Marzouk-Sarkozy

Nous vivons une époque formidable. En France, dans la nuit de samedi à dimanche, le raz-de-marée brun aux régionales a bien eu lieu au premier tour des élections régionales suivies de près par de nombreux Tunisiens : le Front‎ National, désormais premier parti de France, arrive largement en tête, réalisant des scores supérieurs à 40% dans plusieurs régions. Sur les réseaux sociaux, les facéties sur le rapatriement des Tunisiens fusent. Plus sérieusement, de part et d’autre de la méditerranée, au nom des luttes contre l’obscurantisme, ce sont les valeurs universelles que l’on bafoue en premier.

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« Nouveaux attentats en France : 66 millions de morts »

La France est-elle foncièrement « un pays de gauche » ou un « pays de droite » ? Réducteur, ce débat revient de façon épisodique. Avec le scrutin du 6 décembre 2015, il y a cependant lieu de croire que la période 1981 – 1995 n’était qu’une parenthèse historique socialiste. La récente déroute du PS fut en effet rapide, à l’issue de trois années d’exercice du pouvoir, à la première vague d’attentats certes d’envergure, dans le pays des droits de l’homme et de la laïcité, connu pour ses puissants syndicats qui l’ont longtemps ancré à gauche.

Trois années, ce fut aussi la durée de vie de la troïka tunisienne, avant que ses deux composantes de gauche ne soient évincées au profit d’un autre parti du « sauvetage » qui gouverne aujourd’hui avec Ennahdha.

Dimanche, Nicolas Sarkozy, l’un des revenants vedettes de la soirée, a fait une déclaration d’intention qui n’est pas passée inaperçue : le chef de la droite dure refuse « toute fusion et tout retrait de liste au second tour », au motif que les promesses de son parti ne doivent pas être trahies par des « manœuvres politiciennes ». En clair, Les Républicains (ex UMP) ne feront pas cette fois barrage au Front National, et préfèrent barrer la route à la gauche. Jamais droite de la droite et extrême droite n’ont été aussi proches, même si les rapports entre les rivaux Christian Estrosi et Marion Maréchal Le Pen sont tendus en PACA.

Progressisme « patriotard » et mépris de la Constitution

En Tunisie, il est surprenant de constater les réactions de certains commentateurs des résultats des régionales françaises, hier porte-voix de Nidaa Tounes, s’érigeant aujourd’hui en défenseurs des valeurs anti fascistes. Un état de déni, type deux poids deux mesures, qui mérite d’être étudié.

A l’international, s’agissant de ses rapports bilatéraux, nous savons qu’il y a lieu de parler de jumelage entre Nidaa Tounes et l’Egypte d’al Sissi, tant les rapports avec le président égyptien sont privilégiés, et tant la rhétorique simpliste « tahiya Tounes » ressemble à son homologue « tahiya Massr ». Mais si Nidaa Tounes, parti au pouvoir, devait demain procéder à un jumelage avec un vis-à-vis français, cela serait à n’en pas douter avec la nouvelle droite française.

Rappelons-nous, il n’y a pas si longtemps, un décomplexé rapprochement en grande pompe avec Les Républicains de Sarkozy, avait été amorcé par Mohsen Marzouk fin juillet 2015, avant que ce dernier ne tombe en disgrâce dans son propre parti. Les deux hommes se voyaient déjà faisant campagne pour les présidentielles dans leurs deux pays respectifs, tissant des liens amicaux et idéologiques en amont. Si l’on tient compte du fait que Mohsen Marzouk est considéré par les Tunisiens comme étant le chef de file du courant « le plus à gauche » de Nidaa Tounes, il y a lieu de penser que le courant autoproclamé destourien ne cracherait pas sur un jumelage avec le FN.

En juin 2014, dans une interview Marion Maréchal-Le Pen soutenait que « la France n’est pas que la République » et avouait « ne pas comprendre cette obsession pour la République », dont elle dit craindre qu’elle « n’efface la France ». « La République ne prime pas sur la France », concluait l’élue nationaliste.

C’est par une incompréhension similaire des valeurs supra nationales que se caractérisent les rapports qu’entretient Béji Caïd Essebsi avec la Constitution de la deuxième République tunisienne. Le 4 décembre à Sousse, devant l’Institut Arabe des Chefs d’Entreprises, le président tunisien a en substance martelé que la Constitution ne prime pas sur la Tunisie. Evoquant les querelles internes au sein de Nidaa Tounes, il a affirmé :

un grand responsable étranger dont je tairai le nom, m’a contacté. Je lui ai promis d’intervenir, car il en va de l’image de la Tunisie. Je me fiche que l’on m’accuse de contrevenir à la Constitution…Béji Caïd Essebsi

Cette préférence nationale, c’est précisément l’un des piliers de ce que l’extrême droite appelle les valeurs de la « droite patriote », celle du patriotisme fourre-tout, degré zéro de la politique où se côtoient xénophobie, culte du chef, et pouvoirs dynastiques, en l’occurrence ceux des Essebsi père et fils et des Le Pen père et filles.

Cela est devenu un poncif de le dire, mais l’Etat Islamique a une part évidente de responsabilité dans la montée de la droite fasciste. Mais l’émergence de Daech ne saurait être la source principale de cette renaissance vichyste. En réalité, les droites extrêmes et populistes européennes n’ont pas attendu ce prétexte : elles ont le vent en poupe depuis le début du millénaire, notamment avec les élections présidentielles de 2002 en France, ainsi que les succès croissants de l’UDC en Suisse, de la Ligue du Nord en Italie, de Jorg Haider en Autriche et de Victor Orban en Hongrie…

Ce n’est pas seulement la Tunisie de la tolérance qui a été attaquée par le terrorisme. La France qui a été attaquée en novembre dernier n’est pas seulement la France des libertés, de la démocratie, et de l’ouverture à l’autre. C’est aussi la France de la désocialisation de jeunes générations, et celle désormais difficilement dissociable du projet néoconservateur, avec ses voltefaces en Syrie et ses incohérences dans le soutien puis le lâchage du printemps arabe.

En somme, la nouvelle droite se résume à « Je suis en terrasse », mais sans les immigrés en France et pas avec n’importe qui en Tunisie.