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Au même moment que le nouveau gouvernement de Habib Essid détermine sa stratégie en donnant la priorité à la lutte antiterroriste et aux mesures d’austérité, des mouvements et revendications sociales s’éclatent. Deux mois après sa nomination, un mécontentement s’empare de plusieurs communautés tourmentées de voir leurs dossiers relégués aux oubliettes même après les élections.

Grèves de la faim pour le travail

Plus de 40 jours en grève de la faim, Anis Al Guenaoui agonise au vu et au su de tout le pays. Déterminés à avoir leur droit au travail, huit chômeurs diplômés ont campé à la section régionale de la Ligue Tunisienne de Défense des Droits de l’Homme à Gabes pour exiger l’exécution des promesses du gouvernement provisoire de Mehdi Jomaa. Devant l’état de santé critique d’Anis, le ministre de la Formation Professionnelle et de l’Emploi Zied Ladhari promet de régler la situation des grévistes en les intégrant dans la Société « Environnement, Plantation et Jardinage de Gabès ». Rappelons que cette grève de la faim est accompagnée par trois autres à Tunis, Gafsa et à Jébeniana.

Les blessés de la révolution encore dans l’oubli

Le 31 mars, le blessé Yosri Al Zerali, entame une grève de la faim à l’hôpital de Gabes. Yosri a reçu une balle au pied, le 15 janvier 2011, quand il était avec ses copains en train de sécuriser son quartier à Tunis. Depuis, il a subit 26 opérations.

Ces opérations qui n’ont pas résolu mes problèmes de santé. Maintenant, j’attends qu’on me trouve une solution radicale. La commission médicale me propose d’amputer mon pied blessé. témoigne Yosri.

Yosri est en grève de la faim depuis une semaine. Il demande de recevoir des soins plus adéquats à l’étranger.

Une douzaine de blessés ont exprimé leur solidarité avec Yosri et ont décidé de rejoindre sa grève de la faim pour recevoir des aides et des soins convenables. Sur la liste des potentiels grévistes, figurent des blessés en situation critique comme Moslem Kasdli, Khaled Ben Nejma, Foued Ajili, Walid Kasraoui, Mohamed El Hanchi, Lotfi Jelassi, Hatem Hellal, Hosni Al Guelaii et d’autres bléssés. Après un rassemblement devant le ministère des Affaires Sociales, les blessés ont reçu une énième promesse de la part de Majdouline Cherni, secrétaire d’État chargée du dossier des martyrs et blessés de la révolution.

Elle nous a promis une prise en charge dans quelques mois. Mais, nous ne pouvons plus attendre. Khaled Ben Nejma, par exemple, est en train d’agoniser … nombreux souffrent et n’en peuvent plus avec la douleur et le coût très élevé des médicaments, nous explique Moslem.

Procès contre les mouvements sociaux et les jeunes de la révolution

Au nom du maintien de l’ordre public et de la sécurité, des dizaines de jeunes actifs dans les mouvements sociaux sont sujets à des poursuites judiciaires. Après une série de procès intentés contre Safouen Bouaziz et un groupe de jeunes de Sidi Bouzid, entre 2011 et 2013, des nouvelles poursuites sont déclenchée. Cette fois, le procès est ajournée au 19 mai 2015 au Tribunal de première instance de Sidi Bouzid. Le Ministère de l’Intérieur accuse les jeunes de semer la trouble à l’ordre public et d’agresser un fonctionnaire public lors des événements qui ont suivi l’assassinat du député Mohamed Brahemi, le 25 juillet 2013. Rappelons que 24 jeunes de Kesibet El Mediouni attendent un procès similaire, ajourné à plusieurs reprises. Accusés d’avoir brûlé un poste de police, en février 2013, lors d’une manifestation condamnant l’assassinat de Chokri Belaid, ces jeunes appellent à mettre fin à leur calvaire. Après deux ans d’attente, le tribunal de première instance à Monastir décide de reporter leur procès, encore une fois, au 13 avril 2015.

Dans la même situation, cinq militants de la gauche à Siliana, sont poursuivis par le Tribunal de première instance à Siliana suite au mouvement contestataire de la région en 2012. Un énième interrogatoire aura lieu le 20 avril en présence du juge d’instruction de la région.

Les accusations sont toujours les mêmes : trouble à l’ordre public et attaque d’un poste de police … nous avons fait un petit rassemblement devant le tribunal, l’année dernière. Mais il faut dire que le soutien de la société civile est absent. L’UGTT nous a complètement lâché ainsi que les partis politiques et les associations qui ont hyper-médiatisé le mouvement de Siliana et les agressions de la chevrotine que la police nous a affligé, explique Aymen Rezgui, un des accusés et membre du bureau régional de l’UDC à Siliana.

Dans cette même politique de répression des mouvements sociaux, Imed Touta, Firas Hamda et Hafedh Garbaya, sont poursuivis par le Tribunal de Gafsa. Ils étaient parmi les manifestants de Guetar qui ont observé un sit-in de trois jours contre les résultats de recrutement,injuste à leurs yeux, de la société de l’environnement et des implantations agricoles.

La répression policière était la seule réponse du pouvoir à cette époque. Aujourd’hui, au lieu de trouver des solutions à nos problèmes, ils essayent de nous intimider par des procès et des accusations bidons, témoigne Hafedh, un des accusés d’avoir brûler un poste de police et d’avoir agresser un fonctionnaire public.

Le bassin minier se bat, encore et encore

Une dizaine de militants arrêtés, des manifestations quotidiennes et une répression policière acharnée. C’est la situation, depuis longtemps, actuelle au Bassin minier. À Om Larayess, les habitants manifestent contre les résultats du concours de recrutement à la CPG. La police a fait une intervention musclée, le 5 avril, et a arrêté plusieurs manifestants. À Redayef, les autorités ont arrêté quatre militants, les accusant de brûler un poste de police, en février dernier. Et à Metlaoui, des dizaines d’habitants sont en sit-in depuis 23 jours pour rappeler l’État à son engagement de réguler le secteur et assainir la Compagnie des phosphates de Gafsa (CPG) et trouver des solutions au chômage.

Rappelons que la CPG a créé, en 2011, la Société Tunisienne de Transport des Produits Miniers qui n’a jamais, réellement, transporté le phosphate selon les travailleurs. Ces derniers ont mené une grève revendiquant leur intégration au sein de la CPG, mais cela a été utilisé comme prétexte par l’administration pour reprendre la sous-traitance contestée par les habitants. Au bout de plusieurs jours de confrontation avec la police et d’arrestation, le ministère de l’Intérieur déclare sa décision de virer le gouverneur. Selon les habitants de Gafsa, le gouverneur a bloqué le dialogue entre les parties prenantes dans la région.

Le limogeage des gouverneurs, le recrutement instantanés des grévistes de la faim et les solutions temporaires seront-elles, vraiment la solution aux problèmes sociaux-économiques de la Tunisie ? Visiblement le pouvoir n’envisage pas un dialogue national économique et social qui implique toutes les régions et les classes sociales. À cette époque où l’économie est totalement neutralisée par le politique et le pouvoir, resterait-il un espoir même infime de sauver le pays ?