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Le prix du litre d’essence va augmenter de cent millimes paraît-il. Cela pourrait presque être anecdotique, c’est loin d’être le cas dans un pays où une grande partie de la population n’arrive plus à subvenir à ses besoins et vit à crédit. C’est ce qu’explique Rafik, chauffeur de taxi depuis presque huit ans maintenant. Ce jeune père de famille sillonne les rues de la capitale onze heures par jour et fait plus de 200 kilomètres pour essayer de nourrir sa famille.

Avant la révolution, Rafik conduisait le taxi d’un autre. Et puis la révolution est venue, il est sorti dans la rue, s’est égosillé à hurler « Dégage », a été heureux de se sentir libre. La vie a repris, il a eu l’autorisation d’avoir son propre taxi, a fait un crédit, acheté une voiture et a commencé à travailler. Et puis est venue l’heure des comptes. Et Rafik a arrêté de sourire.

« Rien de bon n’est sorti de ce nouveau gouvernement. Après la révolution il n’y a eu que des augmentations que ce soit sur le prix du carburant, de l’assurance, des taxes… Je pensais qu’ils allaient diminuer un peu les prix, par rapport à ceux de l’ancien régime, mais au contraire ils n’ont fait qu’augmenter. »

« Le problème pour l’essence c’est qu’il y a déjà eu une augmentation il y a trois mois, et là on parle d’une nouvelle augmentation. La première fois ils ont augmenté le prix du litre de 100 millimes et maintenant on parle de 200 millimes. » Cette augmentation Rafik dit qu’il la ressentirait directement dans son budget : des 15 dinars quotidiens dépensés en essence le budget passerait à 25 dinars. « 10 dinars par jour en plus, à la fin du mois c’est une énorme augmentation. »

Rafik ne s’en sort pas. « Les charges sont plus importantes que ce que je gagne » explique-t-il. Il paie un crédit de 680 dinars par mois pour son taxi, pour une voiture sur laquelle le gouvernement prend une marge à la vente.

L’assurance lui coûte 2000 dinars par an en tout risque et il est obligé d’être à ce régime pendant cinq ans. La visite technique est obligatoire tous les ans pendant deux ans, puis tous les six mois et coûte 50 dinars. Il doit également s’acquitter de deux taxes par an 60 et 30 dinars. Chaque mois il dépense environ 180 dinars pour la vidange et l’entretien de son taxi. Ce à quoi il faut donc ajouter 20 dinars environ d’essence par jour. En tout Rafik doit débourser en moyenne 50 dinars par jour pour couvrir ses frais de travail.

« Avant je gagnais 70 dinars par jour en été avec les touristes. En hiver c’était plutôt 50 dinars. Maintenant en hiver c’est encore plus difficile et il n’y a plus de touriste. Je travaille sur le secteur de Ennasr, de Menzah et de l’aéroport. Quand je vais à l’aéroport aujourd’hui j’attends, j’attends et je ne trouve que des voyageurs libyens à déposer à El Manar pour des interventions médicales. Les avions qui arrivent de France sont vides. Il n’y a plus de touristes. Même les bateaux de croisière ne restent qu’un jour. Et les touristes ne sortent pas. Ils préfèrent rester à bord. J’habite à Ben Arous mais je préfère travailler sur ce secteur parce qu’ici il y a toujours des gens qui prennent le taxi, contrairement aux quartiers populaires. »

Rafik pense à vendre son taxi car il a du mal à gagner 10 ou 15 dinars par jour pour faire les courses nécessaires pour son foyer. Sa femme ne travaille pas et il ne voit presque pas ses deux enfants en bas âge. « Je pars travailler à six heures du matin, je finis à 17h, je fais quelques courses et je rentre. Quand je pars mes enfants dorment. C’est la même chose quand je rentre. Alors des fois quand ils me manquent trop je les réveille pour les voir un peu. »

Il ne peut plus travailler la nuit pour gagner plus d’argent : il n’y a pas de course et il y a beaucoup de risque de braquage.

« A la fin du mois : il n’y a plus rien et j’ai des dettes partout. Mon loyer me coûte 180 dinars. Parfois j’ai une note de 500 dinars chez l’épicier et je dois encore payer mes crédits. 50 dinars par ci 50 par là… heureusement dans mon quartier les gens comprennent et attendent, ils sont solidaires. Ils savent que lorsque j’ai de l’argent je paie. J’essaie toujours de diminuer mes dépenses mais chaque mois c’est la même chose, la même course qui recommence. »

Et Rafik se met à regretter l’époque de Ben Ali où lorsqu’il y avait une augmentation de 20 millimes du prix de l’essence le gouvernement faisait une allocution télévisée pour s’excuser, dit-il. Aujourd’hui il a l’impression que le gouvernement se décharge sans gêne sur le peuple : « Ils nous disent que c’est parce que les caisses sont vides et que nous devons payer. Le gouvernement passe son temps à prendre et il augmente les taxes, le prix du carburant, du lait… On ne peut plus vivre tellement les augmentations sont désorganisées. C’est pour ça que les jeunes Tunisiens ne peuvent pas créer un foyer. Les charges sont plus importantes que ce que l’on gagne. Et on a toujours des dettes. »

Rafik n’a pas de couverture sociale. Quand il est malade il ne va pas chez le médecin et se contente d’acheter des médicaments à la pharmacie. Son taxi lui coûte de l’argent tous les jours. Alors il ne peut pas se permettre de ne pas travailler.

« Comment est-ce que je peux vivre ? Qu’est-ce que je rapporte à ma famille si je ne gagne pas les 15 dinars nécessaires ? Je vais les nourrir d’air ? Je dois bien acheter du pain n’est-ce pas ? »

« Je demande à ce gouvernement de penser aux petits travailleurs, à la classe aux ressources très limitées : qu’il ait pitié de nous avant de faire des augmentations. Ils doivent penser à ceux que les augmentations pénalisent le plus. Mettez des impôts à ceux qui gagnent des milliers, pas à la classe défavorisée. Le carburant pour nous les taxistes c’est comme du lait : on en a besoin chaque jour et sans ça on ne travaille pas. Avec ces augmentations ils nous ont anéantis. Ce gouvernement nous met le couteau sous la gorge. »

Rafik ne pensait pas que la situation du pays serait celle-là. « Moi je n’ai pas peur de le dire : je regrette d’avoir sorti Ben Ali, je regrette d’avoir fait la révolution, d’avoir crié dégage. »

« Je me suis trompé et je m’en mords les doigts : j’ai voté pour Ennahdha, j’ai cru qu’ils allaient avoir pitié de nous et nous aider et faire de bonnes choses pour la classe défavorisée, qu’ils avaient peur de Dieu, alors qu’aujourd’hui ils nous écrasent. »