Depuis les années 90 des milliers de villes dans le monde ont tenté l’expérience de la démocratie participative à l’échelle locale. Il y a quelques mois, en Tunisie, quatre mairies se sont lancées : une initiative avant-gardiste qui espère faire des émules dans le reste du pays.
C’est typiquement le genre de concept que les politiciens serinent sans relâche. A tel point qu’on ne sait plus trop ce que ça signifie. Tentons une définition : la démocratie participative est une forme de partage et d’exercice du pouvoir, fondée sur le renforcement de l’implication des citoyens dans le débat public et de la prise de décision politiques. Concrètement, il s’agit d’ouvrir les lieux de pouvoir au dialogue entre, d’une part, associations, citoyens, mouvements et organisations syndicales et, d’autre part, les forces politiques et les représentants institutionnels.
Le budget participatif : l’outil par excellence de la démocratie participative
Ainsi, une multitude de dispositifs ont été mis en place : jurys citoyens, conférences de consensus, ateliers d´habitants, assemblées extraordinaires de citoyens, conseils de quartier, référendums d´initiative populaire, débats publics, forums interactif, et enfin budget participatif. Ce dernier, est l’instrument par excellence de la démocratie participative. C’est en 1989, dans un contexte de démocratisation du Brésil, que la ville de Porto Alegre, inaugurait son budget participatif. Depuis, chaque année, les citoyens participent aux assemblées plénières régionales et thématiques au cours desquelles ils contribuent à déterminer les grandes priorités d’investissement qui les concernent.
En Tunisie aussi, c’est à travers le budget participatif que les citoyens et les municipalités ont été initiés à la démocratie participative. « Nous avons choisi le budget participatif car c’est un mécanisme très poussé, qui donne des résultats immédiats et visibles. C’est de l’argent, c’est concret ! », défend Manuela Honegger, experte au sein de l’ONG Association Active qui est à l’initiative du projet « Œil sur le budget ». Et d’ajouter : « c’est plus qu’un outil de concertation, c’est un outil de co-décision. Il permet aux citoyens de décider de façon souveraine, autonome et démocratique ».
Ainsi, dans les communes de La Marsa, Menzel Bourguiba, Tozeur et Gabès, les citoyens ont décidé, en toute souveraineté et indépendance, des projets d’investissement sur une ligne budgétaire spécifique de leur budget habituel. « Nous avons, dans un premier temps, défendu auprès de la délégation spéciale les bienfaits du budget participatif », explique Manuela Honegger. « Nous avons beaucoup insisté sur les avantages qu’ils pouvaient en tirer, notamment sur la discipline fiscale ». Une longue période de plaidoirie, aussi nécessaire qu’utile. « Il faut que la municipalité s’approprie le projet, car c’est elle qui va le défendre auprès des citoyens ». En effet, une fois la décision officielle prise d’ouvrir une ligne budgétaire à la participation citoyenne, la commune s’engage à sensibiliser les habitants et à organiser des réunions publiques. Action Associative, était là, mais uniquement en tant que facilitateur. « C’est pour cela que le point de départ est la confiance, c’est uniquement sur cette base que le projet peut exister », confie Manuela Honegger.
Menzel Bourguiba à l’heure de la démocratie participative
Ce qui nous a encouragé à lancer le budget participatif à Menzel Bourguiba, c’est le succès qu’a connu ce dispositif dans les autres villes du monde. On s’est dit : pourquoi pas nous ? raconte Amel Hamrani, membre de la délégation spéciale.
Pourtant, il y a encore quelques mois, personne n’avait entendu parler de ce mécanisme. « Mais le terrain était favorable », assure-t-elle. « Nous nous demandions déjà comment impliquer davantage les citoyens au niveau local ». Ainsi, lorsque l’équipe d’Action Associative les a rencontrés, l’enthousiasme était au rendez-vous. « Sur le principe, tout le monde était d’accord, mais il fallait voir dans quelle mesure c’était faisable », explique la déléguée. Une fois le projet voté au conseil municipal, la commune a mis en place toute une communication pour inviter les habitants à participer aux réunions publiques : banderoles, prospectus, porte à porte, etc. « Nous avons organisé une réunion publique dans chacun des arrondissements. Le premier jour nous avons présenté le projet et les finances locales, et le second nous nous sommes retirés pour laisser les citoyens décider entre eux des projets qu’ils voulaient financer », indique Amel Hamrani, pas peu fière. Chaque arrondissement a désigné un représentant (facilitateur) qui a suivi une formation approfondie sur le mécanisme du budget participatif. « C’est important que le citoyen soit totalement partie prenante du projet, et cela suppose qu’un certain nombre d’entre eux maitrisent parfaitement le dispositif et suivent tout le processus », précise Manuela Honegger.
Ainsi, les habitants de Menzel Bourguiba ont utilisé 2% du budget communal, soit 100 000 DT, pour l’embellissement de la ville : création et embellissement d’un rond-point ; aménagement d’un jardin public ; implantation d’arbres et création des bancs publics ; aménagement et embellissement d’un espace public au centre-ville ; implantation de petites poubelles dans toutes les rues principales. Autant de projets qui ont d’ores et déjà été validé par le conseil municipal en septembre 2014 mais qui attendent la validation du budget communal 2015 par le gouverneur.
Les défis de la gouvernance locale
Si les expériences de démocratie participative fleurissent à travers le monde et que les citoyens sont de plus en plus consultés, c’est précisément parce qu’ils apportent un regard nouveau et une capacité à orienter intelligemment les politiques publiques. Néanmoins, la mise en œuvre nécessite une importante préparation en amont afin que le projet ait un impact réel et effectif. « Par exemple, il est important, comme pour chaque processus de changement, d’adapter le dispositif au contexte local », souligne l’experte d’Action Associative. Par ailleurs, la reconnaissance d’un véritable rôle du citoyen implique une remise en cause des modèles culturels : certaines habitudes administratives freinent la réalisation de tels projets. De plus, la complémentarité des acteurs locaux (administration, élus, associations, syndicats), doit être réelle, car si les institutions locales souffrent souvent de l’emprise de la capitale, elles reproduisent bien souvent ces travers dans leurs relations avec les acteurs de terrain. Enfin, « il faut faire attention à ce que tous les citoyens, c’est-à-dire, les femmes, les jeunes, les vieux, puissent participer à ce processus. Souvent, ce n’est pas le cas », regrette, Manuela Honegger. Et de conclure :
Il faut respecter le temps nécessaire à un tel changement et plutôt que de chercher à multiplier cette expérience, il est important d’assurer un accompagnement de qualité et pérenne.
A vous !
Nous vous proposons ici les grandes lignes pour mettre en place le budget participatif dans votre ville.
1 La première phase consiste à défendre auprès des municipalités du bienfondé de ce dispositif : elle est la plus longue car l’objectif est que les membres de la commune s’approprie le projet ;
2 Une fois l’accord de principe obtenu, le conseil municipal doit voter pour l’ouverture d’une ligne budgétaire à la participation citoyenne ;
3 Viens alors le moment de communiquer sur cette initiative auprès des citoyens : porte-à-porte, prospectus, banderoles. Et les inviter à se rendre aux réunions publiques ;
4 Les réunions publiques auront plusieurs objectifs : présenter le projet, faire un état des lieux des finances locales, voter pour les idées de projets des citoyens et pour les délégués des quartiers ;
5 Formation des délégués des quartiers qui auront pour objectif de suivre tout le processus ;
6 Validation des projets prioritaires du Budget Participatif par la commune et officialisation de la démarche ;
7 Réalisation d’un guide de suivi et d’évaluation. A noter qu’il s’agit là d’une activité transversale qui peut se faire tout le long de l’exercice budgétaire ;
8 Réalisation des travaux décidés par les citoyens.
Contact
ONG Action Associative
- Adresse
- Bureau 101, Immeuble A, Résidence Les Deux Lacs, Les Berges du lac, Tunis
- Téléphone
- 71960510
- Courriel
- action.associative.ong@gmail.com
- Site Web
- actionassociative.org
Le budget participatif est un bon levier, mais il suppose plusieurs étapes avant d’être utilisable, et je ne parle pas que de budget. Il est également indispensable de former le plus grand nombre, d’expliquer ce qu’est un budget, ce qu’il ne permet pas ; et ne pas former que des délégués, au risque de ne faire au final qu’un exercice de démocratie représentative…
En tous cas c’est intéressant de découvrir que la Tunisie se lance sur cette piste si peu utilisée encore en France.
Bonjour Bertrand,
Effectivement, le risque est finalement de retomber dans la démocratie représentative où seuls les représentants élus sont à même de transformer la volonté populaire en actes concrets. Or, la démocratie participative permet aux individus de s’éprouver en tant que citoyen. Tous les citoyens. Le problème c’est que dans nombres d’expériences les seuls à s’engager dans ce processus sont ceux qui ont déjà un poids (associations influentes, syndicats, etc.). Le grand défi est donc, pour le budget participatif, de ne pas rendre la chose trop technique, au risque de n’attirer qu’une certaine élite. La politique n’est pas qu’une affaire de compétences, mais aussi une affaire d’idées.
En tous cas, je vais suivre cela si vous continuez à communiquer dessus, ça m’intéresse. Bon travail et bon courage pour la suite.
Bonjour,
Juste vous signaler l’éxperience de la municipalité de Sousse, réalisée dans le cadre de l’élaboration de la Stratégie de Développement de la Ville, réalisée avec la participation des administrations publiques, des acteurs locaux, de la Société Civile et des Citoyens…Pour plus d’infos : http://www.strategie-sousse.com
Très très intéressant ça Karim…
Merci Karim, je vais regarder de plus près cette expérience.
il faut continuer avec ce processus pour que la sociéte civile metrise bien la démocratie participative