Le Président Beji Caid Essebsi s’est rendu cette semaine à New York pour participer à la 71ème Assemblée générale des Nations unies. Invité de Barack Obama au US-Africa Business Forum, il rassure les investisseurs américains sur ses victoires face aux défis du terrorisme et de la corruption. Pour sa part, le Secrétaire d’Etat John Kerry a remercié le gouvernement tunisien pour sa « coopération dans la lutte contre le terrorisme ». Derrière les mots de la diplomatie, se cachent les vrais enjeux.

Ce lundi 19 septembre, dans une suite étriquée de l’hôtel Waldorf-Astoria à New York,  « …Ma priorité ici, c’est la Libye… » déclare Essebsi en anglais, assis à droite du Secrétaire d’Etat américain. Mais avant qu’il ne termine, ses paroles sont coupées par un agent du protocole. Kerry, distrait et passablement embarrassé arrive à placer un dernier mot, avant de passer à la réunion à huis clos : « La Libye est une priorité absolue pour nos pays… Nous en parlerons davantage, mais merci pour vos efforts… » .

Deux jours plus tard, sur la scène de l’US-Africa Business Forum, Kerry et Essebsi se retrouvent devant un vaste écran bleu, blanc et rouge. Pendant une vingtaine de minutes, ils mènent un échange détendu  en français—« parce qu’il me l’a demandé » dit un Kerry manifestement plus serein que deux jours plus tôt. Après un clin d’œil au soutien exceptionnel des US face à « la situation difficile » en Libye, Essebsi poursuit,

Nous n’avons pas beaucoup investi dans le côté sécuritaire, dans le côté militaire, et effectivement nous avons eu tort… Je crois que nous sommes en train d’équilibrer ce que nous avons laissé de côté et les choses vont beaucoup mieux.

« Améliorer la sécurité en Tunisie » à travers une présence militaire américaine

Alors que la Tunisie n’est pas riche en ressources pétrolières comme ses voisins et que sa capacité pour absorber les produits américains reste modeste (sur ce point Essebsi décrit un marché « incontestablement petit »), son statut comme allié majeur non-membre de l’OTAN reflête sa valeur stratégique pour les Etats-Unis. A travers la nouvelle opération maritime de l’OTAN et avec de l’assistance technique et le transfert d’équipements de surveillance et de sécurité, le gouvernement américain renforce sa présence militaire en Tunisie et sa position stratégique dans le sud de la Méditerranée.

Le 9 juillet 2016, l’OTAN annonce son opération Sea Guardian pour « compléter » et « soutenir » la stratégie militaire de l’Union européenne nommée, Opération Sophia, lancée en février 2016. Dans sa « lutte contre la migration irrégulière et le terrorisme », l’OTAN propose le renforcement des capacités régionales à travers des conseils stratégiques et des mesures d’assistance aux pays partenaires. Annonçant ainsi un plan pour la création d’un centre de renseignement en Tunisie, l’OTAN se rétracte cinq jours plus tard pour préciser que son rôle est consultatif auprès des autorités tunisiennes pour la mise en place d’un « centre tunisien de fusionnement».

Le 25 mars, l’ambassade américaine communique sur l’octroi d’une première tranche  de 24,9 millions de dollars « pour renforcer les capacités sécuritaires » de la Tunisie à sa frontière avec la Libye. Accordé par la « Defense Threat Reduction Agency » du gouvernement américaine, le contrat comprend l’installation d’un système de surveillance y compris des capteurs contrôlés à distance, de l’équipement sécuritaire, et l’entrainement de l’armée et la garde national tunisienne.

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Communiqué de l’ambassade américaine à Tunis, 25 mars 2016.

Puis en mai 2016, le Congrès américain approuve la vente éventuelle (à travers son programme de Ventes militaires étrangères, FMS) de l’équipement et du soutien aéronautique à la Tunisie. Selon un communiqué publié par l’Agence pour la Coopération de la Défense Sécuritaire (Defense Security Cooperation Agency, DSCA), la Tunisie est qualifiée pour l’achat potentiel de 24 hélicoptères Kiowa OH-58D afin de « contribuer à la politique étrangère et les objectifs sécuritaires nationaux des Etats-Unis en aidant à améliorer la sécurité de la Tunisie ». Plus spécifiquement, l’achat serait un moyen pour « améliorer la capacité de la Tunisie à mener la sécurité des frontières et des opérations de combat contre les terroristes ».

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D’après le même communiqué, le gouvernement tunisien aurait demandé cet équipement, classé « Equipement de défense majeur » (Major Defense Equipment, MDE) : des systèmes de navigation, des systèmes d’alerte aux missiles, des missiles Hellfire, des armes de combat et des munitions d’une valeur estimée de 100,8 millions de dollars. Coté assistance, le transfert de  cet équipement nécessitera « la désignation d’environs 10 responsables gouvernementaux américains et 15 entrepreneurs pendant une période de 5 ans pour l’appui au déploiement, entretien, et formation personnelle ».

Hélicoptère Kiowa Warrior OH-58D
Hélicoptère Kiowa Warrior OH-58D