Jeudi 16 février 2017, à Sidi Arfa de Kairouan (Centre-ville), Mohamed Nour Gamgammi, 17 ans, a été arrêté et tabassé par la police chez lui, puis au poste de police. Voulant porter plainte, la famille fait appel à la Ligue des droits de l’Homme qui documente les traces de violences sur le corps de l’adolescent en arrestation. D’après la famille, les policiers usent de l’article 52 pour faire pression et l’obliger à retirer sa plainte. Mardi 21 février, Mohamed Nour entre dans une grève de la faim pour alerter la société civile sur la grave dégradation de sa santé, d’après sa famille.
Le matin même de l’arrestation de Mohamed Nour, une fonctionnaire du tribunal de Kairouan a été victime d’un vol. « Le soir, la police procède à un ratissage du quartier. Ils arrêtent une dizaine de jeunes » affirme Imed Ben Khoud, militant indépendant à Kairouan. Mohamed Nour en faisait partie.
Mohamed Nour Gamgami est d’une famille pauvre. À l’âge de 15 ans, il arrête ses études et commence à travailler dans le souk de la fripe avec son père et ses frères. Le soir de son arrestation, il était chez lui avec sa mère qui était à son tour tabassée par la police (6 jours de repos prescrit par le médecin). « Après l’avoir tabasser devant sa mère, les policiers embarquent Mohamed Nour dans la voiture où ils ont continué à le frapper d’après ce qu’il nous a dit. Quand je me suis rendu au poste de police avec son père, nous avons observé plusieurs traces de coups de poing sur le visage de mon neveu. Nous avons tenté de porter plainte, mais les policiers ont refusé. Le lendemain, nous avons ressayé avec le procureur de la République. Même refus, car pour lui le gamin n’avait que deux petites griffures au visage » raconte Hamadi Gamgami, l’oncle de Mohammed Nour.
Vendredi 17 février, la famille demande l’aide de la Ligue tunisienne des droits de l’Homme. Arrivés au poste de police, Hamdi Ben Wefi, secrétaire général de la section Kairouan et Aida Guizani, avocate de la LTDH constatent des traces d’agression physique. « Nous avons documenté des bleus dans tout le corps de l’adolescent, sur son visage, surtout sous son œil gauche et un peu partout sur ses bras et jambes. Il nous a aussi parlé de douleurs testiculaires. Nous avons transmis le dossier à la direction de la Ligue » explique Hamdi Ben Wefi.
L’intervention de la LTDH a enfin permis à la famille de déposer plainte pour agression, mais le père de Mohamed Nour aurait subi une énorme pression de la part des policiers pour retirer sa plainte. « Ils ont flippé quand la Ligue est venue. Ils ont promis de libérer le gamin si nous retirons la plainte et nous arrêtons tout contact avec la Ligue. Cédant à la pression, nous avons cru à leurs promesses. Mais c’est tout à fait le contraire qui s’est produit. Après le départ des membres de la Ligue, les policiers ont tabassé encore plus Nour et ils lui ont même collé des nouvelles accusations comme la consommation de cannabis et l’agression d’un fonctionnaire public » proteste Hamadi Gamgami. Lundi 20 février, Mohamed Nour a été transféré au Centre de rééducation des mineurs délinquants de Sidi Hani où il attend son procès.
Hamadi Gamgami, accuse les policiers de Kairouan de vouloir se venger de lui à travers son neveu. « J’ai écopé de trois ans de prison pour consommation de cannabis. Le Tribunal m’a jugé, en 2011 deux fois pour le même crime dans deux affaires différentes. La première fois, j’ai été condamné à une année de prison et mille dinars d’amende. La deuxième fois, deux ans de prison et deux mille dinars d’amende. Quand je suis sorti, les policiers ont commencé à me faire du chantage. Ils voulaient que je sois leur indic du quartier. Et devant mon refus, ils n’ont pas arrêté de me harceler » se rappelle Hamadi qui a fait une tentative de suicide en janvier 2017, sur la grande place de Kairouan, pour dénoncer le harcèlement de la police. « Quand ils n’ont pas trouvé de moyens pour m’avoir, ils se sont attaqués à mon neveu ».
Au moment où la famille Gamgami essaye de protéger son fils et de prouver la torture dont il est victime, l’Association tunisienne de lutte contre la torture annonce, mercredi 22 février, le chiffre de 153 cas de torture commis par des policiers dans les centres de détention, les prisons, les douanes et dans l’espace public. Parmi les cas recensés, 14 % concerne les affaires de drogues et 12 % concerne le vol. Dans son rapport, l’OCTT explique que la torture est systématique dans ce genre d’affaires :
Les agents de sécurités croient fermement qu’il est nécessaire et même obligatoire de punir les coupables pour la gravité de leur crime et pour leur arracher des aveux.
Selon Radhia Nasraoui, présidente de l’OCTT, dans pratiquement tous les cas répertoriés, les policiers harcèlent et se vengent des victimes et des familles qui portent plainte.
Cette vengeance prend deux formes : le châtiment corporel et les poursuites judiciaires contre les victimes et leurs familles.Radhia Nasraoui, présidente de l’OCTT
Nasraoui, cite le cas des « policiers qui ont tué Walid Denguir et qui continuent à harceler sa famille. Ils ont porté plainte contre son oncle et son frère et continuent à menacer sa mère et ses deux sœurs quotidiennement ». Pour Radhia Nasraoui, « l’impunité persiste à cause de juges qui continuent à croire que la torture est une pratique ordinaire qui ne mérite pas la punition. 18 % seulement des plaintes déposées en 2016 sont arrivées devant un juge d’instruction ».
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