Photo: Stephane de Sakutin Agence France-Presse
Photo: Stephane de Sakutin Agence France-Presse

Il y avait un avant et un après attaque de Sousse en Tunisie, tout comme il y aura un avant et un après attaques de Paris en France. Ces deux massacres avaient été tous deux annoncés par deux attentats quelques mois auparavant, respectivement le 18 mars au Bardo et le 7 janvier 2015 au siège de Charlie Hebdo. Ces coïncidences pourraient n’être qu’anecdotiques, si elles n’avaient pas des conséquences politiques qui confinent au mimétisme.

« François Hollande se sebsise », commente ironiquement la blogosphère tunisienne au lendemain des premières mesures annoncées par le président français en marge de la tenue du Congrès à Versailles, allusion aux évidentes similitudes entre les deux réactions présidentielles dans les deux pays.

L’Elysée étudie en effet la possibilité de porter de douze jours à trois mois la durée de l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire. En juin dernier, lorsque le Palais de Carthage avait prolongé l’état d’urgence jusqu’au 2 octobre 2015, l’opposition avait légitimement décrié une décision d’instrumentalisation politique de ce mécanisme, afin de mieux museler la contestation. Depuis, plusieurs manifestations et mouvements sociaux pacifiques ont bien été réprimées au nom de l’état d’urgence.

Autre aspect plus technique, Béji Caïd Essebsi avait eu recours à un vieux décret du président Habib Bourguiba, un texte dont la promulgation remonte au 26 janvier 1978. François Hollande doit quant à lui puiser dans un appareil législatif plus archaïque encore, puisque l’état d’urgence en France fut institué par la loi du 3 avril 1955.

La volonté de modifier la Constitution française de la Vème République, via un amendement qui permettrait une extension significative de l’état d’urgence, cela n’est pas non plus sans rappeler le mépris régulier de la deuxième Constitution de la part du nouveau pouvoir tunisien, jusqu’ici très prompt à ignorer ses dispositions.

Le Premier ministre français a ainsi déclaré devant le Sénat qu’il y aurait « un risque » à saisir le Conseil constitutionnel, s’agissant du projet de loi prorogeant l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions. Lorsque Manuel Valls admet implicitement ne pas respecter la Constitution, n’oublions pas que c’est dans le pays référence de tous les constitutionalistes que cela se passe…

Autre réflexe, de François Hollande cette fois, au lendemain des sanglantes attaques : recevoir l’ensemble de la classe politique, au nom de l’unité nationale qui n’a duré qu’un temps. Cela n’est pas sans rappeler le fameux dialogue national tunisien, rendu incontournable par les assassinats politiques de 2013, et dont la logique se perpétue tant bien que mal à ce jour.

Une caution inespérée pour le pouvoir tunisien

Mais au moment où le parti majoritaire Nidaa Tounes est empêtré dans d’interminables querelles internes, le virtuel jumelage avec la France, de surcroît l’œuvre d’un pouvoir socialiste, est vécu comme une aubaine, voire un blanc-seing, sorte de caution a posteriori d’une politique sécuritaire tous azimuts, mais dans une démocratie naissante…

En difficulté au sein de son parti, mais égal à lui-même, Mohsen Marzouk s’est saisi de l’occasion pour écrire un texte sponsorisé, sur le réseau social Facebook, où il procède à la justification des mesures d’exception prises par la droite tunisienne.

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« Lorsque, suite aux attentats du Bardo, nous avions affirmé que c’est désormais la guerre au vrai sens du terme contre le terrorisme et qui doit être menée avec moyens qu’exige la logique de la guerre, certains nous ont raillé… », écrit-il. « Voilà que maintenant, tout le monde considère la bataille contre le terrorisme comme une guerre avec tout ce que ce terme signifie », ajoute-t-il. Avant de procéder à un plaidoyer en faveur de la controversée nouvelle loi antiterroriste du 25 juillet 2015 que des ONG internationales ont sévèrement critiqué pour divers abus et menaces sur les libertés, dont la réintroduction abondante de la peine de mort. Pas plus tard que cette semaine les menaces sur la liberté d’expression qui n’ont pas tardé à faire surface avec le procès intenté aux journaliste de la télévision publique.

Ne disposant pas des mêmes gages de pérennité institutionnelle de la démocratie que la France, la Tunisie encoure à l’évidence le risque d’une pérennisation de l’état d’exception qui s’installerait dans la durée et redeviendrait la norme.

« Réprimez-nous ! »

D’après Sigma Conseil, institut de sondage détenu par Hassen Zargouni, un proche de Nidaa Tounes, à la question « êtes-vous prêts à sacrifier un peu de liberté contre davantage de sécurité », ils seraient 78,1% de Tunisiens à répondre « oui » au postulat énoncé par cette question biaisée.

« Des chiffres comparables à ceux du sondage du 17 novembre mené auprès des Français », commente Zargouni, non sans un certain satisfécit. Le sondage en question, mené en France par l’institut Ifop pour Le Figaro, indique que 84% des citoyens français sont « prêts à accepter davantage de contrôles et une certaine limitation de leurs libertés pour mieux garantir la sécurité ».

A quand une nouvelle génération de politiciens suffisamment inventifs pour rompre avec l’orthodoxie des recettes sécuritaires stériles ?