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Il y a quelques temps, je rédigeais sur contrepoints un texte sur l’utilité de la création d’un nouvel organe institutionnel, l’Agence publique de vérification(1), chargé d’analyser et de noter, selon un barème facilement compréhensible des citoyens et en fonction de la réalité de la conjoncture et de la structure du pays, les programmes des candidats aux élections présidentielles, ainsi que la fidélité de la mise en application de ses promesses par le vainqueur. Tout ceci tirait son fondement de l’état particulier de nos démocraties qui, dans nombre de pays européens, souffrent de plus en plus d’une crise de légitimité, laquelle peut, si elle s’aggrave du fait d’effets désastreux sur les plans économique et social, ouvrir la voie à l’installation des partis populistes d’extrême droite sur les hautes marches du pouvoir.

Aux lendemains des élections municipales qui ont vu la percée du Front National se confirmer dans nos contrées les plus profondes, il est urgent que Manuel Valls, nouveau Premier ministre nommé par François Hollande en réaction à la déroute électorale du Parti Socialiste, entame une réflexion sur les garde-fous à mettre en place pour empêcher, qu’un jour, le parti de Marine Le Pen emporte l’élection présidentielle.

Et puisque le désaveu des citoyens vis-à-vis des partis de gouvernement se traduit souvent par une abstention et une redirection des suffrages vers les partis extrêmes, il est clair que seul un discours de vérité facilement repérable par tous, grâce à des outils simples permis par le travail d’une Agence publique de vérification, imposera le principe de responsabilité dans les communications des hommes politiques. C’est pourquoi, convaincu de l’utilité d’un tel organe public pour la bonne marche de notre pays, qui semble actuellement mal préparé à affronter les ravages de la mondialisation, je souhaite livrer les quelques grandes lignes devant guider les pouvoirs publics dans la composition de l’Agence publique de vérification(2).

Une nomination des membres par le Congrès ?(3)

La composition d’une telle Agence devant refléter, pour assurer sa propre neutralité, toutes les tendances présentes sur la scène sociétale française, il convient d’écarter l’idée que le président de la République ou son gouvernement aient la charge de nommer ses membres, tout simplement parce que le président de la République a d’abord été le candidat de son camp politique, que le gouvernement reflète donc dans sa couleur politique la majorité présidentielle, et que nous devons nous assurer du pluralisme effectif de l’Agence publique de vérification.

De même, la nomination des agents publics de vérification à la majorité (simple ou qualifiée) par l’Assemblée nationale, le Sénat ou le Congrès (qui réunit exceptionnellement les deux chambres en un seul organe), ne pourrait garantir l’indispensable pluralité des points de vue sur tel ou tel sujet.

Il n’est pas non plus envisageable de demander au peuple de se prononcer pour décider de qui disposera du droit de siège au sein de l’Agence, puisque le propre d’une élection est de permettre le choix entre des camps qui s’affrontent sur le plan des idées alors même que toutes les tendances économiques, intellectuelles, philosophiques, politiques et même religieuses de la société doivent être représentées. A moins qu’il y ait le choix d’une proportionnelle intégrale, ce qui aurait l’avantage de refléter fidèlement la cartographie des tendances politiques, philosophiques et religieuses qui travaillent ce pays. Sauf que les agents publics de vérification, sortes de sages-philosophes qui s’investiraient dans la gestion de la Cité selon la traduction du vœu qu’en avait formulé Platon(4), ne seront jamais des politiques habitués à l’adoption d’une stratégie électoraliste de communication. D’ailleurs, l’existence d’une telle stratégie constitue justement le fondement de la réflexion qui nous guide ici, puisque ce sont les postures électoralistes, qui ne tiennent pas tout à fait compte de la réalité effective de notre pays sur les plans conjoncturel et structurel, qui sont à la base du hiatus grandissant entre les citoyens et leurs hommes politiques (lesquels ne peuvent mettre en application leurs promesses électoralistes du fait d’une conjoncture contraire déjà connue au moment des élections).

Pour garantir la pluralité et la neutralité de l’Agence publique de vérification, nous pouvons nous servir de l’existence de groupes constitués dans les deux chambres (Assemblée nationale et Sénat). Les règlements de chacune des chambres stipulent en effet qu’il faut réunir au moins quinze députés ou dix sénateurs pour constituer un groupe. Les groupes ont leur utilité en ce qui concerne la composition des commissions spécialisées (Affaires étrangères, Affaires économiques, Affaires culturelles…). Eh bien ! Il pourrait être demandé à chaque groupe, et pour chacune des chambres législatives, de nommer un agent dans les sphères que j’ai listées dans mon précédent article (la politique fiscale, la sécurité sociale et la dette ; la politique économique, l’emploi et l’immigration ; l’éducation et la modernisation du pays ; les réformes de société)(5). Les non-inscrits, qui ne se retrouvent pas dans les groupes constitués, formeraient également un groupe dans chacune des assemblées, et ce, dans le but de cette nomination, à laquelle ils auraient collectivement droit pour un agent par sphère d’activité du nouvel organe. Ainsi, nous aurions, si nous prenions en compte la composition de nos actuelles chambres, quatorze agents pour chacune des sphères d’activité, lesquelles constitueront autant de commissions de travail au sein de l’Agence publique de vérification .

Afin de se prémunir contre toute tentative de collusion entre nos représentants et les futurs membres de l’Agence publique de vérification, il convient sans doute de mettre en place des outils que l’on tirerait tout droit du principe constitutionnel du « check and balance », le but étant avant tout que les personnalités choisies fassent œuvre d’indépendance, d’intégrité et d’honnêteté intellectuelle dans la tâche qui leur incombera.

Mais justement, quelles seraient les personnes méritantes pou siéger à l’Agence publique de vérification ?

Les personnalités éligibles

Avant de poursuivre, il convient d’aborder un point et de répondre aux questions suivantes : est-ce que les personnalités choisies doivent être candidates à ce type de charge ? Ou doit-on d’abord les nommer, dans le cadre d’une procédure publique, avant qu’elles ne répondent ensuite à l’appel du pied de la nation ?

Si une telle réforme était proposée, j’opterai pour la seconde solution. Car, un penseur, un intellectuel ou un spécialiste, quand il est convoqué par la nation pour travailler à son mieux-être, ne peut répondre que par humilité, en acceptant de donner de son énergie et de ses compétences à son pays, pour peu, bien sûr, qu’il se sente apte à assumer une telle responsabilité. Ainsi, d’une posture de témoignage du monde qui est le sien, l’habituel intervenant intellectuel adopterait une attitude faite d’action dans la Cité, en prenant le risque de « mettre les mains dans le cambouis ».

Mais alors, quelles seraient les personnes aptes à ce travail titanesque de sauvegarde de nos démocraties par l’analyse fine, complète et ensuite vulgarisée à l’attention des citoyens, des programmes électoraux des candidats et de leur mise en application par le vainqueur de l’élection présidentielle ?

Il faudrait que ne siègent dans cette Agence que des personnes entièrement disponibles. Car la lourdeur et la longueur(6) de la tâche doivent être telles qu’il doit y avoir interdiction de cumul avec une toute autre fonction prenante. Ainsi, siéger à l’Académie française, vœu exaucé récemment par Alain Finkielkraut, rend rédhibitoire l’occasion de travailler pour l’Agence publique de vérification. De même, les anciens présidents, faisant partie, de droit, du Conseil Constitutionnel, doivent se consacrer au travail engageant qu’implique une telle place au milieu des Sages. C’est pourquoi des personnalités comme Lionel Jospin seraient légitimes en tant que membre de l’Agence publique de vérification, puisqu’elles ne sont pas des anciens présidents. Enfin, comme Lionel Jospin, des anciens hommes ou femmes politiques peuvent y siéger s’ils ont abandonné toute prétention d’exercice d’un mandat, et s’ils n’ont jamais été traduits et condamnés devant des tribunaux dans le cadre de leurs activités politiques (cas d’Alain Juppé).

Plus globalement, les créateurs de nouveaux paradigmes intellectuels doivent être privilégiés. Ainsi, en ce qui concerne l’une des sphères d’activités listées ci-dessus, Emmanuel Todd et ses travaux sur l’impact déterminant des structures familiales sur la marche politique, économique et sociale des sociétés ; Alain Finkielkraut et sa réflexion sur l’identité française et sur la place considérable que doit prendre l’héritage culturel de notre pays dans la transmission opérée par l’école si l’on veut éviter le risque de séparatisme culturel ; Tareq Oubrou et sa « sharia de la minorité », sorte de nouveau paradigme jurisprudentielle et théologique islamique devant prendre en compte la spécificité de la société française ainsi que de la mondialisation ; Edgar Morin et son souci éthique de construire une pensée complexe transdisciplinaire, afin d’être le plus proche possible de la réalité complexe de nos sociétés ; Marcel Gauchet, l’inventeur de la formulation suivante : « la fracture sociale », reprise par Jacques Chirac lors de l’élection présidentielle de 1995 ; Pascal Blanchard et sa théorie de l’existence en France d’une « fracture coloniale » persistante dans les relations entre les « communautés » ; Edwy Plénel et son inlassable combat pour la moralisation de la vie politique ; Eric Zemmour, dont les avis bien tranchés sur les vertus de l’assimilation « à la française » en font un candidat sérieux ; Pascal Boniface, qui, au-delà de sa spécialité, la géopolitique, intervient fréquemment dans le débat lorsqu’il s’agit du vivre-ensemble ; Jean Baubérot, spécialiste de la laïcité ; des philosophes « athées » comme André Comte-Sponville et Michel Onfray ; parmi d’autres, toutes ces personnes, et toutes ces idées, qui sont le fruit de mûres réflexions et de profonds travaux de recherche ardue de la vérité de notre réel, doivent être officialisées dans la conduite de notre pays. De même, une place doit être réservée à des hommes et des femmes comme François Lenglet et son militantisme journalistique assumé en économie, Lionel Jospin dont l’intégrité et la complexité de la réflexion peut nous assurer de l’idée qu’il ferait un bon président d’une telle Agence(7), Alain Madelin, lequel, par sa démission du gouvernement Chirac trois mois après sa nomination en 1995, a prouvé qu’il défendait des convictions profondes en matière d’économie(8).

Conclusion : une utopie ?

Certains objecteront sûrement que mettre autour d’une même table Tareq Oubrou et Eric Zemmour relèvent de la gageure si l’on souhaite que ces deux là s’entendent pour noter les candidats selon des critères objectifs qu’ils auraient décidés ensemble.

Mais il ne s’agit pas tant, pour eux, de faire parler leurs idéaux particuliers, que d’analyser très objectivement, à l’aide d’une confrontation dialectique salutaire permettant à ce que la vérité se révèle à eux et en fonction de critères préétablis, les programmes des candidats à l’élection présidentielle et la fidélité de la mise en application. Il suffit peut-être de réfléchir sur l’organisation interne de cette Agence publique de vérification afin de garantir l’objectivité de ses travaux, en prenant en compte tous les cas de figure et en contrôlant leurs effets par des mesures ad hoc de « check and balance ».

Cette proposition d’Agence publique de vérification n’est qu’une piste de réflexion. Elle ne saurait épuiser, en si peu de lignes, une idée qui vaut la peine que nous la saisissions afin d’y apporter nos propres compétences et réflexions citoyennes. Car il en va de l’avenir de notre pays, en lutte, désormais ardue, contre la montée du populisme. Espérons, à tout le moins, que cette idée, si elle arrivait aux oreilles de notre nouveau Premier ministre, trouverait un esprit disponible et une réponse appropriée…

Notes et références

1) L’Agence publique de vérification, une réforme institutionnelle possible ?

2) Ces quelques grandes lignes sont le fruit de ma réflexion sur le sujet. Elles sont néanmoins non-exhaustives et peuvent être complétées ou amendées par qui que ce soit qui se sent posséder l’esprit citoyen. Je ne suis là que dans un souci républicain de proposition, que je mets publiquement à contribution pour le bien de notre pays. J’ajoute que cette réflexion peut trouver son pendant dans le cadre institutionnel d’autres États engagés dans la logique de la démocratie représentative avec le risque existant, pour ce type de régime, de tomber sous les coups de boutoir de la démagogie, ce qui est le cas de la Tunisie, actuellement.

3) En France, le Congrès du Parlement est la réunion exceptionnelle des deux chambres (l’Assemblée nationale et le Sénat), généralement au Château de Versailles, notamment dans le but de réformer la Constitution.

4) « Les maux ne cesseront pas pour les humains avant que les authentiques philosophes n’arrivent au pouvoir ou que les chefs des cités, par une grâce divine, ne se mettent à philosopher véritablement ».

5) Sphères d’activité qui peuvent être modifiés dans leur partage, en fonction d’échanges entre ceux qui souhaiteraient réellement porter l’idée au plus haut du débat public.

6) Idéalement 6 ans, entre un an avant l’élection et le moment de l’élection suivante, de telle sorte que les agents publics de vérification puissent travailler, et sur les promesses, et sur la mise en application effective des promesses, l’Agence publique de vérification succédant à celle-ci commençant une année avant la seconde élection, pour entamer le même travail. Ainsi, pour peu que l’Agence soit créée en vue de l’élection 2017, l’Agence A prendrait ses fonctions en 2016 et terminerait ses travaux en 2022, tandis que l’Agence B commencerait à siéger en 2020 pour se séparer en 2027… Il conviendrait de prévoir les aménagements particuliers à mettre en œuvre en cas d’empêchement exceptionnel du président (mort, destitution du président, etc.), afin de garantir le lien entre l’Agence encore en exercice à ce moment-là et celle, élue de manière anticipée, appelée à lui succéder.

7) Doit-on, d’ailleurs, nommer le président de l’Agence publique de vérification selon les mêmes canons que ceux présentés pour les membres des différentes chambres de cet organe, ou privilégier un autre mode, qui passerait peut-être par une élection ?

8) Cette liste ne saurait être exhaustive et attend la contribution de tous. De plus, tous ces noms, que j’ai cités pêle-mêle, ne l’ont pas été parce que j’appuierai profondément leurs idées. Ainsi, et je l’ai écrit dans un récent texte, je m’oppose fortement à l’idée d’Eric Zemmour selon laquelle des prénoms dits musulmans ne seraient pas, aujourd’hui, du fait de leur présence massive dans le pays, français. Mais il s’agit, puisque ces personnes interviennent continuellement dans le débat dans lequel ils tentent d’expliciter leurs idées pour le mieux, de leur point de vue, de notre société, d’organiser un lieu de rencontre officiel afin qu’ils confrontent leurs points de vue et arrivent à une synthèse de leur pensée lorsqu’ils auront à analyser les programmes politiques des candidats ainsi que celui mis en application par le président vainqueur.