Derrière ses lunettes de soleil, ses yeux brillent de l’éclat d’un défi. Khouloud Ajlani, 30 ans, est l’une des têtes brûlées de Sbeitla. Elle est la militante à qui les victimes de la police s’adressent pour trouver un avocat ou une association qui puissent les défendre. Dans la rue, tout le monde l’interpelle. Certains la saluent avec respect. D’autres l’arrêtent pour avoir des nouvelles d’une affaire ou lui expriment leur solidarité. « Ne lâche rien, Khouloud ! On est tous avec toi ! », lui lance un jeune depuis sa voiture. Elle répond par un signe de la main et un sourire fier.
Un jean ample et des baskets, elle sillonne la ville à pied, les mains dans les poches. Elle ne presse jamais le pas. Elle ne change jamais de côté pour éviter de croiser les flics sur son chemin. Rien ne l’intimide. Khouloud se moque des remarques moralisatrices mais surtout des menaces régulières des policiers qui l’observent de près. « Je ne perds jamais mon temps à me justifier. Chacun son camp. Et moi, j’ai choisi le mien » affirme-t-elle.
Depuis 2011, Khouloud documente les violences policières et encourage les victimes à porter plainte. Son engagement réel a commencé quelques mois après la chute de Ben Ali. « J’étais en ville quand j’ai vu un policier en train de tabasser un mendiant. Je l’ai filmé. Je voulais l’empêcher de violenter le pauvre homme. J’ai été agressée, mon téléphone confisqué et conduite au poste de police », se rappelle Khouloud, avant d’ajouter : « mais à chaque fois que la police m’agresse, je ne réussis pas à porter plainte. Ici, les liens familiaux et les traditions ont la peau dure ».
En décembre 2016, Mosbah Choubani, 28 ans, est arrêté par la police. Quelques heures plus tard, il est transféré à l’hôpital régional. Il perd l’usage de ses pieds, un trou dans le crane et le bras droit fracturé. Le soir-même, Khouloud reçoit un appel. « Une source qui préfère rester anonyme m’avertit que Mosbah a été agressé violemment au poste de police et qu’il faut suivre l’affaire de près », explique Khouloud. Dès le lendemain, une photo est partagée sur facebook, trois avocats sont engagés et la Ligue tunisienne des droits de l’Homme est avertie pour prendre en charge Mosbah.
À l’hôpital de Sbeitla, Khouloud prend des nouvelles de la victime et rassure la famille réunie dans la petite chambre mal éclairée. Mosbah est pauvre. Il transporte des gens sur une charrette et parfois des marchandises au Souk. Quelques mois avant le 14 janvier 2011, trois hommes lui ont demandé de transporter des briques contre trois dinars (le tarif d’aller – retour en charrette). La police l’a arrêté et il a été condamné à un an de prison pour vol. Lors des événements de la révolution, la prison de Kasserine a pris feu. Il s’est évadé comme la plupart des prisonniers. Mais il ne s’est jamais présenté à la police. Recherché, il a été arrêté par trois policiers, connus, d’après Khouloud, pour leur violence.
Si elle se bat pour avoir le dossier médical et aider la famille à porter plainte, Khouloud ne perd pas de vue son objectif initial.
Le plus important à mon avis est de tuer la peur en chacun de nous. Lutter contre ce monstre qui nous dévore et qui nous empêche de dénoncer les injustices.
Traitée par les policiers de tous les noms « athée, communiste, pute, tête de mule … », Khouloud a reçu, il y a quelques jours, un dernier avertissement. « À travers mon frère, les policiers m’ont menacé de prison si je laisse pas tomber l’affaire de Mosbah ! Ils disent que je veux causer le désordre à Sbeitla ! Je sens c’est bientôt mon tour mais ça ne me fait pas peur », lance-t-elle souriante.
Moez Gharsalli, la justice environnementale pour les démunis