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Après quatre mois de gestation et un report dû aux évènements du Bardo, « el Harak » (littéralement « Mouvance du peuple des citoyens ») s’est révélé au grand public samedi lors d’un congrès préparatoire au Palais des Congrès de Tunis.

Evoqués pour la première fois au soir de la défaite électorale du 23 décembre 2014, les contours de l’initiative politique de Moncef Marzouki se précisent. Si le report a eu du bon, avec une mise en scène relativement aboutie, l’avenir de cette entité qui aspire à devenir la plus grande force d’opposition du pays reste incertain.

Ceux qui s’attendaient à une présentation avant-gardiste resteront sur leur faim : la première partie du meeting a en effet consisté en une très conformiste présentation des volets politique, économique et culturel de ce qui présentait toutes les caractéristiques d’un simple énième nouveau parti politique, avec une tout aussi classique énumération des objectifs propres à chaque volet.

Alternant idées centristes à des généralités telles que “l’union nationale”, le contenu des sempiternels « premièrement, deuxièmement » n’a pas passionné les foules, contrairement au moment où le speaker a dû laisser la place à la prestation du chef.

L’humilité d’un mea culpa

L’ancien président entamait son discours long d’une cinquantaine de minutes, sa première prise de parole publique depuis le revers des présidentielles, sous le signe de la repentance.

Dans son mea culpa, il évoque d’abord « ses échecs » sans complexes :

J’assume seul le résultat des dernières élections […]. J’ai parfois commis des erreurs de jugement, je me suis trompé dans le choix de certains de mes collaborateurs et lorsque je n’ai pas démissionné face au constat de la généralisation de la corruption et les entraves faites à la justice transitionnelle, ayant gardé foi en un renversement du rapport de force … Je présente donc mes excuses au peuple tunisien pour chaque erreur et chaque négligence, conclut Marzouki, très applaudi.

Avant cela, quelques slogans fusent au fond de la salle, datant de la campagne électorale des présidentielles, notamment « Nous sommes venus sans argent ! ». « C’est ce slogan qui m’a inspiré l’idée du peuple des citoyens, et m’a insufflé la force de poursuivre le combat », explique Marzouki.

Il se livrera ensuite à un bilan critique :

Oui nous pouvons être fiers de notre révolution et de ce que nous avons accompli durant la période transitoire, mais nous devons reconnaitre que nous n’avons pas réussi jusqu’ici à réaliser les objectifs de la révolution à cause de la férocité de la contre-révolution, mais surtout par manque de courage politique, regrette-t-il.

Attaque en règle contre l’ancien allié islamiste

C’est à partir de ce moment du discours que seront portées en filigrane des charges contre Ennahdha et Nidaa Tounes, le premier pour ne pas avoir rompu plus radicalement avec l’ancien système politique et économique, le deuxième pour être soumis au diktat de riches pays étrangers « qui ont désormais leur mot à dire dans le choix de nos présidents et la détermination de nos politiques économiques ».

Pas besoin de normalisation avec l’ancien régime par crainte de sa capacité de nuisance, lancera-t-il en ultime pique en direction d’Ennahdha…

A la crise politico-économique, le credo de Marzouki ajoute une problématique d’ordre éthique, en admettant qu’on ne saurait construire un nouveau modèle sociétal sur les fondations éthiquement corrompues héritées de l’ancien régime. Une crise morale dont il détermine les origines historiques de la fin de règne de Bourguiba à nos jours.

D’où la double nécessité pour Moncef Marzouki d’un diagnostic précis, fait par les élites, de ce qu’il qualifie de « catastrophique déficit de valeurs », assorti d’un « déficit cognitif », pour arriver, à terme, à l’instauration d’un « peuple des citoyens » où la citoyenneté serait érigée en idéal collectif.

Pour ce faire, « un projet de cette ampleur ne saurait être réduit à un parti », explique Marzouki, même s’il concède que le cadre formel du parti politique est inéluctable, en sus d’un tissu associatif aux quatre coins du pays, sorte de réseau d’appoint.

Dans un entretien accordé à la chaîne « alaraby » dans la foulée du meeting de samedi, l’homme précise cependant qu’il n’entretient aucune ambition de leadership d’un nouveau parti, se contentant a priori d’un rôle honorifique : « c’en est fini de ma génération », affirme-t-il sans ambiguïté.

Universaliste invétéré

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En plus de la vocation première du Harak définie comme étant « un rempart contre le retour du despotisme » à domicile, Moncef Marzouki a consacré une importante partie de son discours fondateur du 25 avril à l’international, un champ politique de l’universel où il est philosophiquement dans son élément, particulièrement à l’aise en théoricien du Printemps arabe. C’est sur ce point que le contraste est le plus saisissant avec l’actuel président qui se contente d’un très terne suivisme en la matière, en se contentant de s’aligner systématiquement sur les positions de la Ligue Arabe.

Décidément plus à l’aise dans l’exercice de l’opposition que dans celui du pouvoir, Marzouki s’est emparé samedi tour à tour de la question syrienne, du conflit palestinien, mais surtout de l’Egypte voisine.

Affectionnant les gestes symboliques, Marzouki lèvera le signe du distinctif du « quatre » associé à la tragédie de Rabâa Adawiya, en marge d’une tirade requérant la libération du président Mohamed Morsi et de tous les prisonniers politiques du régime militaire égyptien, évoquant le souvenir ému de la mort de la fille de Mohamed Baltagi à l’âge de 17 ans. Qu’un ancien président non issu des Frères musulmans brandisse le geste du “quatre”, cela contribue à “l’universalisation” de ce symbole.

Comme toujours cela n’est évidemment pas du goût de la presse nationaliste qui consacrait ses titres indignés à une « ingérence criante dans les affaires de l’Egypte ».
« Le Printemps arabe n’a perdu qu’une bataille », dira Marzouki, là où l’actuel président Béji Caïd Essebsi répète sans cesse qu’« il n’y a pas de Printemps arabe ».

Plus délicat est le cas du Hamas où Moncef Marzouki persiste et signe, après que l’un des griefs qui lui furent adressés à l’étranger est d’avoir reçu et décoré Khaled Mechaal en 2014 lorsqu’il était encore en poste à Carthage. « Le Hamas était et restera un mouvement national de libération, et non un mouvement terroriste », a-t-il martelé samedi.

Jusqu’au-boutisme révolutionnaire ?

Pour les détracteurs du « marzoukisme », les mêmes causes conduisent aux mêmes effets.

Isolé hier à cause de son soutien au Hamas ou sa sympathie pour le versant religieux des révolutionnaires, certains reprochent à Marzouki un enfermement dans un puritanisme et une radicalité incompatibles avec la stature d’un grand leader, ou plus simplement avec l’art parfois pernicieux de la politique.

Sur ce point précis, force est de constater que le militant n’a pas changé et ce n’est pas pour déplaire à une partie des bases d’Ennahdha qui reprochent à leur parti de s’être institutionnalisé au point de ne plus être en mesure de brandir le même quatre de Rabâa aujourd’hui.

L’avenir proche dira si cette persévérance de Moncef Marzouki finira par payer, quoique la salle pleine de samedi laisse augurer de la garantie d’une valeur électorale sûre. Plusieurs facteurs et variables demeurent néanmoins inconnus, comme la rivalité du parti Attayar de Mohamed Abbou qui opère dans le même créneau de la gauche sociale, l’autre rivalité, depuis dimanche, de Hamadi Jebali, qui entend lancer son propre font politique et civil, ou plus généralement l’ombre du CPR, même si les visages familiers de l’ancien parti présidentiel se faisaient discrets samedi.

Entretemps le tandem Ennahdha – Nidaa a encore de beaux jours devant lui : non seulement les référents religieux et destourien ont une grande longueur d’avance en Tunisie, mais le paysage actuel, façonné par 50 ans de désertification politique, nécessitera, de l’aveu même de Marzouki, 50 autres années pour en sortir.