Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.
Crédit phoro : Andreas Poupoutsis
Crédit photo : Andreas Poupoutsis

Ils ont occupé nos terres, ont avili nos peuples, ont introduit le mal en nous puis ils nous parlent de la paix, qu’elle soit bénie leur paix, qu’elle soit bénie ! Wadîi Essafi, Ma terre souffre

Le monde va mal. Tel est le constat affligeant qui se dégage des multiples attentats terroristes qui ont secoué Paris, Bagdad, Istanbul, et tout récemment Nice. Pire encore, la liste ne fait que s’allonger, ne faisant qu’accroître le désarroi des populations impuissantes face à la fatalité et dont une seule question semble y échapper : à qui le tour ?… Aussi, derrière cette déferlante de violence, il est à s’interroger sur les motivations apparentes et latentes qui poussent une partie de la jeunesse musulmane à semer la mort et la terreur et à basculer dans une espèce de surenchère morbide.

Pour répondre à cette question, certains intellectuels se penchent sur la constitution psychologique de ces jeunes, les décrivant tantôt comme des psychopathes sanguinaires tantôt comme des victimes passives et consentantes. D’autres penseurs pointent du doigt l’islam comme étant une religion monolithique qui glorifie le sang, la guerre et la violence. Si ces tentatives d’explications ont le mérite d’éclaircir un tant soit peu l’incompréhension dans laquelle on patauge, elles restent pour le moins superficielles.

Certes, notre perception de l’islam doit changer. Certes, l’exégèse islamique est dépassée, voire sciemment monopolisée par des Oulémas peu scrupuleux ou bien appartenant aux courants littéralistes. Certes, ces jeunes sont des « monstres assoiffés de sang ». Toutefois, au-delà du fait religieux, au-delà des théories du complot et au-delà de l’auto-flagellation, faut-il chercher également la responsabilité de l’« Autre » dans ce dangereux repli identitaire et dans tout ce chaos. Mon désir n’est pas de dédouaner les terroristes, mais d’essayer d’évoquer une raison rarement citée par les bien-pensants. Cette raison fait que des jeunes, censés chanter l’amour et respirer la vie, choisissent la voie du mal et de la destruction.

Le titre de l’article reprend ici l’expression de Dominique de Villepin le monde arabo-musulman. Dans son intervention, lors de l’émission de Frédéric Taddeï Ce soir ou jamais (novembre 2015), l’homme politique dénonce la réponse militaire face à la problématique terroriste. Il fait acte d’un monde arabo-musulman complexe, en retard par rapport à la modernité et peuplé d’« identités blessées » dont la frustration et la haine ont été alimentées par les guerres et leur lot d’humiliations.

En effet, nous oublions que ces terroristes sont, pour la plupart, issus d’une génération qui a été contemporaine des deux guerres du Golf, de la colonisation de l’Irak et, bien évidemment, de l’occupation palestinienne. Nous oublions qu’ils ont été contemporains de la défaite des nationalismes arabes et de la décadence dans toute sa splendeur. A la télévision, dans les journaux et sur Internet, cette jeunesse a vu l’humiliation des peuples conquis et l’exécution de Saddam Hussein le jour de l’Aïd en est un exemple paradigmatique. Ils ont vu les chars américains piétiner la terre de leurs ancêtres – jadis glorieux – bombarder et piller les vestiges de Babel, humilier et tuer leurs « frères ». Ces jeunes ont vu des femmes, des hommes et des enfants palestiniens humiliés et tués par l’armée israélienne devant le silence complice de la communauté internationale. Dans certains pays européens, l’injustice intercommunautaire est visible, voire institutionnalisée.

Quoi de plus blessant que l’humiliation ? Quoi de plus révoltant que le sentiment d’injustice ? Dans la symbolique religieuse, ce sentiment n’aurait-il pas déchu un ange, le transformant en Diable ? Ce cocktail explosif est de surcroit nourri par notre histoire coloniale douloureuse et notre incapacité à se développer car, malgré la richesse de certains pays, nous sommes toujours des consommateurs de modernité. Le monde arabo-musulman est foncièrement anti-progrès et anti-science, ce qui aggrave sa subordination économique.
Du coup, cette situation d’avilissement et de déchéance ne peut déplaire aux chantres du retour aux sources.

Sur les pas du fascisme, une armada de doctrinaires musulmans surfe sur les frustrations et le sentiment d’injustice pour promettre à des jeunes révoltés un idéal où ils seraient les maîtres de l’univers. Ils leurs permettent ainsi de compenser leurs complexes de peuple inféodé et de rêver dans un monde où tout est là pour les empêcher de rêver. Cependant, force est de constater que ce rêve est en train de coûter cher à l’Humanité.

Comme Dominique de Villepin, je pense qu’il est quasiment inutile de lutter contre le terrorisme par les armes. C’est choisir la solution de facilité. Pour ce faire, il faudrait soigner les plaies de ces identités meurtries devenues – à leur tour – meurtrières (d’après le titre de l’ouvrage d’Amine Maalouf,  Identités meurtrières). Il faudrait lutter contre toutes les formes d’injustice et de violence symbolique que subit le monde arabo-musulman depuis l’entreprise coloniale jusqu’à nos jours car, comme l’affirmait Louis de Bonald « l’injustice humilie, elle est aveu forcé de dépendance, et elle fait trop sentir à l’homme l’infériorité de sa position», ce qui exaspère ses ressentiments et le rend dangereux.