Nawaat publie aujourd’hui un extrait de l’audit de la STB réalisé par PriceWaterhouseCooper (PwC) en novembre 2013. Cet extrait est issu du rapport d’évaluation du portefeuille-titres. Il s’agit des conclusions détaillées concernant le portefeuille-titres de participations directes de la STB.

Une banque peut en cacher une autre

Une partie de l’audit de la STB, analysé dans le cadre du scandale de la BFT, concerne les participations directes de la banque publique. Au milieu des entreprises bancaires listées se cache une grosse surprise : le nom exotique d’une société financière située dans un paradis fiscal[1], le Curaçao, dans laquelle la STB a des participations, UBAC Curaçao N.

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Or, si la participation directe de la STB à UBAC Curaçao N.V. apparait bien dans le tableau des titres de participations dans le document de référence de la banque publique, sans variation notable sur les documents de référence de 2008, de 2011 et de 2015 (documents public disponible sur le site de la STB), il n’est fait nul part ailleurs mention de cette société financière offshore dont les états financiers sont introuvables. Or l’absence des bilans de cette entreprise basée dans un paradis fiscal pose de sérieuses questions quant à ses activités financières. Rappelons que la STB est une banque publique dont l’actionnaire majoritaire est l’État tunisien. Cela signifie que l’État tunisien est actionnaire d’une société financière offshore dont les activités, l’état financier et les participations sont inconnus et ne relèvent pas du domaine public.

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La chambre du commerce de Curaçao délivre en ligne les informations légales concernant les entreprises qui figurent dans son registre du commerce. Nous pouvons donc lire qu’Ubac Curaçao a été enregistré en aout 1977 et que la dernière modification dans le registre du commerce date de décembre 2012. Ses statuts sont ceux d’une société financière. Et le fondé de pouvoir de cette société est un cabinet d’avocat basé à Curaçao dont le nom est tout particulièrement ironique : STvB (pour Smeets Thesseling van Bokhorst et non pas Société Tunisienne von Banque !).

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L’UBAF, la filiale qui en dit long sur l’UBAC

La seule trace publique de la participation de l’UBAC Curaçao N.V se trouve dans le rapport financier de 2012 de l’union de banques arabes et française (l’UBAF) qui présente la structure de son capital. L’UBAF, société de droit français, est dans l’obligation de rendre publiques ces informations.

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Ce rapport nous permet donc de découvrir l’existence du Holding UBAC. L’UBAF est détenue par l’UBAC Nederland B.V. et l’on apprend que cette dernière est détenue à 100% par L’UBAC Curaçao N.V. L’actionnariat d’UBAC Curaçao réuni 24 banques issues de 19 pays arabes possèdent les parts de l’UBAC Curaçao. Parmi elles, 8 Banques Centrales, un gouvernement et quasiment que des banques publiques.

Le nom de l’UBAF nous permet donc de tenter de deviner ce qui se cache sous l’acronyme UBAC, probablement une Union de Banques Arabes, le C restera pour le moment un mystère (Centrales ? & Co ?).

Les banques des pays ayant des participations au dessus de 12% sont l’Egypte, la Libye, ensuite viennent l’Algérie, l’Irak avec des participations à plus de 10%. La Jordanie, la Syrie et le Maroc ont des participations au dessus de 6% et le reste se partage les actions restantes.

La Tunisie, avec les participations de la STB, n’est qu’un petit actionnaire de cette grosse banque, avec une participation de 0,16%. Mais la valeur comptabilisée de ses actions s’élèvent tout de même à 350 millions de dinars. Soit, l’équivalent du provisionnement[2] de la moitié du passif de la BFT. Et il convient de noter qu’en l’absence de tout bilan et de tout état financier de l’UBAC, nul ne peut dire réellement quels sont les dividendes (en devise) que la STB touche régulièrement depuis trente neuf ans. Ni où va cet argent qui n’est manifestement pas déclaré.

Pourtant, le code des changes et du commerce extérieur de 1976 stipule à l’article 20 que « toute personne (…) morale tunisienne (…) est tenue de rapatrier dans les conditions et délais fixés par la Banque Centrale de Tunisie l’intégralité des devises provenant (…) d’une manière générale de tous revenus ou produits à l’étranger ». L’article 44 de la loi des Finances 2014 a d’ailleurs augmenté l’assiette d’imposition des revenus issus des paradis fiscaux et le Curaçao a été incorporé par le décret n° 2014-3833 du 3 octobre 2014 dans la liste des paradis fiscaux concernés par l’article 44 de la Loi de finances 2014.

Un Conseil renversant et un actionnariat très parlant

Là où les choses deviennent très intéressantes c’est lorsque l’on regarde de près la liste des « managing directors » de cette société telle qu’inscrite dans l’extrait du registre du commerce daté du 18 juin 2016.

  • Abdellatif Jouahri : Gouverneur de la Banque Centrale du Maroc
  • Mohamed Loukal : Gouverneur de la Banque d’Algérie
  • Farouk El Okdah : Gouverneur de la Banque Centrale d’Egypte de 2003 à 2013
  • Ali Ibrahim Haji Hussain Marrafi : Financier et investisseur koweitien
  • Hassan Elsayed Abdalla : CEO de l’Arab African International Bank (AAIB)
  • Firas Selman : Financier algérien représentant la Commercial Bank of Syria
  • Sami El Sharif : Citoyen britannique né en Libye et dont internet n’a aucune trace

Ainsi, les Gouverneurs des Banques Centrales du Maroc, de l’Algérie et de l’Égypte sont au conseil d’administration d’une société financière offshore basée au Curaçao dont les traces sur internet sont quasi inexistantes.

Par ailleurs, le rapport de l’UBAF est également très intéressant parce qu’il propose la liste de l’ensemble des mandats et des fonctions des mandataires sociaux de l’UBAF. Nous pouvons donc en apprendre beaucoup plus sur les membres du conseil d’administration de l’UBAC qui sont mandataires sociaux de l’UBAF. Nous voyons en particulier que le président du conseil d’administration d’UBAC Curaçao N.V. est Abdellatif Jouahri, le gouverneur de la Banque Centrale du Maroc. Pour compenser la place réduite du Maroc dans les participations ?

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Nous pouvons aussi voir que les membres du conseil d’administration de l’UBAC Curaçao N.V. sont présents dans un nombre très conséquents de conseils d’administrations de banques et institutions financières et que les frontières entre privé et public s’entremêlent. Et que la fonction de Gouverneur des Banques Centrales n’est pas mentionnée dans le rapport de l’UBAF.

L’UBAC Curaçao N.V. est née en 1977. Cette année où, en janvier, les révoltes du pain furent réprimées dans le sang par Sadate en Egypte et où en mars Kadhafi promulgua la Jamahiriya libyenne… un an après les accords de Jamaïque de 1976[3] qui mettaient en place les changes flottants.

Cette structure financière secrète guidée par l’Egypte et la Libye dans un contexte de transformation de la finance internationale et mise en place par des institutions économiques étatiques a su rester sous les radars pendant presque quarante ans.

Quarante ans d’existence avec les moyens financiers des État arabes sans aucun contrôle public, sans aucune publication des bilans ou des états financiers. Le tout dans un paradis fiscal qui ne donne aucune possibilité de ne jamais savoir quelles sommes sont passées par là et vers où.

N’est-il pas de la responsabilité du premier ministre et du ministre des finances d’ouvrir ce dossier et d’expliquer au public quel était le but de cette banque et à quoi elle a servi pendant toutes ces années ? Les Tunisiens n’ont-il pas le droit de savoir quels sont les bilans financiers de cette société financière, quelles sont ses participations et quels objectifs elle sert ? Et, surtout, où est passé l’argent que cette structure a dû engranger pendant près de quarante ans ?

Notes

[1] La participation financière à une société offshore n’est pas un délit en soi et peut servir les stratégies et les objectifs financiers d’une société. À condition, toutefois, que cela se fasse dans la transparence et le respect des règles comptables auxquelles est soumise la société qui a des participations. Les conditions légales de ces participations sont fixées par le code de la réglementation des changes et du commerce extérieur de 1977 ainsi que par le décret N° 77-608 du 27 juillet 1977 qui fixe les conditions d’application du code de la réglementation des changes. L’article 24 de ce décret détermine précisément le périmètre légale des activités financières autorisés à l’étranger (article trop long à insérer, textes disponibles et ).

[2] Le provisionnement du risque est l’un des principes comptable de la prudence dans le secteur bancaire. Il s’agit de considérer que certaines opérations sont plus risquées que d’autres et que la banque doit réduire ses actifs et approvisionner ses passifs afin de combler le risque de ses activités. Dans le cas de la STB et de la BFT, la BFT ayant des passifs de plus de 700 millions de dinars, cela signifie que la STB, en tant que mère, doit provisionner les risques de sa filiale. Ce qu’elle ne fait pas et n’a jamais fait.

[3] Les accords de la Jamaïque font suite à la réunion les 7 et 8 janvier 1976, du Comité intérimaire du Fonds monétaire international (FMI) qui décide de trois choses : 1) l’abandon du système des taux de changes fixes et la légalisation du nouveau système de taux de change 2) le rôle de surveillance attribué au FMI 3) l’élimination du rôle de l’or au sein du système monétaire international. C’est le début de ce que l’on appelle le système de changes flottants, les devises ne sont dorénavant plus fixées sur l’or, mais sur un marché libre.