Une étude réalisée par la Banque Mondiale et présentée par l’Institut tunisien d’études stratégiques (ITES) sur l’économie parallèle en Tunisie a montré que cette dernière emploie 41,5% de la population active dont 53,7% sont des hommes. L’économie parallèle attire 55% des personnes n’ayant pas poursuivi leurs études au-delà de l’école primaire.
A El Sabbaghine, les policiers ferment les yeux sur ce trafic moyennant quelques compromis. Les agents donnent pourtant bien l’air de ne pas badiner avec la loi en effectuant parfois des descentes nocturnes lors de la disposition de la marchandise dans les boutiques. Toutefois, ils sont vite amadoués pour une somme variant entre 100 et 500 dinars, nous racontent les marchands. Ces derniers trouvent leurs comptes comme les policiers, sans oublier ce qu’ils désignent comme « les délateurs ». Ces derniers scrutent les mouvements de la marchandise et appellent les policiers pour une descente expéditive. Ils y gagnent au passage une petite récompense en guise de commission.
Les rapports houleux entre les policiers et les commerçants reflètent le lien qu’entretient l’Etat avec cette population.
L’Etat ferme les yeux ou resserre l’étau sur cette communauté selon les conjonctures politiques et économiques. Ses représentants, en l’occurrence les policiers, participent à ce jeu. Leurs liens avec les commerçants sont compliqués. Tantôt, ils sont leurs complices en rentabilisant leur laisser faire, tantôt leurs ennemis avec des animosités et de la violence réciproques,
souligne le sociologue Foued Ghorbali.
Ce jeu est destiné à perdurer en absence d’une vision globale de l’économie, prédit- il. « Dans cette dynamique, il y a l’Etat mais aussi les acteurs de l’économie formelle d’un côté et informelle de l’autre côté. Ces derniers sont les refuges des classes moyennes et populaires. Mais également du secteur formel qui s’approvisionne auprès d’eux. Ils créent aussi eux-mêmes de l’emploi. L’Etat le sait bien et n’a pas une alternative, ni pour la paupérisation généralisée des Tunisiens, ni pour les Jelmois. S’il mettrait fin à leur activité, il risque de les livrer au chômage et à la délinquance », analyse le sociologue, spécialisé dans l’exode rural et la marginalité sociale, plus particulièrement celle des Jelmois.
Vieux partants, jeunes arrivants
La localité de Sabaghine comptait en 2004, 2.630 habitants. En 2014, ils ne sont que 1.939 à y résider, selon le recensement de l’Institut national des statistiques (INS). Le nombre des ménages est passé de 743 à 585 durant la même période, d’après la même source.
La délégation de Jelma comptait 28.626 habitants âgés de 15 ans et plus en 2014 dont 13.987 sont des hommes, indique l’INS. Beaucoup de ces hommes se sont installés dès les années 90 à Bab Jazira. Ce qui les unit, outre le lieu de naissance et l’activité, c’est essentiellement le lien du sang, explique Foued Ghorbali, sociologue, à Nawaat.
Ce sont des cousins, venus essentiellement des territoires ruraux de Jelma. Ils ont pu avec le temps occuper cet espace et évincer- symboliquement- les habitants d’origine. La solidarité entre eux et l’exclusion, par l’usage de la force des fois, de ceux qui leurs sont étrangers, ont imprégné le lieu. Ils se sont forgés une nouvelle identité citadine. Et plus on les stigmatise, plus cette identité se renforce et se crispe des fois,
ajoute le sociologue.
Issam, 30 ans, est venu il y a 10 ans de Sbiba (Kasserine), il a travaillé d’abord comme transporteur de marchandises avant de devenir un apprenti dans une boutique de vêtements appartenant à un cousin. Après avoir résidé à El Hafsia avec ses cousins, ils ont déménagé à El Mourouj. C’est là-bas qu’il compte s’installer après son mariage avec une fille de sa région. Un projet ambitieux aux yeux de Khaled. Le transporteur compte bien épouser une fille de sa Jelma natale mais pas de la ramener à Tunis. « Je n’ai pas les moyens pour louer une maison ici », confie-t-il.