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Sa Sainteté l’État tunisien, en bon souverain divin dispensant sa générosité céleste aux puissants malfrats bien lotis, a embrassé par sa sage providence les corrompus du passé en décrétant leur absolution de tous les péchés. Pour ceux qui disposent de l’argent, ceux qui volent de l’argent, ceux qui détournent de l’argent à leur profit et ceux qui l’empruntent au souverain pontife en prenant leurs jambes à leur cou, le chemin de la rédemption est bien tracé. La miséricorde leur est accordée, la vie éternelle est leur.

Car, aussi corrompue cette bande d’affairistes peu scrupuleux soit-elle, aussi formidable et splendide leur escroquerie soit-elle et aussi prononcée soit leur rapacité éternelle, rien ne change au fait que cette bourgeoisie compradore n’est autre que la classe -fort malheureusement- dirigeante de notre société damnée. Après tout, la bande est une précieuse alliée du pouvoir en place. Elle a côtoyé nos dirigeants politiques actuels, ceux qui arrivent si bien à manier l’art ancestral de la contre-révolution, et c’est grâce à elle qu’ils ont pu accomplir leur apothéose politique.

Et comme la priorité est toujours aux bons potes, le bon vieux Léviathan contre-révolutionnaire bien assis sur son trône de fer, s’est mis à rassembler ses chœurs pour qu’ils chantent les louanges des copains, un peu comme pour s’écrier « Les copains d’abord ! », à la grande damnation d’un Georges Brassens renfrogné dans sa tombe, pris dans des acrobaties qu’il ne peut plus contrôler, lui qui savait si bien ce que sont l’amitié et la camaraderie.

Sa Sainteté l’État tunisien, dans l’omnipotence de ses institutions gangrénées, n’est pas seulement bon et miséricordieux, mais il sait parfois comment surveiller et punir. Il sait surtout qui surveiller et qui punir. Car, figurez-vous, dans cette effusion chaotique d’assentiments et de ressentiments, entre ceux des ventriloques qui acclament la sagesse infinie de l’absolution érigée en loi et ceux des « revanchards » utopistes et bons rêveurs qui osent ouvrir la gueule pour défier la providence, le détenteur du monopole de la violence physique légitime se doit d’instaurer un peu d’ordre pour que ces émeutiers haineux lui fichent un peu la paix.

Mais qu’est-ce qu’ils s’imaginent ces détraqués ? Qu’ils ont leur mot à dire ? Quelle bande de cons. L’absolution a été décidée, et les saintes Écritures vont la mentionner jusqu’au jour du jugement dernier pour que les soubresauts du temps n’arrivent pas à l’entacher d’une quelconque trivialité profane. Alors pour que toutes ces brebis égarées arrêtent de salir l’ouïe de Sa Sainteté par des cris de consternation blasphématrice, et pour que toutes ces gueules qui ne savent que brailler du charabia incompréhensible pour les gouverneurs célestes se ferment une fois pour toutes, l’État ne fait que son devoir en déversant sa colère divine sur ces éternels insatisfaits, ces âmes rongées par une insoumission congénitale.

Sa Sainteté anathématise, excommunie et condamne au bûcher ces nombreuses brebis égarées qui ne sont pas dotées de l’inestimable vertu de l’oubli. En voulant que ses desseins de divinité décrépite se réalisent, Sa Sainteté l’État tunisien déclenche sa rage inquisitoriale en faisant déferler ses cohortes de policiers, ces gardiens du temple sacré de la « réconciliation », du confessionnal hermétique, là où il se passe des choses que tout le monde feint ne pas connaître.

La vie est ainsi faite dans cette contrée bizarre et arbitraire : L’État distribue ses prébendes et gratifie de sa miséricorde ceux qui sont assez chanceux pour faire partie de l’élite économique et financière peu scrupuleuse et n’ayant pas froid aux yeux. Pour les autres, que la colère divine les emporte, il n’y a qu’une montagne de soufre et de feu pour les faire sombrer dans les abîmes de la damnation. Ceux-là ne sont malgré tout pas prêts à se convertir. N’ayant rien à perdre ni à espérer de la part d’un pouvoir qui fait la sourde oreille face au bon sens des humains, ou peut-être celui des opprimés, ils sont là pour combattre le soufre et le feu à main nue.