La semaine dernière, madame Michaëlle Jean, la secrétaire générale de la Francophonie était à Tunis pour une visite de travail. Elle a rencontré Béji Caïd Essebsi et Wided Bouchamaoui et dérangé Youssef Chahed qui était en planque devant les bureaux d’un homme d’affaire corrompu. A ma connaissance, elle n’a pas rencontré le secrétaire général de l’UGTT. L’objet de cette visite était la préparation du prochain sommet de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) qui doit se tenir en Tunisie en 2020. Un gros événement en perspective, non pas en raison des questions politiques qui y seront abordées mais parce que sera célébré à cette occasion le 50ème anniversaire de la fondation de cette organisation censée rassembler tous les peuples qui ont « la langue française en partage ».

Dans un entretien qu’elle a récemment donné, Mme Jean expose tous les avantages que recèle, selon elle, l’OIF, une organisation à la fondation de laquelle Bourguiba, Dieu le pardonne, n’a pas peu contribué :

Ce qui fait que la Corée du Sud comme d’autres pays asiatiques, ou l’Argentine comme d’autres pays d’Amérique latine rejoignent la Francophonie, c’est parce qu’il savent que c’est un espace de possibilités infinies, dynamique, où il y’ a moyen d’engager des coopérations, des échanges économiques, des accord commerciaux, la possibilité de s’engager tous ensemble sur les grands défis de ce monde : le défi sécuritaire, climatique, le défi du développement, le défi du renforcement de nos capacités et de nos connaissances.

Ce que ne dit pas la secrétaire générale de l’OIF, et on la comprend vu qu’elle a été nommée à ce poste par la grâce de François Hollande, c’est que la Francophonie, vestige de l’empire colonial français, c’est d’abord la France. La Francophonie est une institution dont le centre est la France. Que d’autres Etats puissent y trouver quelques avantages, qu’elle soit le lieu de relations complexes, de négociations, de micmacs, de conflits, ne change pas pour autant les rapports de force fondamentaux sur lesquels elle repose et qui ont leur propre reconduction pour finalité. Elle est un instrument des intérêts et de la diplomatie française, de sa politique d’influence, de ses priorités, de ses évolutions, de ses repositionnements et de ses revirements. L’OIF, dont le système de la françafrique est constitutif, s’inscrit ainsi dans les entrelacs du dispositif de la domination politique, culturelle et économique que la France continue d’exercer ou qu’elle tente de préserver sur ses anciennes colonies d’Afrique (toutes en sont membres, si je ne m’abuse, à l’exception de l’Algérie). Quant à la langue française, la langue française de France, ou, plus exactement la langue française d’un certain Paris, la langue française qui tire la langue française en arrière, elle a été et demeure – d’abord, avant tout, indiscutablement, politiquement – un instrument essentiel de l’oppression et de la hiérarchisation culturelles (et j’en parle d’expérience !).

Tout cela, nous tous Tunisiens le savons parfaitement, toute l’Afrique le sait, mais Mme Jean feint de l’ignorer. A l’entendre, la Francophonie serait une organisation destinée à promouvoir la solidarité, la fraternité, l’entraide, la démocratie, la justice, le pluralisme et tant et tant de belles choses. Pour que ce soit le cas, pour que la Francophonie soit ce qu’elle prétend être, il faudrait qu’elle ne soit plus ce qu’elle est. Autrement dit, il faudrait commencer par en exclure la France.