Élections et sécurité nationale : le succès des « sécularistes » cache mal la désillusion sociale
Le terrorisme est le sujet phare de ces élections 2014. Nombre de candidats ont en fait leur cheval de bataille, évoquant la menace qu’il représente pour l’aboutissement pacifique de cette période transitionnelle. Les médias internationaux considèrent, eux, que les résultats des législatives et la victoire des « séculariste » face aux « islamistes » d’Ennahdha, sont de bonne augure pour cette lutte contre le terrorisme.
Cependant que les rapports nationaux révèlent le faible taux de participation à ces élections. Cette désaffection a été attribuée à la désillusion des citoyens dans les régions marginalisées, où prévaut le sentiment d’une transition inachevée, qui a exclut une certaine catégorie de la population, principalement, ceux qui ont fait la révolution.
On relèvera, ainsi, que le taux de participation la plus faible (47,7%) a été enregistré dans la circonscription de Sidi Bouzid, berceau symbolique de la révolution tunisienne et du printemps arabe.
Les incidences du terrorisme
Nombre d’électeurs et de candidats aux prochaines élections législatives et présidentielles, prévues à l’étranger et sur le territoire national les 24-26 octobre (législatives), 21-23 novembre (premier tour de la présidentielle) et 26-28 décembre (second tour) 2014, partagent la crainte de l’échec du processus électoral, un sentiment d’insécurité et la peur de subir le même sort que d’autres pays de la région. Le durcissement de la sécurité et les représailles des groupes djihadistes, affaiblis, forment un cercle vicieux. Le gouvernement indépendant dit de « technocrates » de Mehdi Jomaa joue sur la fibre antiterroriste. Il oriente les préoccupations des classes moyennes éduquées vers l’extrémisme religieux, ce qui risquerait de ressusciter la polarisation idéologique entre islamistes et sécularistes, si un attentat touchait le pays en plein cœur.
La Tunisie des frontières (II) : terrorisme et polarisation régionale, Crisis Group Briefing Moyen-Orient et Afrique du Nord N°41, 21 octobre 2014.
Ce récent rapport de l’International Crisis Group , examine les défis sécuritaires auxquels fait face la Tunisie depuis 2013, mais aussi de la politisation du Djihadisme et du terrorisme, en préconise quelques recommandations à l’endroit du prochain gouvernement, afin de mieux cerner ces questions. Selon ce rapport, la violence politique en Tunisie est considérée comme un phénomène post-révolutionnaire, historiquement inhabituel dans le paysage politique tunisien. Le 23 octobre dernier, dans la délégation de Oued Ellil, dans le gouvernorat de Manouba, l’ « opération Oued Ellil », menée par les forces de sécurité nationale, conduisait à la mort d’un soldat et de six terroristes. Le 5 novembre, cinq soldats ont été tués et dix autres blessés dans une attaque contre un bus militaire dans la délégation de Neber, dans le gouvernorat du Kef.
Depuis le départ du parti islamiste An-Nahda de l’exécutif et l’entrée de Mehdi Jomaa, en tant que chef du gouvernement début 2014, les attaques contre les forces de sécurité dans les zones frontalières se sont banalisées. Ces attaques ont cessé d’aggraver la défiance d’une frange de la population à l’égard du gouvernement, comme durant la crise politique de 2013. Cependant, dans un contexte régional où les États semblent se morceler ou se recroqueviller sur leur centre, elles sèment le doute sur la capacité des institutions sécuritaires à protéger le pays et ses limites territoriales. La Tunisie des frontières (II) : terrorisme et polarisation régionale, Crisis Group Briefing Moyen-Orient et Afrique du Nord N°41, 21 octobre 2014.
L’incidence des attentats terroristes et des opérations de lutte contre le terrorisme qui ont donné lieu à un nombre considérable de morts, depuis le 17 Juillet de cette année, a provoqué une forme de frustration, face auquel le gouvernement tunisien n’a pas été en mesure de concevoir une réponse efficace. Cette idée est même renforcée par l’élaboration inachevée du nouveau projet de loi antiterroriste que les députés n’ont pas eu le courage de voter, préférant envoyer la balle dans le camp du Parlement nouvellement élu.
Camp David et le G8 ou les partenariats sécuritaires avec la France, l’Italie et les Etats-Unis
Nous condamnons la criminalité transnationale organisée et le terrorisme sous toutes ses formes et manifestations. Nous nous engageons à renforcer notre coopération pour lutter contre les menaces de terrorisme et les groupes terroristes, y compris al-Qaïda, ses filiales et ses adhérents, et la criminalité transnationale organisée, y compris les individus et les groupes se livrant au trafic de drogues illicites et à sa production. Nous soulignons qu’il est essentiel de renforcer les efforts pour enrayer le trafic illicite d’armes dans la région du Sahel, en particulier pour éliminer les systèmes de défense aérienne portatifs qui ont proliféré dans la région; à lutter contre le financement du terrorisme, y compris les enlèvements contre rançon; et à éliminer tout soutien aux organisations terroristes et les réseaux criminels.
De la Déclaration de Camp David, mai 2012.
Les opérations de sécurité de la Tunisie se basent sur sa coopération avec les gouvernements étrangers. Les partenariats avec l’Italie, la France et les États-Unis traitent de la sécurité nationale, ainsi que des questions régionales indissociables de l’immigration, du trafic, et du terrorisme.
Depuis le 38éme sommet du Groupe des Huit (G8), tenu à Camp David en 2012, les opérations des pays leaders du G8, dans la région MENA, sont (officieusement mais visiblement) distinctes et complémentaires: l’Italie se concentre sur le contrôle de la migration dans la Méditerranée; la France via le ministère de l’Intérieur est principalement concernée par les forces de sécurité et la police nationale ; et le ministère de la Défense des États-Unis est en charge des initiatives dans le cadre d’une « guerre contre le terrorisme ». Les nombreuses réunions relatives à ces questions, auxquelles ont assistés députés tunisiens et étrangers ces derniers mois, ont illustrés cette évidente répartition des tâches.
L’Italie et les frontières maritimes
Le 3 octobre dernier, un an après le naufrage de Lampedusa,le ministre italien de l’intérieur, Angelino Alfano se rend en Tunisie et appelle à la fin de la « Mare Nostrum italienne », et à la relance du programme FRONTEX de l’Union Européenne via l’opération Triton . Pour sceller cet accord conjoint, qui vise à mettre un terme à l’immigration maritime clandestine, l’Italie offre à la Tunisie deux bateaux de patrouille maritime, en déclarant : « «Avec le Président de la République, Moncef Marzouki, nous avons parlé, non seulement de cette transition tunisienne délicate et le renforcement des institutions démocratiques, mais surtout de la lutte contre les trafics illicites en Méditerranée, en commençant par les réseaux de passeurs clandestins et le terrorisme international ».
La France et le ministère de l’intérieur
La semaine dernière, en visite à Tunis, le ministre de l’Intérieur français Bernard Cazeneuve a rencontré Mehdi Jomaa, Lofti Ben Jeddou et Ridha Sfar pour discuter des questions urgentes de sécurité, y compris l’immigration illégale, la «lutte contre le terrorisme », et spécifiquement la menace représentée par les ressortissants affiliés à des organisations terroristes à l’étranger. M. Cazeneuve a indiqué que la coopération Franco-Tunisienne portera sur «la déradicalisation, la prévention des départs [de ressortissants adhérant à des organisations terroristes à l’étranger] … et le renforcement de la coopération entre les experts du renseignement et des forces de police dans ces domaines ».
D’ailleurs, depuis 2011, nombre de formations, au sein du ministère de l’intérieur tunisien, ont été prodiguées par des experts français, à l’instar de la police de proximité instaurée dans quelques villes tunisiennes, depuis quelques mois déjà.
Les Etats-Unis et le ministère de la Défense
Le ministre tunisien des Affaires étrangères Ghazi Jeribi et l’ambassadeur américain en Tunisie Jacob Walles se sont rendus à Washington pour rencontrer le secrétaire d’Etat à la Défense Chuck Hagel, pour discuter de la « façon dont les États-Unis et la Tunisie pourraient coopérer dans la lutte contre le terrorisme, l’instabilité persistante dans la région » et de « la préoccupation régionale croissante sur les combattants étrangers d’Afrique du Nord qui se déplacent en Irak et en Syrie, ainsi que la menace de l’Etat islamique d’Irak et du Levant (ISIL) et autres groupes émergeants en Afrique, issus du morcellement d’Al Qaida ».
Cette réunion a eu lieu, alors que se faisait un transfert d’équipements américains de sécurité pour les forces armées tunisiennes. Le 22 octobre, les USA ont annoncé un don d’ « équipements destinés à la sécurité, y compris les gilets pare-balles, casques, boucliers et autres vêtements de protection », dans le cadre d’« un programme en cours qui comprend une formation pour soutenir les forces de sécurité tunisiennes dans leurs opérations contre les groupes qui tentent de déstabiliser le pays ».
Le 7 Novembre, les Etats-Unis, à travers leurs « autorités spécialisées », ont appelé a « accélérer la livraison d’appareils de vision nocturne, dans les six mois », et à « accorder une facilité de 600,000 dollars d’économies pour le gouvernement tunisien … pour l’acquisition de ces outils de vision nocturnes supplémentaire », afin de renforcer « les capacités de l’armée de Terre, l’armée de l’Air et de la Marine tunisiennes, et de leur permettre de mener des opérations, pendant les heures de faible visibilité contre les organisations terroristes déterminés à déstabiliser la Tunisie ».
Force est de constater que ce « partage » de compétence entre ces pays « amis » est peut être fortuit, mais laisse place à de nombreuses interprétations. Bien que tout porte à croire que c’est à Camp David que ce partage a été décidé, faisant, donc, des opérations terroristes sévissant en Tunisie « un prétexte » pour ces pays de s’ingérer, au plus profond, dans les affaires intérieures d’autrui, voire de s’en servir d’une base arrière, dans ce qui pourrait être la prochaine grande bataille des années à venir : la ruée vers l’Afrique.
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