Le rêve de l’Eldorado italien ne paraît pas près de se dissiper du côté des candidats tunisiens à la traversée de la méditerranée. Depuis le début de 2023 jusqu’à juillet, quelques 6087 migrants tunisiens irréguliers ont atteint les côtes italiennes, selon les données du Forum tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES), contre 18 mille pour l’ensemble de l’année précédente.
Ce flux de migrants préoccupe le gouvernement italien. La migration irrégulière est au centre des pourparlers entre le chef de l’Etat Kais Saied et l’Italie ces derniers mois. La présidente du Conseil italien, Giorgia Meloni s’est d’ailleurs entretenue avec Saied, le 30 juillet, au sujet de l’afflux continu des migrants irréguliers vers son pays.
Le discours anti-migrants des autorités italiennes ne semble guère dissuader les candidats tunisiens à l’émigration. Sept Tunisiens sur dix ayant l’intention d’émigrer souhaitent partir en Europe, principalement vers la France, l’Italie et l’Allemagne, révèle l’Enquête nationale sur la migration internationale réalisée par l’Institut national des statistiques (INS) et l’Observatoire nationale de la migration, publiée en 2021.
L’existence de réseaux d’aide familiaux et des connaissances sur place explique l’engouement pour l’émigration vers ces pays, souligne l’enquête précitée.
Le continent européen abrite ainsi 83.3% des 566 mille émigrés tunisiens dans le monde, 14% d’entre eux résident en Italie, soit le deuxième pays d’accueil après la France, indique la même source.
Les migrants tunisiens parvenus en Italie ne demeurent pas tous en situation irrégulière. En 2018, le nombre de permis de séjour de longue durée octroyés aux Tunisiens est relativement plus important par rapport à ceux accordés en moyenne à la population des immigrés issus des pays hors l’UE, soit 73,1% contre 61,7%. Ces permis de séjour sont principalement octroyés dans le cadre du regroupement familial.
En 2018, seuls 38% des migrants tunisiens, soit 108 mille 225 personnes étaient en situation régulière en Italie. Leur âge moyen était de 32 ans, fait savoir l’étude de la fondation allemande Friedrich-Ebert-Stiftung Tunisie « Emploi, conditions de travail et participation syndicale des travailleurs tunisiens migrants en Italie » réalisée par l’économiste des ressources humaines Saïd Ben Sedrine, et publiée en 2020.
Conditions précaires
Cette étude dresse un état des lieux de la situation socio-économique des migrants tunisiens en Italie. La majorité des travailleurs tunisiens dans ce pays sont des hommes. 59% de cette main d’œuvre résident au Nord de l’Italie où plus d’opportunités d’emploi sont offertes, indique ladite étude.
Fuyant leur pays à la recherche de meilleures conditions de vie, les Tunisiens arrivés en Italie se heurtent très vite à la dure réalité. La précarité les frappe de plein fouet, qu’ils soient en situation régulière ou irrégulière.
Les Tunisiens sont fortement touchés par le chômage. En 2017, les migrants tunisiens en âge de travailler (15-64 ans) sont confrontés à plus de difficultés pour trouver un emploi par rapport aux autres immigrés issus des pays non européens. Le taux d’inactivité des Tunisiens est plus important que la moyenne, soit 33% contre 30,4% chez les immigrés non européens, souligne l’étude précitée.
La communauté tunisienne figure parmi les populations les plus fragiles. Elle connait un taux de chômage plus élevé que celui des immigrés non européens (21,5% contre 14,9%). Par ailleurs, 45.5% des jeunes tunisiens en Italie de 15-29 ans ne travaillent pas, n’étudient pas et ne suivent aucune formation.
La situation des femmes n’est pas meilleure. 69.1% des jeunes filles tunisiennes sont touchées par cette exclusion sociale contre 46,3% de leurs semblables issues des pays hors UE.
Et même les Tunisiens résidants depuis des années en Italie et disposant d’un permis de séjour ne sont pas épargnés par la précarité de l’emploi. Leur situation est comparable à celle des nouveaux arrivés. En 2017, la majorité d’entre eux (83.3%) ont des contrats de travail à durée déterminée.
La main d’œuvre non européenne, y compris tunisienne, est marquée par une forte proportion de travailleurs non qualifiés. 42% parmi les Tunisiens contre 38% du total des immigrés non européens.
Les secteurs de l’agriculture et de construction attirent un nombre important de travailleurs tunisiens. En 2017, un peu plus de la moitié (52.8%) des nouveaux recrutements de Tunisiens ont eu lieu dans ce domaine. Cette main d’œuvre est fortement exposée à la précarité. Ils sont souvent employés en tant que saisonniers.
En 2017, le salaire mensuel moyen des travailleurs tunisiens, tous secteurs confondus, est de 1033 euros contre 1057 euros en moyenne pour les travailleurs nés en dehors de l’UE. Cependant, cette marginalité sociale en Italie concerne aussi bien les autochtones que les immigrés non européens, souligne l’étude de Ben Sedrine.
Réseaux mafieux
Les travailleurs en situation irrégulière sont très exposés à l’exploitation, révèle ladite étude. « L’économie italienne est incapable d’absorber le nombre croissant des migrants. De ce fait, les nouveaux arrivés sont fortement touchés par la précarité », déclare Said Ben Sedrine à Nawaat. Et de poursuivre : « Le marché italien fait recours massivement à des immigrés en situation irrégulière pour combler son besoin de main-d’œuvre, que la politique officielle italienne de quota ne satisfait pas ». Dans ce contexte, des réseaux mafieux s’immiscent dans le marché. Des entreprises ont recours à leur intermédiaire dans plusieurs régions de l’Italie.
Ces réseaux agissent dans plusieurs secteurs dont l’agriculture et le bâtiment employant un nombre important de Tunisiens. Ces derniers travaillent en moyenne entre 8 et 12 heures par jour pour un salaire moyen journalier de 20 à 30 euros, soit à peine la moitié de la rémunération prévue par les conventions collectives nationales de travail (CNL) et les conventions provinciales de travail (CPL) italiennes. Les travailleurs sont sous l’emprise de mafieux, à qui ils sont contraints de payer les frais du transport (5 euros en moyenne) ainsi que les besoins de première nécessité (en moyenne 1,5 euro pour l’eau, 3 euros pour un sandwich, etc…).
Cette exploitation commence avant l’arrivée du migrant irrégulier sur le territoire italien. Des passeurs tunisiens et un réseau mafieux italien organisent ce trafic d’êtres humains, révèle l’étude.
Rôle des syndicats
Des structures syndicales italiennes de proximité luttent contre cette exploitation. Exposés à la précarité et à la complexité de la législation de séjour, les immigrés tunisiens ont la chance d’être accompagnés par les syndicats, estime l’auteur de l’étude.
Ces deniers jouent un rôle important pour régler les problèmes liés à l’obtention ou au renouvellement des permis de travail. Ils interviennent pour fournir des conseils relatifs à la protection sociale. D’ailleurs, l’étude révèle que le taux de syndicalisation des Tunisiens est plus important que celui des Italiens.
Pour renforcer la protection des travailleurs tunisiens en Italie, l’étude plaide pour une meilleure coopération entre les organismes syndicaux italiens et tunisiens. Cette collaboration doit être développée autour d’une approche multi-acteurs incluant les différentes parties prenantes, renchérit l’économiste des ressources humaines.
Cette coopération est d’autant plus nécessaire face à la montée de l’extrême droite en Italie. « Les acquis sociaux en faveur des travailleurs, à l’instar des allocations, risquent de diminuer ou de disparaitre », déplore le spécialiste. Et d’alerter : « Jusqu’à maintenant, les immigrés avaient certes des bas salaires mais pouvaient compter sur ces aides sociales. Sans ces aides, ils seront encore plus précaires ».
Pour enrayer la vulnérabilité inhérente à l’émigration irrégulière des Tunisiens, les autorités tunisiennes doivent œuvrer à favoriser l’émigration régulière. Actuellement, elles ne jouent pas pleinement ce rôle, estime Ben Sedrine.
Cette politique pourrait s’inscrire dans la nouvelle optique italienne tendant à renforcer la migration régulière. Lors de sa rencontre avec Kais Saied en janvier dernier, le ministre des Affaires étrangères italien, Antonio Tajani a affirmé que l’Italie est « prête à augmenter le nombre d’immigrés réguliers, formés en Tunisie, qui peuvent venir travailler dans l’agriculture et l’industrie », et ce, afin de « réduire l’immigration irrégulière et renforcer l’immigration régulière ». Le responsable italien espère par ailleurs sceller des accords avec la Tunisie pour « avoir des travailleurs réguliers, des jeunes Tunisiens et Africains, qui puissent s’intégrer chez nous », dit-il.
En vertu de la convention de partenariat avec la Tunisie dont la signature est prévue prochainement, l’Italie promet d’accueillir des milliers de Tunisiens destinés à travailler dans différents secteurs d’activités, a annoncé l’ambassadeur italien en Tunisie, Fabrizio Saggio, le 27 juillet.
C’est que le petit patronat a aussi besoin des travailleurs tunisiens pour combler la pénurie actuelle de main d’œuvre, explique l’auteur de l’étude.
Quant à la migration irrégulière, elle ne risque de disparaitre de sitôt. « La Tunisie ne peut pas tenir ses engagements avec l’Italie pour combattre l’immigration irrégulière. L’effondrement économique en Tunisie ne fera qu’encourager l’exode des Tunisiens », conclut-il.
Je comprends profondément le désespoir qui envahit les jeunes tunisiens face à la conjoncture politiico-economique, mais ce qui ils les attendent n’a rien de drôle : en France, pour le mieux, ils vivront à la rue dans des tentes kechua sans eau sans toilettes à la recherche de nourriture, dans tous les pays européens, ils seront dépossédés de toute dignité.
Le colonisme est parti d’Afrique mais les africains viennent le quémander de manière libre et consenti.
Que faire ! Voyez avec vos dirigeants.
Grâce à cette déferlante, en France, l’extrême droite prendra le pou et je plains les clandestins du Maghreb et subsahariens.
Désolée d’être aussi sombre.
Bien à vous