Bien qu’on se garde difficilement de le jeter avec l’eau du bain, il y a lieu de comprendre pourquoi le premier long-métrage de Majdi Lakhdar, Avant qu’il ne soit trop tard, pose plus de problèmes qu’il n’en résout. Ça part pourtant d’une idée pas inintéressante : une famille se retrouve coincée quand le plafond de sa maison délabrée s’écroule. Aux quatre coins du tableau : un père de famille à la recherche d’un trésor enfoui sous sa maison, une mère à bout, un fils qui vivote et sa sœur qui tente de croire en son avenir. C’est la règle des trois unités – de lieu, de temps et d’action – qui sert ici de devise. Cela pourrait suffire, à la seule condition que ça ne flanche pas au bout de vingt minutes.
Une chose que l’on ne pourra pas reprocher à Majdi Lakhdar, c’est sa sincérité. Mais c’est une sincérité trop sage pour ses ambitions. S’il y a quelque chose qui fonctionne ici, c’est moins le scénario anorexique que la façon qu’a le film de vouloir se maintenir à flot dans l’atmosphère anxiogène qu’il tente d’installer. Le choix des décors est la seule réussite du film. L’extérieur, à l’exception des scènes qui encadrent le film, est presque absent. Avant qu’il ne soit trop tard égrène dans le cadre une poignée de signes – pans de murs ébréchés, étais soutenant le plafond, réseau de téléphone mobile difficilement captable –, pour laisser flotter la tension entre un suspense en huis-clos et une façon de gonfler le reload jusqu’à exploser. La volonté d’un récit de ne pas baisser les bras, ne suffit pas pour nous tenir en haleine et dépasser le régime carbonisé de son déroulé.
Hormis quelques scènes où une forme de tension commence à naître – entre la scène du dîner, marotte des tensions familiales, et celle de l’effondrement plutôt aboutie –, les données diégétiques peinent à servir une trame qui se voulait généreuse. L’urgence de trouver un abri oblige le père à révéler le secret de cette galerie souterraine qu’il a creusée. En même temps, cette urgence marque un point de non-retour, puisque dans l’intervalle, les ampoules ne vont pas tarder à griller l’une après l’autre : le fils est grièvement blessé, la mère asthmatique ne peut pas tenir longtemps et la solution de se réfugier au sous-sol s’avère plutôt risquée. Au père alors, avec sa fille, de trouver une issue. Sous ce principe de passage de relai, tourné moins vers les séquences que vers leur enchaînement, Majdi Lakhdar et ses coscénaristes introduisent quelques ingrédients sous formes d’empêchements et de retards, pour ramener le film sur les rails du suspense, sans pour autant le sauver du crash à l’atterrissage. Les scènes s’étirent, et la dramaturgie avec.
Si ces scories sont flagrantes, c’est parce qu’Avant qu’il ne soit trop tard en reste aux minimas lorsqu’il doit se coltiner la matière même des obstacles qu’il oppose à ses personnage. C’est l’impression qu’il laisse sous la pesanteur où la mise en scène l’a cantonné. Le filmage fonctionne selon deux procédés : l’adoption de la caméra subjective, mise en facteur commun aux quatre personnages, et l’usage du champ-contrechamp. Qu’est-ce qui pourrait justifier ces choix filmiques ? La volonté de nous mettre dans sa poche en forçant l’identification. Certes, un plan subjectif ou semi-subjectif en caméra portée fait sentir la présence d’un personnage dans l’espace, pour mieux renforcer l’implication du spectateur dans le monde diégétique. Mais à quel prix ? Louer ce qui s’apparenterait ici à une audace formelle n’aurait peut-être que peu de sens si l’on tente de voir de plus près en quoi un tel choix est contre-productif. Car il s’avèrera d’une lourdeur telle que le film s’enlise dans une mécanique qui ne paye pas de mine : à côté d’une gestion empâtée des points de vue qui le siphonne de l’intérieur, la mise en scène n’est pas en reste.
En fait, la laborieuse manœuvre de rehausser l’ensemble d’un filmage à focalisation variable, ne fait qu’enfoncer la tentative de secouer quatre personnages mal en point dans un huis-clos. On s’en rend compte assez vite : le dispositif pourrait à la rigueur produire quelques effets sur une vingtaine de minutes, mais sur une heure de film, le résultat tient du supplice. En effet, les champs-contrechamps impliquent pour le spectateur un processus d’identification syncopée, puisque la caméra nous fait adopter tour à tour les différents points de vue, nous invitant plutôt à vivre la situation par procuration, jusqu’à produire un décrochage qui affecte la possibilité même de croyance du spectateur. À cela, deux conséquences. La première, c’est de reléguer au second plan l’atmosphère, et d’affaiblir par conséquent les extensions fictives du hors-champ. La seconde conséquence est de redoubler par des dialogues explicatifs ce que la mise en scène peine à dégager. Il suffit en effet de peu de choses pour que ces dialogues, véritable naufrage, livrent l’histoire clés en main : au lieu de nous entraîner sur un autre terrain, ils n’auraient servi au final qu’à balayer le mystère du sous-sol en plaçant la tension si bas que l’essentiel se dilue dans les temps morts, sans troubler le moins du monde la rectitude des enchaînements.
C’est en cela que Majdi Lakhdar peine à marier ses deux genres codifiés. Car à vouloir se frotter à la catastrophe, le film ne se refuse pas au repli. La tonalité d’Avant qu’il ne soit trop tard s’avère en effet beaucoup plus fluctuante, à la lisière d’un pâle drame familial et d’un schématique survival rejoué en mode mineur. Il est rapidement rattrapé par ses propres limites, comme si le régime de la fuite en avant s’effaçait sans plus de difficultés, pour se fondre dans une ellipse réconfortante et conclusive. Le scénario a beau se recharger par à-coups distanciés, rien n’y fait : écrasée sous son volontarisme, la dramaturgie grippe si vite que cela devient difficile de relancer un film au point mort.
Il serait sans doute facile de limiter les faiblesses d’Avant qu’il ne soit trop tard à la parade ronflante de la mise en scène et de sa grammaire approximative, si la direction d’acteurs ne cabotinait à son tour dans le vide. Au jeu démonstratif de Rabiâa Ben Abdallah et de Selma Mahjoubi patinant dans la semoule, on peut difficilement préférer la retenue empotée de Raouf Ben Amor, qui tente malgré tout de s’en sortir sans trop risquer de secouer l’extrême lassitude qui a, depuis longtemps, gagné le spectateur. En dehors de ces réserves, c’est à Majd Mastoura, plus ou moins bien dans son jus, que revient la seule petite touche de justesse. Ce que le film pouvait avoir de tension, l’inégale présence à la caméra le saborde dans ses grandes largeurs. Pour toutes ses raisons, le film pèse à peu près aussi lourd, sinon plus, que le plafond et s’écroule avec.
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