C’est par une caméra qui suit et écoute, prête à recevoir les confidences, que Manca Moro se met sur les rails de cet héritage. Ce qui guide cette enquête au dispositif horizontal, c’est une parole cousue de flash-backs, d’ellipses, flattant la fibre nostalgique du passé révolu pour gratter la complexité d’une mémoire à double hélice. Mais ce n’est pas vraiment une enquête au singulier qui est au programme. C’est la mère, au visage mûr et rugueux, qui nous tend la perche. Et, mine de rien, c’est dans sa voix et sa présence que résonne l’histoire des Siciliens tunisiens, cette communauté qui fut présente en masse partout dans le territoire, et à laquelle on doit en partie la main-d’œuvre au protectorat et la bonification des terres. Installée à Korba, sa mémoire bien à vif a décidément tout bon : sans s’encombrer de détours, ce sont les souvenirs qui dominent ses conversations en remontant et redescendant les années d’un coup d’aile. Les souvenirs de l’époque dans ce que fut la Tunisie au lendemain de l’Indépendance, sont le ressort du témoignage, chevillé à ce point de bascule qui condamne les siens à l’exil. C’est de là qu’il faudrait partir.
Renouer le lien, cent ans plus tard, avec le passé et l’histoire des ressortissants de la péninsule italienne, est sur le papier un parti pertinent pour amorcer une réflexion sur la double appartenance et la déchirure qu’elle occasionne. La réflexion trouvera dans Manca Moro une ampleur bienvenue, celle d’un contexte historique et social, en alternant les points de vue au rythme des retrouvailles. C’est auprès de deux vieilles tantes et d’un oncle, partis depuis plus d’un demi-siècle sans grand espoir de retour, que Temimi trouve matière à recoller quelques morceaux de cette mémoire pour la mettre d’urgence en chantier. Entre Bologne et Nîmes, l’extra-territorialité des membres de famille dicte cet élargissement au portrait de groupe. Si les témoignages ont quelque chose à dire de leurs attaches profondes qui se sont construites de part et d’autre de la Méditerranée, ils révèlent autant sur le contexte qui les a vus naître, créant un véritable réseau de mémoires qui s’accordent et divergent. Et rien n’échappe à la caméra qui, au besoin, s’autorise le rentre-dedans pour ne rien perdre des confidences où la familiarité laisse place aux échanges approximatifs comme à l’embellie de l’humour, dans la satisfaction comme dans la désillusion. Mais ce dispositif accuse certaines faiblesses et pèche par une naïveté affectée en se condamnant assez tôt à une oscillation forcée. D’une part, il combine mise en scène posée et vérisme façon reportage, s’accordant parfois un répit le temps de fixer la mère qui est de presque tous les plans hors archives. D’autre part, quoiqu’avec la distanciation qu’introduit parfois la voix de la réalisatrice, venue de derrière la caméra, il ne s’enferme pas moins sur lui-même.