Le nombre des réfugiés et demandeurs d’asile en Tunisie est passé de 6200 personnes en 2019 à 6500 personnes jusqu’au mois de janvier 2021, a fait savoir Nejia Hafsa, responsable au bureau du Haut-commissariat des nations unies pour les réfugiés (HCR-Tunisie). En outre, on compte 1600 personnes attendant la réponse à leur demande d’asile déposée en Tunisie. Selon la représentante de l’organisation onusienne, la majorité de ces réfugiés et demandeurs d’asile sont de nationalité ivoirienne, syrienne et libyenne.

Précarité et communautarisme

Herbert Michel Ngweha, 30 ans, est l’un d’entre eux. Cet Ivoirien a trouvé depuis 2 ans refuge en Tunisie. Ayant survécu à une tentative d’assassinat et sous le coup de menaces persistantes à son encontre, le jeune homme a fui son pays natal. Il s’est d’abord rendu au Ghana avant de débarquer en Tunisie. « Dans des cas semblables, on se tourne vers l’Occident ou vers les pays voisins de l’Afrique de l’Ouest. Dans ces Etats, les prestations des organisations internationales destinées aux réfugiés sont en deçà de celles prodiguées en Tunisie. C’est pour cela que j’ai finalement opté pour ce pays », confie-t-il à Nawaat.

Mais en dépit du dépôt d’une demande d’asile auprès du HCR et l’obtention d’une carte de séjour provisoire, Herbert n’exclut pas de quitter la Tunisie vers un pays européen. « Si toutes les conditions sont réunies, je resterais en Tunisie mais si je demeure dans l’instabilité, il vaut mieux poursuivre son chemin ailleurs », explique-t-il. En évoquant les conditions de séjour dans notre pays, le jeune homme déplore notamment la non-reconnaissance du travail des migrants. Ayant travaillé dans le domaine de la construction et le secteur agricole, Herbert raconte d’amères expériences avec certains employeurs qui ont confisqué son salaire. « Dans ces cas, tu n’as aucun droit te protégeant et te permettant de porter plainte contre ton employeur », regrette-t-il.

Selon Herbert Michel Ngweha, cette précarité de l’emploi favoriserait autant l’entraide que le communautarisme. «Question boulot, on en cherche d’abord pour soi, et une fois trouvé, on n’oublie pas de tenter de caser un compatriote », nous confie-t-il. Et pour cause : le droit d’asile en Tunisie ne garantit pas un accès à l’emploi, ni à la sécurité sociale. Il permet juste le non refoulement ou d’éviter l’expulsion du réfugié, précise Romdhane Ben Amor, chargé de communication au Forum tunisien des droits économiques et sociaux (FTDES).

Absence d’un cadre juridique

La Constitution tunisienne reconnait dans son article 26 le droit d’asile politique. La Tunisie est également dans l’obligation d’harmoniser sa législation interne avec ses engagements nationaux actés, notamment, par la ratification de la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés et son protocole. Dans ce sens, un projet de loi sur le droit d’asile a été préparé mais il n’a jamais vu le jour. « L’absence d’un cadre juridique dénote du fait que l’Etat est démissionnaire sur cette question et laisse la gestion des réfugiés et demandeurs d’asile au HCR principalement. Cet organisme aux côtés d’autres organisations internationales fournissent des services aux réfugiés et aux demandeurs d’asile. Mais ces services sont en deçà des attentes », regrette Ben Amor. Et de poursuivre : « La reconnaissance du droit d’asile nécessite une refonte des lois sur les statuts des migrants, notamment en ce qui concerne le droit du travail, afin de faciliter leur intégration ».

Le vide juridique favoriserait un statu quo qui évite à l’Etat tunisien de prendre des engagements, d’après Michela Castiello d’Antonio, de l’ONG Terre d’asile-Tunisie, dans son exposé sur les demandeurs d’asile et réfugiés en Tunisie. « La réponse insuffisante de l’État tunisien vis-à-vis de l’asile s’explique ainsi par la crainte ne pas pouvoir assumer des engagements préjudiciables politiquement et non rentables économiquement : construction de structures d’accueil, traitement des demandes d’asile, assistance aux demandeurs d’asile, intégration des réfugiés, etc. L’adoption d’une telle législation impliquerait également une harmonisation complexe du corpus juridique tunisien afin de garantir l’accès effectif aux droits et une réelle protection. C’est un processus long et coûteux nécessitant une volonté politique », constate-t-elle.

L’absence de conditions permettant la stabilité et l’intégration des demandeurs d’asile et réfugiés en Tunisie a incité certains d’entre eux à retourner depuis 2020 en Libye, en vue d’un projet migratoire vers l’Europe, indique Romdhane Ben Amor. Or c’est la hantise des pays européens qui tentent à travers des accords avec la Tunisie d’endiguer un flux de demandeurs d’asile sur leur sol. Par ailleurs, le nombre croissant des demandeurs d’asile en Tunisie est aussi dû à la politique migratoire européenne. Renvoyés par les pays européens essentiellement vers la Libye, les demandeurs d’asile ont trouvé refuge en Tunisie croyant que leur situation serait meilleure ici, explique Ben Amor. « Mais en l’absence d’une loi nationale sur l’asile et la persistance des violations des droits fondamentaux ou la restriction de certaines libertés individuelles (pénalisation de l’homosexualité, l’exposition aux risques de détention ou de rapatriement collectif et de discrimination, conditions indignes de vie), la Tunisie ne peut pas garantir les droits reconnus pour les personnes en quête d’asile et donc ne peut pas être considéré « un Pays sûr » par l’Union Européenne », assène la représentante de Terre d’asile-Tunisie dans son rapport.