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A la question que nous nous sommes posée il y a quelques mois, dans notre article «Identifiant unique du citoyen (IUC): pourra-t-on éviter le pire ?», la réponse est que le risque se confirme à bien des égards. Car il semble que le ministère de l’Intérieur veuille s’emparer de l’IUC.

La convergence des fichiers des diverses administrations va atterrir chez le Ministère de l’intérieur, et cela grâce à une interconnexion de bases de données publiques en un identifiant unique du citoyen; sur la base du numéro de carte d’identité. Le principal argument avancé pour justifier cette décision est la nécessité d’assurer le bon déroulement des élections municipales; ce rendez-vous avec les urnes étant prévu pour la fin du mois d’octobre 2016, selon la déclaration de l’actuel Président de l’Instance Supérieure Indépendante pour les Elections (ISIE), ainsi que l’après élections, puisque les structures régionales relèvent de ce même ministère.

On rappellera que l’ISIE avait recommandé d’« adopter un identifiant unique pour la tenue des registres des électeurs » dans son rapport final sur les législatives et présidentielles de 2014. De même, la mission de l’Union Européenne d’observation des élections (UE MOE) a évoqué plus en détails la nécessité d’instaurer l’IUC, citant le Centre National de l’Informatique (CNI) qui « a prévu d’introduire un système d’identifiant unique pour chaque citoyen tunisien, reliant les bases de données des cartes d’identité, des passeports, et des actes d’état civil…».

Or, nous savons que l’IUC ne concerne pas seulement les élections. Cet identifiant va regrouper toutes les autres informations personnelles, telles que le revenu, l’impôt, la sécurité sociale, les déplacements, mais aussi les données biométriques, puisque la Tunisie a prévu de mettre en place la carte d’identité et le passeport biométriques. En l’occurrence, aucune information n’a filtré sur le nouveau cadre légal relatif à cette dernière initiative.

Donc, imaginons un instant, l’ensemble de ces données personnelles et sensibles, interconnectées en un IUC, sous la mainmise du ministère de l’Intérieur, sans limitation d’utilisation, ni contraintes dans les procédures, ni contrôle juridictionnel, même pas celui de l’Instance Nationale de Protection des Données à Caractère Personnel (INPDP), qui, qui ne jouera qu’un seul rôle, – décidé par le Conseil Stratégique de l’économie Numérique (CSEN) le 23 septembre 2015- celui de superviseur de la mise en place de l’IUC.

Cette solution « miracle », à la gestion administrative, présente bien des risques, auxquels les citoyens sont exposés, si elle est gérée par le ministère de l’Intérieur, et non pas mise, par exemple, sous la couve du CNI, lequel travaille sur une partie des données, ni l’Institut National de la Statistique (INS) qui est, pourtant, apte à traiter de telles données.

La décision a été prise, officiellement pour les raisons citées précédemment, mais réellement dans l’objectif de ficher passivement les citoyens pour les contrôler et empiéter, ainsi, sur leur droit constitutionnel, celui de la protection des données personnelles et de la vie privée. Le ministère de l’intérieur pourrait, certainement, ajouter l’argument d’exception : « sécurité publique, défense nationale, sûreté de l’Etat et des activités liées aux affaires pénales », et cela, à la première occasion. Ce qui constituerait, comme l’affirme Slim Amamou, l’ “Identifiant Unique Facebook du ministère de l’Intérieur”.

Autre péril de cet accès privilégié du MI à nos informations: la participation de la Tunisie à la Coalition internationale contre l’Etat islamique (EI). Selon le Chef du gouvernement, cette collaboration sera limitée à « l’échange d’informations ». Ce ne seront donc pas seulement les services tunisiens qui profiteront de nos données personnelles, mais également des pays signataires de cette coalition, comme la France où la très controversée loi du renseignement, qui vient d’entrer en vigueur, instaure une surveillance internationale.

A ce propos, la ministre française de la Justice, Christiane Taubira, de passage en Tunisie, a décrit, très précisément, la procédure adoptée en France, notamment en ce qui concerne le rôle de la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), dans l’accès à la base de données personnelles pour une identification :

Chaque fois que les données devront être identifiées, il faudra passer par la procédure qui est prévue, à savoir monter à la commission administrative indépendante et demander son autorisation. Si elle donne un avis favorable, le Premier ministre autorise, si elle donne un avis défavorable, mais que le Premier ministre autorise, elle peut saisir le Conseil d’État et faire suspendre.

La décision de nous livrer, par le biais de l’IUC, à un ministère au lourd passé, qui peine à se réformer, et dont la confiance accordée par le citoyen est, sans cesse, mise à mal, serait, sans nul doute, une grave erreur. Dans l’attente de l’amendement de la loi du 24 Juillet 2004 sur la protection des données à caractère personnel, nous serions en face d’un IUC transformé en un outil de surveillance de masse, comme du temps de Ben Ali.