Les transformations politiques et économiques, nées après le premier choc pétrolier, ont influencé en profondeur l’approche économique et sociale des Frères. Le désengagement de l’Etat et l’enrichissement des exilés ont suscité l’émergence d’un capitalisme Frère.
La naissance d’un capitalisme islamiste
La fin du Nassérisme et la nouvelle politique économique libérale de « l’Infitah », offrent aux Frères l’opportunité de se lancer à l’assaut de l’économie. Les capitaux accumulés durant les années d’exil dans les pays du Golfe vont être massivement investis dans la construction, dans l’immobilier, dans les secteurs d’éducation et de santé, et dans les transports. (1)
Les entreprises économiques gérées par les Frères vont se multiplier : réseau de PME, institutions de mobilisation de l’épargne, branches islamiques du système bancaire, … qui au nom de l’Islam mobilisent une clientèle fidèle et nombreuse.
Cette conquête de l’économie, se double d’un foisonnement des associations religieuses socio-éducatives, piétistes et/ou caritatives. (2)
Ce phénomène, né en 1980, va se constituer dans les décennies qui suivent en un véritable tissu économique Frère occupant les espaces laissés vacants par un Etat en phase de dégraissage. (3)
L’islamisation gagne tous les secteurs: négoce de vêtements islamiques, institutions financières islamiques, mais aussi action humanitaire, bienfaisance, financement d’écoles privées. (4)
Cette conquête de l’économie, a engendré des tensions au sein de la Confrérie et favorisé un certain divorce entre la cause politique des Frères et les intérêts économiques de ses représentants dans les milieux d’affaires. Tel est le cas de ces sociétés qui se lancent dans la construction frénétique de villages touristiques dans le Sinaï !
Les PME vont suivre la loi du marché et non plus les objectifs dictés par des stratégies de prédication, comme c’est le cas dans le monde de l’édition. (5)
Le développement d’un capitalisme lié aux Frères a mis en veilleuse la question sociale. Si dans les années 1980, les islamistes ( surtout les Chiites*) prétendaient défendre les intérêts des classes opprimées et prônaient une étatisation de l’économie, et une redistribution de la richesse (6), les Frères sont devenus adeptes du libéralisme et de l’anti-étatisme. Abandonnant le discours socialisant des islamistes traditionnels, ils considèrent que l’enrichissement personnel est légitime, si l’argent est « bien acquis » et s’il est purifié par l’impôt et l’aumône islamique. Un discours bien reçu par la petite bourgeoisie montante, qui a profité (en Egypte, en Turquie, en Iran, au Maroc) ou voudrait profiter (en Syrie, en Algérie) de la crise des grands systèmes monopolistiques d’Etat. (7)
Ainsi, devenus conservateurs quant aux mœurs et libéraux quant à l’économie, les Frères musulmans ne sont plus porteurs d’un autre modèle économique ou social. (8)
Le culte de la richesse
Les Frères musulmans sont passés d’une vision austère de la religion à un culte effréné de la richesse. Si l’embourgeoisement d’une bonne partie de leurs cadres y est pour quelque chose, il y a également la quête de légitimation religieuse de la richesse de la part d’une partie de la bourgeoisie égyptienne. Le succès du prédicateur Amr Khaled en est la confirmation.
Avec un discours calqué sur celui des télé-évangélistes américains, cet homme est devenu le gourou des classes supérieures égyptiennes, celui qui leur permet de concilier leur mode de vie moderne et leur identité religieuse. (9)
Ses bonnes manières, son langage simple, la douceur de sa voix, son visage imberbe et sa tenue moderne et modeste contrastent avec les prédicateurs traditionnels. Maniant humour et sentimentalisme, il s’adresse à un public composé de jeunes branchés et de femmes de la moyenne bourgeoisie égyptienne. « C’est le cheikh de l’élite qui les rassure sur leur propre statut social et qui constitue une garantie qu’elles n’auront aucun contact avec les classes populaires ».
Et puisqu’il s’attache avant tout à ce que les riches n’aient pas de problèmes de conscience par rapport à leur richesse, les pauvres sont absents de son discours (10)
Sa prédication se construit dans le cadre de la culture d’entreprise et de la réalisation de soi. Dans la droite ligne des pamphlets de psychologie de boulevard américain, il invite son public à réagir de manière individuelle en appliquant à soi-même les principes de la réussite et en fortifiant la confiance en soi.
C’est une prédication branchée et décomplexée dans son rapport à la richesse. Dès lors, l’ambition devient une preuve de l’amour de Dieu pour la personne ambitieuse et la richesse un moyen de faire aimer la religion. Dans un de ses prêches, il déclare : « Je veux être riche…Je veux avoir de l’argent et les meilleurs vêtements pour faire aimer aux gens la religion de Dieu »
Face aux critiques populaires, mettant en cause l’accumulation par les possédants des richesses durant l’infitah, le discours Frère fait de la richesse un moyen d’exceller en religion. Cette valorisation de la richesse, au nom de la religion, devient le leitmotiv de tous les ambitieux. Elle est justifiée comme une gratification divine : « La richesse est un cadeau du ciel et le musulman fortuné est le favori de Dieu » ou bien comme le véritable pouvoir : « Je veux avoir de l’argent, beaucoup d’argent, de l’argent ostentatoire. L’argent c’est le pouvoir » « Je veux être comme Othman ibn Affan ou Abdul Rahmân ibn Awf …Je veux être un grand homme d’affaires avec une énorme fortune, je veux influencer la société grâce à cette richesse, grâce à ce statut » parce que « les gens n’écoutent que les puissants…
La chose la plus importante c’est ton métier et tes revenus » (11)
Ainsi de nouvelles dispositions se développent au sein des Frères, valorisant accumulation de richesse et distance sociale. Un proche connaisseur des Frères déclare :
« Les Frères ne parlent jamais de justice sociale ou de redistribution. Leur revendication est qu’ils doivent être riches pour être de bons islamistes » (12)
(1) Husam Tammam, Patrick Haenni Institut Religioscope. Etudes et analyses n°20 mai 2009
(2) François Burgat Les refuges du politique Egypte 1990 Annuaire de l’Afrique du Nord Tome XXIX 1990 Ed CNRS
(3) www.religion.info Husam Tammam, Patrick Haenni Institut Religioscope. Etudes et analyses n°20 mai 2009
(4) Olivier Roy. Les trois âges de la révolution islamiste in Revue L’Histoire n° 281 novembre 2003 numéro consacré aux islamistes
(5) www.religion.info Husam Tammam, Patrick Haenni Institut Religioscope. Etudes et analyses n°20 mai 2009
(6) Olivier Roy Révolution post-islamiste/ * Mohamed Baquer Assadr. Souratoun ‘an iqtisadi al moujtama’ al islami 10
(7) Olivier Roy. Les trois âges de la révolution islamiste in Revue L’Histoire n° 281 novembre 2003
(8) Olivier Roy Révolution post-islamiste
(9) Le Vif/L’express 5/9/2003 Tangi Salaün La bourgeoisie revient à l’Islam
(10) Amr Khaled, le gentil cheikh de la jeunesse dorée Issandr el-Amarani et Tjitske Holtrop Le Courrier international Hors-série politique : Islam, le terroriste, le despote et le démocrate juin-juillet 2003
(11) Patrick Haenni et Husam Tammam « Penser dans l’au-delà de l’islamisme » Revue des mondes musulmans et de la Méditerranée n°123-juillet 2008 mis en ligne le 12 décembre 2011
(12) www.religion.info Husam Tammam, Patrick Haenni Institut Religioscope. Etudes et analyses n°20 mai 2009
tout ce que ce passage dit s’ancre dans le contexte egyptien de libéralisme et est applicable à toutes les tendances politiques en réalité
Peut-on reprocher à Ennahdha d’être libéral quand le Qotb/Massar (ex-PCT) est devenu libéral lui également ? Quand Jabha Cha3biya (Front Populaire / PCOT) n’est même plus socialiste mais seulement social-démocrate ?
Quand le seul parti politique à lutter contre le FMI en Tunisie est le parti panislamique Hizb-Ut-Tahrir ?
Comment dire que Hizb Ut Tahrir est le seul parti à lutter contre le FMI ? Historiquement et aujourd’hui encore ceux qui mènent une bataille contre la dette se sont le Front Pop et Red Attac Tunisie. En atteste la réu publique organisée avant le FSM. Les premières personnes en Tunisie à avoir produit des analyses et organisé des journées de débats se sont les gens de gauche. En 1999 Eric Toussaint est venu à Tunis invité par la gauche… De même plusieurs numeros de Kaouss EL KARAMA (revue trotskiste qui datent 2000). Le lancement de RED Attac est le fruit d’un engagement contre le FMI et BM… comment dire que les salafistes qui défendent le capitalisme islamique se sont des anti-K ????
[…] Les transformations politiques et économiques, nées après le premier choc pétrolier, ont influencé en profondeur l’approche économique et sociale des Frères. Le désengagement de l’Etat et l’enrichissement des exilés ont suscité l’émergence d’un capitalisme Frère… […]
Merci d’avoir positionné le débat sur le volet de l’histoire contemporaine,
Le problème vient aussi de la définition que l’on donne au libéralisme et néolibéralisme.
La notion de liberté est mal conçue dans le sens où elle est associée à la dérèglementation et non interventionnisme. Le capitalisme néolibéral conçoit l’environnement financier dans lequel il évolue exempté de réglementation et tributaire d’une autorégulation basée uniquement sur des critères économique.
On constate aujourd’hui que le modèle est en échec. En Tunisie, il y a un interventionnisme massif à la faveur des banques et des services financiers même s’ils sont réputés avoir été mal géré durant la dictature. En même temps se poursuit la déréglementation avec la disparition des subventions via les caisses de compensation.
Le modèle conçu sur le consumérisme financé par de l’inflation et de la dette infinie est révolu. Il nous faut réinventer un nouveau monde…
y a t’il encore un musulman?99% des tunisiens se disent musulman,le parti au pouvoir se dit religieux et tout particulièrement musulman et pourtant j’ai cette vague impression que personne d’entre nous n’appliquent les recommandations lié à la religion “le saint et noble coran”il est pourtant écrit noir sur blanc dans le marbre des écrits coranique que.l’économie d’usure et d’intérêt est strictement interdit!!le néo-libéralisme est une plaie qu’il faut absolument combattre,car il érige une économie faites d’usure et d’intérêt n’ayant qu’un seul but,oppressé la masse ayant un pouvoir d’achat faible,,ce qui la rend plus maléable face aux caprices d’une poignée d’homme!!!voyez vous toute civilisation est bâti par son architecture économique,la civilisation musulmane a toujours eu une architecture économique saine et transparente à sa source,car elle procède des recommandations lié au saint et noble coran.il était de notre devoir de ne jamais accepter que l’économie venu du rien(usure et intérêt)n’entrent et envahissent notre architecture économique et pourtant nous avons failli en notre mission,pire!!nous plesbsicitons voire encourageons cette économie abjecte!!!!y a t’il une morale!!non car ils ont réussi à inverser la vérité!!!
و تأكيدا على كلامكم سيّد رضا أودّ الرجوع بالذاكرة قليلا للزمن الذّي شهد صعود عمرو خالد حيث شهدت تلك الفترة ظاهرة تديّن غريب أكتسحت الجامعات الخاصّة في مصر و خاصّة الجامعة الأمريكيّة التّي أصبح رمزها أرتداء الفتيات للحجاب و تديّن الشباب في حركة تمظهر أسترعت في تلك الفترة أهتمام الأعلام المصري ….
و أعتقد أنّ ذلك كان نتيجة نفوذ الخطاب لتلك الطبقة البرجوازيّة الشبابيّة التّي كانت تبحث عن تبرير الثراء الفاحش عبر الدّين وهذا ما لعب عليه الخطاب الدعوي في تلك الفترة حيث تحوّلت الدعوة ألى دين تبريري مهمّته أكتساب أنصار جدد عبر ترويج مجموعة من القيم الحديثة ..و بهذا تشكّلت طبقة جديدة متديّنة مظهريّا فقط لأرضاء النزعة الدينيّة لكن دون الخوض في صغائر الأمور التّي قد تتعارض و مصالحها
bravo Mr RIDHA KHALED
[…] Pour lire “La conversion des Frères au néo-libéralisme (Partie I)” cliquez ici. […]
Le problème pour la Tunisie aujourd’hui n’est pas libéralisme ou pas. Ce qu’on nous impose aujourd’hui, c’est comme les capitulations qu’on imposerait à un pays vaincu. En effet, les conditions imposées par les autorités financières de l’Occident (FMI, BM, UE, BAD…), sont des capitulations au détriment du droit de regard de l’Etat sur l’économie, par exemple sur les orientations sectorielles ou régionales, sur la répartition des revenus, la canalisation de l’épargne…. Elles consistent de plus à obliger l’Etat à faire payer au peuple les pertes des banques et des investisseurs étrangers, par exemple la prise en charge par l’Etat de la recapitalisation des banques perdantes, soit un montant de plus de 2000 milliard de millimes, ou bien la mise du trésor public à la disposition des investisseurs étrangers pour qu’ils sortent leurs bénéfices du pays, ce qui coûte au peuple Tunisien plus de 2500 milliards de millimes par an en devises dures, montant qui nous est chargé comme dette extérieure puisque nous ne l’avons pas. Le Tunisien misérable s’endette pour que les cimentiers, les gaziers, les téléphonistes, les banquiers… sortent leurs milliards.
Malheureusement, nos décideurs n’ont pas la formation nécessaire pour comprendre ce que le FMI leur demande de faire. Ils croient ce que leurs disent les Occidentaux. Ils croient qu’il s’agit du libéralisme.
[…] seul l’investissement marchand peut sauver la Tunisie. Il oublie que les islamistes au pouvoir misent sur le même […]