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Importante, l’actualité politique de la semaine du 26 au 31 mai n’en reste pas moins anecdotique au regard de la débâcle sécuritaire que le présumé terrorisme a infligé aux symboles de la puissance de l’Etat. L’Assemblée constituante retire le dossier des martyrs de la révolution à la justice militaire, les actes commis en marge des évènements de la révolution bénéficient désormais d’une immunité rétroactive, le dialogue national parvient à un accord sur la tenue séparée des élections législatives et présidentielles, la justice ordonne la dissolution de la Ligue nationale de protection de la révolution, deux ex ministres de Ben Ali, Mondher Zneidi et Ridha Grira, ont bénéficié d’un non-lieu… Mais tout ceci passe au second plan d’une actualité tragique à Kasserine où 4 gardiens de la paix, inexpérimentés, ont été envoyés au casse-pipe.

Le 28 mai, l’expression « arriver comme des carabiniers » prenait tout son sens. Arrivés après la bataille, les renforts, ou du moins leur retard, fait l’objet de toutes sortes de spéculations.

Pendant près de 45 minutes, 25 selon les autorités, c’est une véritable opération paramilitaire qui a pris pour cible le domicile familial du ministre de l’Intérieur : bouclage du quartier, couverture au lance-roquette RPG, grenades aveuglantes, escouade de repli, et déluge de feu délivré par au moins une vingtaine d’hommes.

En clair, c’est une démonstration de force à messages multiples, y compris la volonté d’épargner les civils.

Exécutée à 10 kilomètres d’une zone militaire fermée où sont déployés 5000 hommes, et à quelques mètres d’un district de police, l’opération, quels qu’en soient les audacieux auteurs, est d’abord une terrible humiliation au dispositif en place à Kasserine, de la police municipale aux abois, jusqu’au sommet de l’exécutif. C’est d’autant plus un pied de nez que les assaillants ont pu parader dans le quartier Ezzouhour avant leur retrait, narguant le reste du monde.

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Qui infiltre qui ?

En matière de complicités éventuelles et de théories de l’infiltration, chacun voit midi à sa porte.
Et en règle générale, les conclusions les plus promptes sont aussi les plus idéologiques : pour les plus anti troïka parmi les syndicats de police et certains chroniqueurs et partis politiques, il ne fait aucun doute qu’Ennahdha, l’islam politique et / ou le CPR auraient infiltré la chaîne de commandement. Quand bien même Ali Larayedh se défend d’avoir fait preuve de laxisme dans le dossier Abou Iyadh, le soupçon persiste.

Cette première lecture, bien que légère et non étayée, explique l’agression subie sur place dès le lendemain par l’élu Walid Bennani, lui qui avait défendu bec et ongles le maintien de Lotfi Ben Jeddou à l’Intérieur en marge du dialogue national.

C’est aussi une lecture qui omet de nombreux autres adversaires potentiels de l’ex magistrat et actuel ministre, ancien « monsieur propre » avec plus d’un millier de procédures instruites contre le RCD en tant que procureur.

A bien des égards, Ben Jeddou est l’un des maillons faibles de l’actuelle équipe gouvernementale. Affable et décrit comme particulièrement intègre par ses collaborateurs, il fut maintenu au prix de la perte d’un pan considérable de ses prérogatives, depuis qu’il est affublé d’un ministre délégué à la sécurité.

Il y a quelques semaines, Ridha Sfar étalait au grand jour les divergences fondamentales qui l’opposent à Ben Jeddou dans « l’approche du dossier sécuritaire ». Autant dire que cela faisait désordre…

Le putschisme reprend du poil de la bête

Aujourd’hui, quels que soient les auteurs de l’attentat de la Citée Ezzouhour, les langues se délient et les agendas se dévoilent : le Syndicat des forces de sécurité intérieure a délogé de force le chef de district, tout en réclamant un remplaçant « homme du sérail », loyal à « la maison », tandis que les généraux putschistes des pays voisins, premiers bénéficiaires de la violence armée, se frottent les mains.

D’autres voix encore s’élèvent pour remettre en question la légitimité d’un acte directement lié aux évènements de la révolution : la dissolution en 2011 de l’appareil tentaculaire de la sûreté de l’Etat, décriée notamment par le sympathisant Nidaa Tounes, Tahar Ben Hassine, qui réclame au passage le traçage des réseaux sociaux salafistes.

Débattre de la validité du démantèlement de tels outils de renseignements, ex outils de répression, trois ans à peine après une révolution, c’est remettre en cause la pertinence de la révolte populaire contre un ancien système précisément pérennisé par l’épouvantail islamiste.

L’extrême marginalisation de régions dont Kasserine, qui a continué après la révolution, est source d’une radicalisation taboue mais avérée. Des célébrations ont bien eu lieu dans les quartiers populaires de la ville, tout comme un soutien logistique de la part de locaux au groupe supposément venu de Jebel Salloum, selon des témoins oculaires.

Pour autant, quel modèle de société voulons-nous ? Réinstaurer l’hyper surveillance au nom de l’antiterrorisme, grand classique entretenu par la droite dite « patriote », c’est en soi un aveu d’échec, un retour au schéma qui a prévalu des décennies durant.

Région symbole de la révolution, le sud-est est une région où Ennahdha est crédité d’un score deux fois moindre que dans son bastion du sud-ouest en termes d’intentions de vote. Enjeu d’une bataille rangée électorale, Kasserine ne semble pas voir le bout du tunnel d’une violence meurtrière. L’image des partis se réclamant de l’islamisme est la première à pâtir de cette violence inédite.

Empoisonnés par la politique, les syndicaux des forces de l’ordre n’aident pas à y voir plus clair dans un bourbier où les plus démunis sont sacrifiés sur l’autel de la guerre des droites. Assainir le climat pré-élections dites-vous..?