Avant de recevoir un dramaturge puisant son inspiration dans l’histoire contemporaine, une starlette de cabarets, une animatrice tv has been et un chanteur de variété en quête des gloires perdues, Naoufel Ouertani a reçu, juste après le jeu de la roue de fortune, son premier invité : le « cheikh » Mohamed Ben Hamouda. Convié à réagir à l’appel de la coalition associative pour le retrait de la circulaire du ministre de la Justice du 5 novembre 1973 sur le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans, l’imam médiatique, ancien animateur de l’émission Islmaouna sur Telvza Tv en 2014, se retrouve face à un Ouertani conquis d’avance. En témoigne la maladresse de l’extrait  inclus dans le teaser de Labes du 1er avril. « Vous cheikh, vous avez tout rendu halal. Dieu merci (hamdoullah), vous avez statuez que le mariage d’une musulmane à un non-musulman est illicite [haram] », s’enthousiasme Naoufel Ouertani. Face à la revendication du libre choix du conjoint s’appuyant sur les articles 6, 21 et 46 ainsi que le préambule de la Constitution et deux conventions internationales1, Labes s’érige donc en protecteur de la morale religieuse.

Soumission au turban

« Nous allons aborder ce sujet d’un point de vue religieux avec le cheikh Mohamed Ben Hamouda », annonce Ouertani en recevant son invité qu’il appelle parfois cheikhna  [notre cheikh]. Premier ingrédient dans le mélange des genres : du religieux pour traiter d’une question sociétale dans une émission de divertissement. Ensuite, l’animateur explique la procédure en vigueur pour le mariage des Tunisiennes avec des non-musulmans. Il évoque expéditivement la revendication de l’association dans un argumentaire balbutiant. Dès le début de l’interview, Ouertani se montre soumis à l’autorité religieuse qu’il a lui-même attribuée à son invité. Deuxième ingrédient dans le mélange des genres : l’émission de divertissement se convertit en tribune religieuse. « Quelles sont les possibilités ? Peut-on en débattre ou est-ce que la question est résolue ? Je pense même queDar Al-Iftaa [le mufti] a tranché », interroge Ouertani en demandant l’autorisation du « cheikh » pour aborder le sujet, tout en répondant partiellement à sa propre question.

Cafouillage de références

L’imam Ben Hamouda multiplie les arguments et les références. Après s’être appuyé sur 3 versets coraniques sans citer les sourates dont ils sont extraits. Il invoque la foi « qu’on a ou qu’on n’a pas », puis l’identité et s’attaque aux défenseurs des droits humains. « Le nouvel ordre mondial, cette nouvelle loi… la nouvelle religion, celle des droits de l’Homme comme dit Lotfi Laamari, ces gens qui disent qu’on doit intégrer de nouveaux éléments. (L’islam) Soit on y croit, soit on n’y croit pas, vous êtes libre ! », lance Ben Hamouda. Après s’être référé à Lotfi Laamari, il détourne une citation du philosophe canadien Charles Taylor en la biaisant. Plus tard, Ouertani et « son cheikh » se plaisent à échanger sur les fatwas réformistes en la matière. Ben Hamouda rappelle celle d’Hassan Tourabi, leader islamiste soudanais. L’animateur rappelle celle de Qaradhawi, prédicateur et théoricien de l’islam politique. Au terme de l’interview, on réalise que les deux leaders du réseau des Frères Musulmans, connus pour leur fondamentalisme, sont dépeints comme des figures modérées.

L’animateur est totalement conquis, au point de vouloir trouver des moyens pour plaider la cause du « cheikh », désormais la sienne aussi. « Plutôt que de dire à leurs futurs époux de leur apporter des choses, les femmes peuvent leur demander de se convertir», suggère Naoufel Ouertani avant de conclure : « Ce cheikh n’est pas un cheikh light qui vous autorise tout », affirme-t-il dans une tentative pour se rendre crédibilité aux yeux de ses téléspectateurs. « Je suis un cheikh au vrai sens du terme », plaide Mohamed Ben Hamouda pour lui-même.

Notes

  1. Convention des Nations Unies sur le consentement au mariage, à l’âge minimum et à l’enregistrement des mariages, ratifiée par la Tunisie en 1968 & la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes dans sa disposition du libre choix du conjoint, ratifiée par la Tunisie en 1985.