On l’oublie souvent : les sols sont à la base de la production alimentaire. Ils sont les fondements de l’agriculture et le milieu dans lequel presque toutes les espèces végétales alimentaires s’enracinent et poussent. 95% de nos aliments sont produits directement ou indirectement grâce à nos sols. Cette ressource naturelle, essentielle à notre survie, est pourtant malmenée. Les sols subissent une pression qui va toujours croissante du fait de l’augmentation des besoins et de l’intensification de leur usage. Cette intensification se traduit souvent par leur dégradation lorsque cet usage devient excessif ou qu’il est mal maîtrisé. Il en résulte une perte des fonctions portées par les sols qui font peser de graves menaces sur la durabilité de nombreux écosystèmes.
En Tunisie, c’est 95% des sols qui sont dégradés
Dans un rapport, publié en décembre à l’issue de l’Année Internationale des Sols, la FAO constate qu’un tiers des terres arables de la planète, c’est-à-dire une terre qui peut être cultivée, sont menacées de disparaître. « En Tunisie, c’est 95% des sols qui sont dégradés », affirme May Granier, présidente de l’Association Abel Granier dont les objectifs sont : la prise de conscience agronomique dans la société, la formation à l’agriculture environnementale, la gestion des sols de culture et la réhabilitation des terrains dégradés.
Les sols, une ressource menacée
Les constats des professionnels sont alarmants : entre 25 et 40 milliards de tonnes de l’épiderme de la planète sont emportés chaque année[1]. Or, cette couche apporte les éléments indispensables à la croissance végétale, filtre l’eau, contrôle l’alimentation des nappes souterraines, régule le cycle du carbone et de l’azote et constitue l’habitat de près de 80 % de la biomasse (c’est l’ensemble des matières organiques, végétale ou animale). Ceci est d’autant plus inquiétant que les sols sont une ressource naturelle limitée, c’est-à-dire que leur perte et leur dégradation ne sont pas récupérables au cours d’une vie humaine.
Que s’est-il passé pour que nos sols connaissent une telle dégradation ? Plusieurs causes sont évoquées : l’érosion, qui a pour conséquence de réduire la couche arable de manière organique et de réduire ainsi la fertilité des terres ; le tassement, qui induit une forte baisse de la porosité naturelle du sol ; l’alcalinisation et la pollution chimique dont les effets sont la perte de nutriments et de biodiversité ; le compactage, qui peut entrainer une perte de rendement considérable et qui empêche les plantes d’assimiler les nutriments et de former des masses racinaires ; la salinisation, particulièrement importante en Tunisie, abaisse les rendements et peut détériorer les terres de façon irrémédiable ; et enfin la désertification qui gagne du terrain. Par ailleurs, May Granier indique que « le climat de la région, qui se caractérise par un été très chaud, la rareté et l’irrégularité de la pluie et l’agressivité des averses, ne fait qu’aggraver la situation ».
Les agriculteurs ont été formatés : ils ne jurent que par le labour, la monoculture et l’utilisation de produits chimiques. Savent-ils seulement qu’ils sont en train de tuer le réseau du vivant ?
Mais l’homme est lui aussi responsable de cette dégradation. Les labours, pratiqués par la plupart des agriculteurs tunisiens, entraînent une baisse de la qualité et de la quantité de la matière organique (l’humus) en surface, perturbent la faune et exposent les sols à l’érosion. L’utilisation excessive d’engrais chimiques et du désherbage exterminent faune et bactéries. La monoculture céréalière, qui est la base des systèmes agricoles actuels, dégrade constamment la structure minérale et géologique des terrains agricoles, et ce, jusqu’à leur stérilisation complète. Enfin, l’absence de haies ou de couvert végétal qui protégeaient les sols, favorise l’érosion. « Les agriculteurs ont été formatés : ils ne jurent que par le labour, la monoculture et l’utilisation de produits chimiques. Savent-ils seulement qu’ils sont en train de tuer le réseau du vivant ? », s’indigne May Granier. L’agriculture conventionnelle, supposée répondre aux besoins alimentaires de base des populations, n’a fait qu’aggraver la situation puisqu’à l’échelle mondiale, les rendements ont augmenté de 3% entre 1950 et 1984, et seulement de 1% jusqu’en 1995. Et depuis, ils stagnent ou se réduisent. Toujours selon la FAO, le rendement des cultures est passé de 5 à 0,5 tonne à l’hectare dans la région du Moyen-Orient et de l’Afrique du Nord, où la salinisation est la plus forte.
Soigner la terre
Cependant, il est encore possible de sauver nos sols. Mais pour cela, il faut changer de méthodes. C’est ce que propose l’association Abel Granier en apportant des solutions aux agriculteurs. « Il y a un problème de formation et d’habitudes qui ont été prises, mais en réalité, il y a de nombreuses solutions qui permettent de freiner la dégradation des sols », explique May Granier. Par exemple, plutôt que de cultiver en monoculture, l’association propose aux agriculteurs de pratiquer l’alternance régulière des céréales avec d’autres plantes fourragères ou alimentaires variées qui permet d’améliorer et d’enrichir les sols de cultures, de diminuer la pression des agents pathogènes en favorisant leurs prédateurs. Déjà au XIIe siècle, l’agronome Ibn El Awam affirmait que l’orge et le froment « fatiguent beaucoup la terre quand on les y sème constamment et sans interruption. Si donc nous ne voulons pas que notre terrain s’épuise, alternons la culture. […] Mais quand nous persistons à semer du froment dans un terrain, nous épuisons sa force nutritive et ce qu’on lui confie ne donne plus ni produit, ni bénéfice. Il faut donc par un emploi de sa force nutritive, au sol procurer le repos, notamment en y semant des légumineuses ».
Par ailleurs, l’association entend remettre certaines plantes au cœur de l’agriculture, car elles participent à la régénération du sol. « Il existe des plantes riches en résidus azotes, des plantes dont les racines restructurent les sols et assurent la conservation de l’azote : or, ce que j’observe c’est que de nombreux agriculteurs vont chercher à exterminer ce qui est en réalité un véritable allié », constate May Granier. De même, l’association préconise le labour zéro car en retournant profondément les sols, nous perturbons la vie souterraine. Autre solution : l’agroforesterie, pratique très ancienne, qui consiste à combiner la gestion des arbres, des cultures et du bétail afin d’atténuer les risques environnementaux, à créer une couverture permanente du sol permettant de combattre l’érosion, à minimiser les dommages causés par les inondations et qui contribue au stockage de l’eau, profitant ainsi aux cultures et aux pâturages. Pourtant, lorsqu’on observe les paysages, il n’y a plus aucun arbre sur les champs.
Que fait l’Etat ?
Il existe plusieurs services chargés de ces questions, dont la Direction Générale de l’Aménagement et de la Conservation des Terres Agricoles (ACTA). Sa mission est de mettre en œuvre la politique nationale en matière de conservation des eaux et des sols. Celle-ci se résume à l’élaboration des plans et des orientations pour la préservation des ressources naturelles. Outre les études d’aménagement et d’exécution des travaux antiérosifs, elle s’intéresse à l’étude des ressources en sol en procédant à l’inventaire, à l’évaluation et au contrôle et suivi sous les différents modes d’exploitation. De nombreuses études ont été réalisées, mais les résultats restent médiocres comme le constate un rapport du Ministère de l’Agriculture et de l’Organisation des Nations Unis pour l’Alimentation. « Nous savons, par exemple, que l’Etat a dépensé des millions dans la lutte contre l’érosion, mais je ne suis pas sûre que ça a été d’une grande efficacité », remarque May Granier qui regrette qu’aujourd’hui l’Etat ait mit au second plan la question de la préservation des sols. « Vu la situation du pays, l’Etat pense qu’il y a d’autres priorités, c’est faux !». Au contraire, si la FAO tire la sonnette d’alarme c’est que d’ici une soixante année seulement, les terres arables auront disparus.
[1] Status of the World’s Soil Resources | Main Report, FAO.
Bravo pour votre excellent article sur les sols !
Je suis maintenant à la retraite. J’ai travaillé une quarantaine d’années pour la conservation et la régénération des sols dans plusieurs pays dont en Suisse, en Afrique, en Haïti et dans le Sud de la France. Par exemple nous avons multiplié par 5 les récoltes et diviser par 2 les besoins en eau d’arrosage pour les plantes en zones tropicales (Ethiopie), uniquement par des techniques et méthodes agro-écologiques.
Nous avons créé deux sites offrant beaucoup d’informations dans ces domaines : http://planethumus.com et http://agrihumus.com
Je vous encourage à les consulter, c’est gratuit.
J’ai aussi écrit un livre sur le sujet :
“Les enjeux internationaux du compostage. Nos ressources alimentaires et en eau. Climat.” aux Editions L’Harmattan, Paris
Bon courage et bonne chance, avec mes cordiales salutations,
Bernard K. Martin