Le projet de Kais Saied repose sur la réorganisation des pouvoirs publics, en suivant une approche ascendante. Les élections se font d’abord à l’échelle locale. Les élus locaux se présentent ensuite à des élections régionales puis nationales. Exit les listes électorales. Dans le projet de Saied, les conseils locaux sont élus au scrutin uninominal. « Un accord doit être établi au préalable sur ce que le représentant, doit accomplir une fois élu. Des ateliers de travail devraient être organisés pour l’élaboration d’un projet permettant au conseil local la préparation d’un plan économique, social, culturel pour le développement local», explique Saied dans un entretien paru en mai 2018 dans l’ouvrage collectif « Que Vive la République ! Tunisie 1957-2017 » dirigé par Kamel Jendoubi.
Un projet très ambitieux
Ce projet permet également le recours du mécanisme du « recall » américain garantissant la possibilité de retirer la confiance à l’élu. Saied explique que les conseils régionaux, composés des représentants des conseils locaux, sont chargés de centraliser les différents projets conçus au niveau local. Les conseils régionaux sont aussi amenés à désigner leurs représentants au niveau du pouvoir législatif national. Les 265 délégations devraient être représentées avec un nombre égal de députés.
Saied estime que ce projet est « réalisable » et qu’il « consacre réellement la souveraineté du pays et le régime républicain ». Dans ce système, le recours à la motion de censure est possible ; si elle est votée pour la première fois, c’est au gouvernent de démissionner, si elle est votée pour une deuxième fois lors du même mandat, c’est au président de démissionner.« C’est ainsi que la légitimité populaire incarnée par l’assemblée parlementaire, devient plus forte que celle du président», plaide Saied.
Pour que ce projet soit réalisable, il faut amender la Constitution. En l’état actuel des institutions, Saied aura besoin d’abord de l’approbation de deux tiers des membres de l’Assemblée des représentants du peuple (ARP) mais aussi de l’aval de la Cour constitutionnelle, pas encore mise en place.
Les limites d’une ambition
Les articles 143 et 144 de la Constitution encadrent la procédure de révision constitutionnelle. L’article 143 lui accorde la possibilité de porter une telle initiative à l’ARP. L’article 144 prévoit plusieurs étapes. D’abord, l’initiative de révision doit être examinée et approuvée à la majorité absolue. Ensuite, la révision doit être votée à la majorité des deux tiers des membres de l’ARP. Une troisième option est prévue par l’alinéa 3 de l’article 144. Il s’agit de la soumission du projet de révision au référendum mais après l’accord de deux tiers des députés. Sans parti, ni bloc parlementaire acquis à sa cause, Saied aura du mal à mobiliser une majorité renforcée, soit au moins 145 députés, pour faire passer une quelconque révision constitutionnelle.
A part l’adoption par le parlement, le président de la République doit soumettre le texte de révision à la Cour constitutionnelle, en vertu des articles 120 et 144 de la Constitution. Selon l’article 120 : « La Cour constitutionnelle est seule compétente pour contrôler la constitutionnalité (…) des projets de lois constitutionnelles qui lui sont soumis par le Président de l’Assemblée du peuple, selon les modalités de l’article 144, ou afin de contrôler le respect des procédures de révision de la Constitution (…) ». Toutefois, l’inexistence de la Cour constitutionnelle rend inenvisageable tout projet de révision constitutionnelle pour le moment.
Supposons qu’une fois toutes les conditions réunies et que la révision de la Constitution a pu avoir lieu, le projet de Kais Saied requiert également l’amendement par l’ARP de la loi électorale ainsi que le Code des collectivités locales. Là aussi, il a besoin d’une majorité pour faire passer ces révisions.
Face à un tel état de fait, quel scénario envisagé par Kais Saied ? Il a répondu à cette question en évoquant « la responsabilité politique » des élus qui refuseraient son projet« devant le peuple ». A-t-il d’autres choix que la mobilisation populaire comme moyen de pression ? Les résultats des élections législatives prévues le 6 octobre révèleront probablement d’autres options.
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