C’est sans peine qu’on tombe sur l’adjectif adéquat. Drôle ? Plutôt mièvre est la comédie sociale que nous livre Kaouther Ben Hania avec Les Pastèques du Cheikh. Ce n’est pourtant pas la première fois que la cinéaste s’essaie au genre. Si sa filmographie semble de plus en plus à la remorque des actualités, elle tire ici sur un des fils de Peau de colle. Car à ce premier court-métrage de fiction, la réalisatrice de La Belle et la Meute a choisi de reprendre le personnage de l’enseignant de l’école coranique pour lui écrire une nouvelle histoire. Sur cette astuce du spin-off repose le film ; mais de son piètre programme, il ne tire qu’une substance peu heureuse.
L’intrigue ne semble pas fourbue par l’usage. S’ils sont deux à y être impliqués, chacun a sa logique : Taher, l’imam respecté mais rattrapé par la lâcheté ; et Hamid, le jeune assistant ex-djihadiste qu’il a cru bon de prendre sous son aile. L’histoire fignole quelque chose qui va déréglant tout sur le passage du cheikh : il accepte dans l’urgence de prier sur la dépouille d’une femme qu’il ne connaît pas. Technique de provocation rigolote mâtinée d’érotisme au poivre : à la place de la dépouille, ce sont plutôt des pastèques qui se nichent dans le cercueil. Et ce n’est pas qu’un prétexte à tout bazarder, elles permettent aussi de lorgner vers quelque chose de sexy. Car la prière de Tahar sera suffisamment compromettante pour qu’il soit détrôné, menaçant à la fois son pouvoir et sa virilité. Étrangement, Les Pastèques du Cheikh ne joue ce basculement qu’à moitié.
Car si les pastèques servent ici de ressort, Kaouther Ben Hania n’en fait pas vraiment grand-chose. C’est là qu’elle loupe le coche. Le canevas de comédie commande ici que le rapport au pouvoir s’inscrit aussi bien dans une logique de jeux de rôles que dans celle d’un chantage mou entre les deux personnages. L’apprenti Hamid, avec quelques complices, monte tout son plan pour pouvoir vendre du haschich et fermer le magasin d’alcool pour gagner la confiance de la population, et que le cheikh soit lâche s’il « cache les choses sous le tapis ». On serait certes mal avisé de prendre cette facilité du trait pour argent comptant – sous peine de tomber dans un vortex de vacuité. Louvoyer et trahir pour une transformation à vue, jouer des apparences et prendre prétexte des circonstances : ce portrait du pouvoir et de ses rouages, s’il force un peu les coutures, prolonge dans un dernier sursaut l’effort du cheikh pour faire capoter le complot.
On croyait pourtant tenir, dans le premier tiers du film, quelque chose d’efficacement fignolé, le temps de deux ou trois plans plutôt bien amenés : le petit gosse qui découvre le pot aux roses dans le cercueil ; les claquettes du sous-fifre enchâssées dans la porte de la mosquée avec un antivol. Mais en l’absence de véritables idées de mise en scène, Les Pastèques du Cheikh avance comme pour mieux nous rappeler à chaque séquence sa note d’intention initiale. Ce faisant, il laisse derrière lui un étrange sillon de gâchis, qui mêle une ou deux situations cocasses et des dialogues étouffant dans l’œuf l’efficacité de chaque soupçon de rebondissement, ou le recouvrant pour mieux servir un autre propos. Sans surprise, on assiste à des scènes symptomatiques de l’inévitable baisse de régime affectant la marotte de Kaouther Ben Hania, et qui n’est pas étrangère à une morale aux grosses encablures : retourner un stéréotype en un stéréotype contraire.
Avec un peu de générosité, on dirait des Pastèques du Cheikh qu’il a tout, ou presque, d’un film mineur fait dans le dos de l’actualité. Peut-être y en aura-t-il quelques-uns pour y voir une comédie qui, avec son trousseau de clins d’œil, peut au moins assurer une répartition équitable des esclaffes. Mais après avoir épuisé la charge de ses velléités fictionnelles, le film n’avait plus grand-chose à proposer. Il lui manque sans doute une malice aussi efficace que dans Peau de colle. L’idée aurait pu donner un résultat plus corseté si la mise en scène était moins fainéante, et si la facilité n’avait pas condamné les enjeux du récit à tourner à vide.
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