hommes de 89,4 % entre les années 1990 et 2019, passant de 6,6 % à 12,5 %. Chez les femmes, ces taux ont passé de 5,1 % à 9,6 % (augmentation de 88,2 %)[4]. Cette situation est liée à un déséquilibre alimentaire et à un changement du régime alimentaire chez les personnes affectées.

Une alternative

L’agroécologie se présente comme alternative au système de production dominant. Elle tente d’intégrer les connaissances scientifiques dans les pratiques agricoles et les lie aux mouvements sociaux. Elle cherche à rénover le système alimentaire dans son ensemble, y compris les rapports économiques et sociaux entre producteurs, consommateurs et pouvoirs publics[5]. Ses principales caractéristiques sont les suivantes :

  • Elle se réfère à la Souveraineté Alimentaire[6], ou droit de chaque peuple à une alimentation saine et culturellement appropriée, produite à travers des méthodes durables (s’oppose à l’uniformisation des régimes alimentaires),
  • Elle se focalise sur les petits producteurs qui combinent l’élevage à la production végétale (70% de la population mondiale est nourrie par les productions paysannes)[7],
  • Elle tient compte des conditions sociales de la production agricole (ce qui n’est pas le cas de l’agriculture biologique par exemple),
  • Elle se base sur la diversité des cultures (diversité variétale et spécifique), à l’association culture-élevage, à l’agroforesterie. Elle s’appuie sur le partage d’expériences entre les producteurs,
  • Elle oriente l’agriculture vers la production alimentaire, aux besoins des consommateurs et des marchés locaux. La production, la transformation, la distribution et la consommation sont envisagées localement (circuits courts),
  • Elle vise à assurer des moyens de subsistance décents aux petits producteurs,
  • La production agroécologique se fait par des semences, des variétés et des races locales d’animaux domestiques.

Il faut remarquer que l’agroécologie a été portée par des mouvements sociaux et paysans[8]. Elle a par la suite été intégrée par la FAO[9] en 2018, mais sans ses dimensions politiques (notion de souveraineté alimentaire qui s’oppose à celle de sécurité alimentaire prônée par la FAO).

En Tunisie, quelques systèmes de production agricole peuvent être qualifiés d’agroécologiques, notamment le système oasien traditionnel ou l’agriculture de montagne. Ces systèmes marginaux peuvent constituer des modèles pour le développement de l’agroécologie en Tunisie. Leur production ne peut pas être comparée en volume avec celle du système de production dominant, mais elle les surpasse en termes de qualité. Cependant, ces systèmes peuvent être développés en optimisant leur potentiel et en les améliorant avec les savoirs actuels. Reste cependant le problème des semences et des variétés locales, marginalisées et parfois même bannies en raison de l’adhésion de la Tunisie à l’UPOV[10].

Oasis traditionnelle à Gabès. Remarquez la diversité des cultures

Pour conclure, disons que l’agroécologie constitue une réponse aux défis que pose le système alimentaire mondial dont les conséquences ne cessent de marginaliser les petits producteurs et de nuire à la santé des consommateurs. Elle vise à partager les connaissances des producteurs et élever leur niveau de conscience et tente de tisser des relations de confiance entre eux et les consommateurs. Ses dimensions sociales et politiques sont d’une importance fondamentale quant à son évolution future.


[1] 6 pays africains parmi les pays les touchés par l’accaparement des terres

[2] Pesticides : les exportations toxiques de l’UE vers la Tunisie

[3] Amorri A., Ben Othmene R., Benzina B. F., Ben Ameur H., Kasraoui S. & Jamoussi H., 2023. L’obésité infantile en Tunisie. Annales d’Endocrinologie, 84 (1) : 218

[4] Ouderni I., Ben Gamra N., Khiari H., Safi E. & Hsairi M., 2022. Tendance de la prévalence du diabète de type 2 de en Tunisie. Annales d’Endocrinologie, 83 (5) : 363

[5] Calame M., 2016. Comprendre l’agroécologie. Origines, principes et politiques. Éditions Charles Léopold Mayer, 160 p.,

[6] Alahyane S., 2017. La souveraineté alimentaire ou le droit des peuples à se nourrir eux-mêmes. Politique étrangère, 3 : 167-177

[7] Via Campesina, 2022. On nourrit le monde. Via Campesina, 28 p.

[8] Déclaration du Forum International sur l’Agroécologie, Nyéléni, Mali, 27 février 2015

[9] Les 10 Éléments De L’agroécologie, FAO

[10] Union pour la protection des obtentions végétales, structure intergouvernementale chargée de la protection des variétés végétales créées par les semenciers.