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Quel-islam-pour-tunisie

Parmi les questions polémiques qui agitent les débats de l’Assemblée Nationale Constituante et divisent les groupes figure le projet islamiste de mention dans la Constitution d’un Haut Conseil islamique.

Quitte à surprendre mes amis adeptes de la sécularité, je dirais volontiers oui à une pareille constitutionnalisation qui pourrait se révéler être une bonne chose pour le futur de l’islam. Il faut toutefois le faire sous garantie en prenant la peine d’encadrer soigneusement la nature et les objectifs dudit Conseil autour d’un esprit révolutionnaire, non pas conformiste, mais bel et bien réformiste de l’islam. Et cela en en faisant un Conseil de la réforme islamique

De la sorte, l’organisme projeté ne serait plus cette institution dont la tâche serait de réintroduire la religion dans l’État tunisien voulu et proclamé unanimement comme devant être civil. Tout au contraire, il serait appelé à réfléchir aux moyens les plus appropriés en vue de faire évoluer la pensée islamique actuelle vers une synthèse harmonieuse où religion et sécularité coexisteraient sans heurts aucuns dans un respect mutuel total.

Pour ce faire, il faudrait bien évidemment que l’on s’entende sur la nature de la mission et des tâches dévolues à pareil Haut Conseil qui devraient être d’étudier et de recueillir par tous les moyens appropriés les mécanismes et les formes susceptibles de faire évoluer le droit islamique et ses aspects tels qu’insérés dans notre législation.

Le but de pareilles recherches, ouvertes à toutes les compétences tunisiennes avérées sans exclusive idéologique aucune, sera bien évidemment de faire en sorte que notre religion et ses prescriptions, qu’elles soient déjà intégrées ou non dans notre droit positif, soient conformes à l’esprit révolutionnaire de l’islam. C’est qu’on ne retrouve plus tel esprit dans le Fiqh tel que nous l’avons recueilli de nos ancêtres qui étaient pourtant, au moment de son élaboration, bien en avance sur leur temps; mais leur originalité s’est irrémédiablement perdue au fil du temps.

Un tel Conseil rouvrirait ainsi, en veillant à l’organiser, la nécessaire réforme de notre exégèse du Coran et notre interprétation de la Tradition, et ce selon les acquis les plus récents, les plus pertinents et les moins contestables de la science. En cela, il ne fera que se conformer à notre religion qui se veut scientifique, car privilégiant la rationalité en tout, étant une religion et un code de vie civile.

Faisant du Haut Conseil islamique un moyen suprême et privilégié de relire l’islam et de repenser sa jurisprudence en dehors des préjugés habituels et des exégèses obsolètes, le projet de son inscription dans la Constitution serait une réelle avancée majeure, non seulement pour la Tunisie, mais aussi pour l’islam en général.

Avec un pareil organisme dédié à la recherche scientifique, on revitalisera immanquablement nos sciences religieuses, les sortant des sentiers dogmatiques de la simple croyance à ceux scientifiquement prouvés de la foi. Passant ainsi d’une religiosité dépassée à une spiritualité de notre temps, on participera à la fondation d’une façon nouvelle de croire en islam, synonyme d’une foi sereine, en harmonie avec la nature humaine et sa propension à un ailleurs transcendant tout en étant respectueuse de l’altérité.

Rappelons ici que le Conseil islamique supérieur existant actuellement, composé de compétences reconnues pour leur connaissance des sciences islamiques est placé sous la tutelle du gouvernement. Considéré comme la plus haute instance religieuse du pays, il n’a cependant qu’une compétence consultative, sa mission consistant juste à examiner les questions que lui soumet le gouvernement relativement à la religion, ainsi que de faire des propositions et des recommandations de conformité au dogme pour la préservation de la nation relativement à sa religion.

Aussi, disons que d’un pur point de vue logique, la proposition d’EnNahdha de l’inscription de cette instance dans la Constitution est défendable afin de l’affranchir du pouvoir politique et de renouveler ses fonctions, si le but ultime est bien de promouvoir le discours religieux et la pensée islamique en Tunisie, comme d’aucuns l’ont prétendu.

Or, l’intention véritable du parti islamiste est de contourner la formulation de l’article premier ayant fait consensus sur une vague référence à l’islam afin d’avoir un référentiel islamique formel de nature à confirmer la nature islamique de l’État, ce qui serait une façon détournée de faire de la Tunisie non pas un État civil, mais théocratique.

En effet, sans la précision de la mission réformiste de pareille institution dans la ligne que nous avons indiquée, elle risque de devenir une autorité religieuse parallèle au pouvoir civil. Tout au contraire, faire de celle-ci une véritable autorité indépendante, mais juste chargée de la réforme, étant appelée à refonder la conception actuelle de l’islam, n’en ferait qu’un appui précieux de l’État civil.

Il ne serait donc pas négatif de vouloir élever la stature du discours politique en Tunisie tant que le but avéré est véritablement de faire évoluer son contenu dans le sens d’une sécularité renforcée. Ce faisant, cette dernière ne sera que plus sereine dans ses rapports avec un islam qui a la particularité éminente d’avoir la double nature religieuse et civile et qui serait ainsi encouragé à revitaliser cette dernière pour la conformer aux exigences du temps présent,

Il est à noter que le parti islamiste, tout en tenant à la nature consultative obligatoire du Conseil ainsi constitutionnalisé, n’exige pas nécessairement d’en faire une instance décisionnelle. On pourrait le suivre dans cette orientation avec le bémol précité sur la nature de la mission de l’institution, à laquelle on doit ajouter l’ouverture de sa composition à toutes les compétences en matière religieuses.

En effet, cette composition doit être réellement représentative, ne se limitant pas à des personnalités ayant une orientation précise ou un profil particulier, la règle devait être de faire figurer dans le Conseil toutes les sensibilités en mesure de profiter à la réflexion sur l’islam afin de permettre que l’on retrouve en Tunisie l’esprit révolutionnaire islamique perdu et qu’on puisse le garder et l’entretenir grâce à pareille institution.

Terminons en disant que, sur le plan strictement politique, la présente proposition pourrait constituer une bonne issue consensuelle pour l’actuel blocage antre les tenants du projet et ses opposants tout en transformant une pomme de discorde en matière à consensus dans l’intérêt bien compris de notre belle religion.