C’est pourtant à peine si l’on parle d’une dramaturgie du contact dans Les Enfants de la Lune. Car de proche en proche, les images passent à un cadre un peu plus resserré. Le visage, le corps se décentre parfois en son sein : de face, de profil, en contre-plongée, on ne perçoit que le poids de ce repli. Songeurs ou étonnés, et parfois dans les yeux une petite clarté tristounette, on ne sait rien de ce qu’ils contemplent, le bâtiment en face ou le ciel, ni de ce qu’ils scrutent, l’horizon ou leur for intérieur. Le cadre n’a pas les latitudes d’un hors-champ, où l’on peut voir haut, loin ou sur les côtés. Mais ce ne sont pas que des regards à soutenir ; ils sont aussi à échanger. Car d’un visage derrière une vitre, on sentira l’appel du regard qui nous fixe, les yeux dans les yeux, et que le jour s’entête à éclipser. La manière dont Ben Romdhane recueille cet appel au-delà de ce qui s’interpose en lui et en nous, ne diffère pas trop de celle qu’il a de scruter les psychés dans la quiétude de l’ombre, dans un repos ou un abandon. La beauté, dans ses moments-là, vient toute seule, réconfortante, à l’image de cette jeune fille assoupie auprès de son père : les mains accrochées au bras, le mur doublé d’une autre peau. Comme si la peau des choses et la peau des êtres semblaient se rejoindre et appartenir à la même chair du monde.
C’est cela, une lumière alliée, cette radiation d’une peau tachetée mais non moins conciliée avec son espace-temps, qui aura traversé la peau du corps pour en étendre le grain à celle de l’image. C’est le visage serein qui, au soir déclinant, se voit délicatement affecté d’une aura. C’est le regard qui passe la main à un sourire par-ci, à un air inquiet par-là, pour apparaître sous un jour différent. Et c’est de cette lumière-là que Ben Romdhane veut que ses images soient faites. Elles tendent à sortir du reportage, du constat, et parlent d’autre chose que du poids dont l’accablement, l’isolement, pèsent sur ces vies. Peut-être qu’en les sortant du noir, il les a en un sens mises en lumière. Mais une chose est sûre : il leur a surtout accordé une attention jamais intrusive. Et ce n’est pas sa moindre qualité que de l’avoir fait avec un tact aussi distancié qu’à portée de soi.